Alors que les industriels se plaignent de l’importance prise par les « patent trolls », qui n’ont pour seul objectif que l’acquisition de brevets souvent contestables dont elles se servent pour soutirer des royalties, la France lance son propre « patent troll » souverain. L’Etat et la Caisse des Dépôts lancent ce jeudi la société France Brevets, qui a pour objectif de réunir « au moins 10 000 familles de brevets » qu’elle commercialisera dans le monde entier.

La ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, le ministre de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, Eric Besson, et le commissaire général à l’investissement, René Ricol, donnent ce matin à la chambre de commerce et de l’industrie de Paris le coup d’envoi de « France Brevets« . Un projet qui fait de cette société commerciale commune de l’Etat et de la Caisse des Dépôts un acquéreur et revendeur de licences de brevets, que les chercheurs seront encouragés à déposer en plus grand nombre.

Constituée sous la forme d’une société par actions simplifiée, France Brevets est dotée d’un capital de 100 millions d’euros, dont la moitié issue du Grand Emprunt. « Le mode de fonctionnement de France Brevets sera de constituer un large portefeuille de droits de propriété intellectuelle, issus de la recherche publique et privée, de les valoriser en les réunissant en grappes technologiques et d’organiser leur commercialisation sous forme de licences auprès des entreprises, et notamment les PME« , explique la Caisse des Dépôts. « La première phase de son fonctionnement, d’environ douze mois, sera consacrée à l’expérimentation et la validation de ce modèle« .

Il y a un an, l’Elysée avait publié une synthèse (.pdf) sur la création de ce fonds d’investissement, qui expliquait que l’objectif de France Brevets serait de permettre aux PME de vendre plus facilement leurs inventions, en délégant leur commercialisation à la société étatique. Cette dernière pourra acheter des portefeuilles de brevets lorsqu’ils sont mis en vente, mais la plupart du temps France Brevets achètera une licence avec le droit de vendre elle-même des sous-licences à des clients du monde entier. « Le modèle économique du fonds repose sur sa capacité à réunir des droits portant sur un très grand nombre de brevets (l’objectif est d’au moins 10 000 familles de brevets), à constituer des grappes technologiques et à mobiliser des équipes de gestion et de valorisation du meilleur niveau international, pour licencier sans exclusivité ces grappes à l’échelle mondiale au plus grand nombre d’utilisateurs« , expliquait l’Elysée.

France Brevets sera directement intéressée par le fruit des licences de brevets, puisqu’elle prélèvera sur le prix des licences qu’elle vend une « rémunération des fonds propres engagés par le fonds« . Il faut donc s’attendre à ce que l’Etat soit particulièrement actif pour défendre ses brevets, avec le risque non négligeable de devenir lui-même un « patent troll« , véritable cancer de l’industrie. Une démarche à l’opposée de la Grande-Bretagne, qui vient de lancer un outils qui permet de lutter contre la profusion des brevets abusifs.

Loin d’être une bonne idée, la démarche française devrait participer à l’inflation des brevets, dont le nombre de dépôts annuels a doublé en moins de quinze ans. Une situation que nous avions analysée comme en partie responsable de la crise