Rogue One était un pari risqué pour Star Wars : peut-on faire de bons épisodes qui n’entrent pas dans la saga numérotée ? Gareth Edwards y a répondu avec élégance et profondeur.

Rogue One était un film à ne pas manquer. Les enjeux pour Disney, pour Lucasfilm et pour Star Wars étaient colossaux. Pour Disney, le film devait être réussi parce qu’il devait prouver qu’il était possible de réunir les fans et les nouveaux venus autour de longs métrages qui ne sont pas dans le canon de la saga spatiale. Pour Lucasfilm, il fallait réussir Rogue One pour faire comprendre à une fanbase et à des auteurs qui ont construit la culture Star Wars que l’univers étendu allait être détruit, mais avec classe.

Pour Star Wars, enfin, il fallait absolument que cette première excursion hors canon n’augure pas d’une successions de films tous plus médiocres les uns que les autres, conçus pour capitaliser sur la franchise. Et c’est un peu l’enjeu le plus important : pour quelqu’un qui a vécu au rythme de Star Wars depuis les années 1980 ou depuis les années 2000 pour la prélogie, toucher à l’univers, c’est comme toucher au divin, ajouter des paragraphes au milieu d’un texte sacré pour améliorer l’histoire ou la préciser. Bref, ce n’est pas rien.

En sortant du cinéma ce lundi matin, nous avons eu l’intime conviction que pour les trois acteurs impliqués, de leur gré ou par incident, dans le pari Rogue One, le pari était gagné. Le film est un mélange d’émotion, d’action et d’humour, parsemé de plans intimes, le tout sur un fond politique très fort et dans une construction tragique parfaitement maîtrisée.

Si vous n’avez pas vu Rogue One et que vous craignez les spoilers, la suite n’est pas pour vous — courez au cinéma. Si vous avez vu le film ou que cela ne vous dérange pas de perdre des points clefs du scénario, entrons dans le vif du sujet.

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La grande histoire de la galaxie

Rogue One est un Star Wars spécial. Spécial, car il est le premier à se dérouler hors canon et à s’intéresser à un micro-événement dans la diégèse créée par George Lucas. Dans Un Nouvel Espoir, l’Alliance Rebelle récupère les plans de l’Étoile Noire et le scénario du film raconte le périple de R2-D2 chargé de ramener ce document précieux, périple qui aboutit à la destruction de la station. Le synopsis de Rogue One est très simple : le film raconte comment l’Alliance Rebelle a trouvé la faille dans la station spatiale de l’Empire et comment elle a volé les plans de l’arme.

Mais alors que ce sujet pourrait paraître resserré, c’est le grand écart entre le microcosme du groupe de héros de l’Alliance qu’on suit, Jyn Erso en tête, et le macrocosme politique à l’échelle galactique, qui surprend d’abord le spectateur. Car Rogue One est un film politique. Il est peut-être le premier épisode dans lequel le thème de la filiation et de la transmission laisse une place encore plus grande à ceux de la lutte, de la rébellion contre l’oppression et des enjeux quotidiens d’une telle bataille.

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On voit dans Rogue One une Alliance qu’on imaginait, naïvement, bien plus soudée. Dans tous les films, ils étaient les gentils, le bien contre le mal, les absolus qui s’affrontent dans un combat aussi vieux que la pensée occidentale. Là, l’Alliance a un problème avec son aile radicale dirigée par un ancien soldat qui souhaite faire bande à part et organise une guérilla sans l’aval des têtes dirigeantes de l’organisation. Ce fauteur de troubles du nom de Saw Gerrera est pourtant l’un des piliers de la branche armée de la rébellion : sa radicalisation violente met les généraux plus bureaucrates dans l’embarras.

Et même parmi eux, tout n’est pas rose. Au-delà du problème Gerrera, l’Alliance s’écharpe sur la conduite à suivre. On apprend ainsi que son nom vient de l’alliance au sens strict de plusieurs groupes s’étant opposés à l’Empire à un moment ou à un autre de leur existence. Cette Alliance Rebelle a donc un intérêt commun, mais également beaucoup d’intérêts individuels qui la montrent sous un jour plus réaliste, moins caricatural : non, la géopolitique n’est pas l’affaire d’une opposition entre le bien et le mal, ce sont des milliers de nuances de gris qui forment un tableau complexe. Regardez comme le sujet est difficile sur notre bonne vieille Terre et transposez-le maintenant à l’échelle galactique pour saisir l’ampleur du problème — soigneusement évité jusqu’ici.

Rogue One est une leçon de nuance

S’ajoute à tout cela les nécessités de la guerre. Assassiner le père de la jeune fille qui nous a aidé à trouver les plans d’une arme capable de nous détruire parce qu’il est un danger potentiel ? C’est l’ordre d’un gentil. Torturer un messager pour détecter ses mensonges ? C’est la décision d’un bon. Suivre une résolution collective qui consiste à abandonner le combat, au péril de nombreuses vies, jugé trop risqué ? C’est l’idée d’une majorité qui décide pour tout le monde mais surtout pour elle-même, sans vraiment décider pour le bien à venir de l’humanité.

Rogue One amène donc de la nuance dans un univers qui a souvent été peint à grands traits et dont les affrontements ont été trop longtemps menés au nom d’absolus abstraits. Là, on entre dans le dur, dans le froid, dans le réel, dans le mal être, dans la détresse. Des choix vont changer des millions de vies et affecter des millions d’âmes enfermées dans les camps de travail d’un Empire à l’apogée de son règne. C’est, somme toute, un film de 2016, quand la trilogie originale sortait sur fond de Guerre Froide.

La petite histoire des héros et des vilains

Mais dans toute cette noirceur générale, dans un tableau où rien ne brille, Rogue One montre que les petites actions des individus normaux peuvent changer les choses (c’est ce qui mène à l’espoir, celui de la suite). Jyn Erso n’est ni la princesse Leia, ni la reine Amidala, ni même l’incroyable Rey de l’épisode VII. Elle n’a pas de rang et n’est pas l’héritière de la Force. Jyn est la fille d’un ingénieur qui a déserté l’Empire et se retrouve seule quand son père est repris de force et sa mère assassinée devant ses yeux.

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Et pourtant, Jyn est un personnage animé. Elle a été soldat de la branche armée de l’Alliance, sous les ordres de Gerrera. Elle a été capturée par l’Empire lors d’une mission alors qu’elle n’était alors qu’une adolescente et a travaillé dans des camps de travail jusqu’à ce que l’Alliance vienne la délivrer — nullement par bonté d’âme, mais parce qu’elle avait besoin de la jeune fille pour renouer les liens avec son ancien mentor.

Jyn est donc une héroïne qui a une conscience politique et qui sait qu’il est nécessaire d’agir pour que les choses avancent — aux maux désespérés, il faut des remèdes désespérés, ou il n’en faut pas du tout. Elle est un leader, source d’inspiration pour ses pairs, mais elle ne dirige ni avec son statut, ni avec ses pouvoirs — elle n’a ni l’un ni l’autre. Elle dirige par sa volonté et parce qu’elle croit dur comme fer que la cause dépasse l’individualité de chacun, quand bien même ce sont des individualités comme elles qui conduisent la cause à se dépasser.

Si elle fait figure de leader charismatique dans cet épisode, tous les personnages qui entourent l’héroïne semblent bâtis du même bois. Des femmes, des hommes et des robots sans pedigree, qui ont vécu l’horreur, la privation, les décisions difficiles, la lutte armée, la torture… bref, la rébellion contre un pouvoir d’oppression. Et quand l’Alliance se divise entre une bureaucratie inefficace et une branche radicalisée qui fait n’importe quoi dans son coin, ce petit groupes de chair, d’os et de métal va trouver en lui l’énergie de poursuivre.

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La bande qui prend le nom du film, nom de code Rogue One, est un groupe de bras cassés — on retrouve pêle-mêle un ex-pilote de l’Empire un brin lobotomisé, un robot déprogrammé qui se laisse aller au flux de conscience, un soldat qu’on envoie faire les sales missions de la rébellion, un prophète un peu dingue qui se prend pour un Jedi et son bras droit qui est aussi bourrin que touchant. Et ce sont ces déracinés galactiques, qui ont perdu leur monde, leur foi et leurs attaches, qui vont se lancer dans une mission qui va changer la face de l’univers.

En face, l’Empire se présente avec autant de divisions, de luttes de pouvoir et de conflits d’égo entre administrateurs ambitieux qu’on pourrait l’imaginer. Le méchant incarné par l’incroyable Ben Mendelsohn n’en est que plus touchant, lui qui voudrait être plus qu’un rouage dans une machine politique. Il est l’officier qui veut être responsable par rapport à ses supérieurs, mais qui ne sera jamais celui qui aura perpétré des atrocités. Il veut la gloire pour avoir construit une machine de mort, mais pas la responsabilité d’appuyer sur le bouton pour l’enclencher. Rogue One ne lui offrira ni l’une ni l’autre.

L’histoire des déracinés galactiques qui se battent pour sauver l’univers

La tragédie Rogue One

Mais contrairement à tous les Star Wars qui ont des fins heureuses, Rogue One est une tragédie, au sens classique du terme. Toute la première partie de l’histoire expose une situation, met en place des ressorts tragiques et présente des personnages qui vont, action après action, courir à leur perte. Il n’y a pas de magie Disney dans Rogue One. Chaque scène, chaque étape, chaque système visité est un pas de plus dans l’engrenage qui conduit de la vie au trépas.

Et c’est aussi en cela que Rogue One brille : vous avez entendu de nombreuses fois un « mais de toutes façons on connaît la fin ! » qui n’a rien de plus faux. La fin, ce n’est pas la destruction de l’Étoile Noire dans l’épisode IV. Non, la fin, ce sont ces femmes, ces hommes et ces robots qui tombent sous les lasers de l’ennemi. Les uns après les autres, dans des moments qui seront individuellement oubliés par l’histoire mais qui constitueront, mis bout à bout, un grand moment de lutte.

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Par chance pour le spectateur, le réalisateur n’a pas poussé trop loin la ressemblance avec le genre théâtral et n’a pas fait raconter la violence à ses personnages. Toutes les scènes d’action sont des batailles splendides, qui mêlent des images de synthèse réussies et des escarmouches de grande ampleur. Sur le sol, on y voit des techniques de guérilla ( « Vous n’êtes que 10. Faites leur croire que vous êtes 100 ») opposées à une armée régulière bien équipée. Dans les airs, ce sont des affrontements dantesques entre plusieurs vaisseaux mères des deux côtés, épaulés par des combats de chasseur dans le plus pur style Star Wars.

Grâce à ces artifices qui réjouissent le spectateur, le film de Gareth Edwards peut briller par une construction qui ne dévoile d’ailleurs jamais vraiment son aboutissement et sa portée tragique. C’est aussi là toute la beauté de cet épisode hors des canons : il saisit son rôle dans la saga Star Wars, ou plutôt son non-rôle, et, comme ses héros, se présente comme un film aussi dispensable que fondamental. Sans Rogue One, pas de Star Wars. Sans Jyn Erso, Cassian Andor, Cirrut Imwe, Baze Malbus ou K-2SO, pas de victoire de l’Alliance. Dans le fond comme dans la forme, l’œuvre de Gareth Edwards a compris ce qu’elle représentait et où elle devait aller.

Rogue One n’est pas qu’un bon Star Wars, c’est un excellent moment de cinéma.

Le verdict

Lucasfilm
10/10

Rogue One : A Star Wars Story

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Rogue One est un bon Star Wars par bien des aspects. On jubile devant les combats de vaisseaux spatiaux, en voyant pour la première fois la flotte complète de l’Alliance aux prises avec l’Empire, on rigole avec un robot cynique, on ouvre la bouche devant des paysages sublimes, on frémit en voyant Jyn Erso personnifier la liberté.

Mais Rogue One est surtout un excellent film, construit comme une tragédie, qui porte en lui des thèmes résolument modernes — de la lutte contre l’oppression à l’action directe en passant par la complexité des forces géopolitiques qui ne sont jamais des absolus ou la souffrance en temps de guerre.

Pour ne rien gâcher, le tout est porté par un casting lumineux et une réalisation qui mêle moments de grâce panoramiques et plans intimes, caméra à l’épaule. Oui, Gareth Edwards a la Force avec lui.


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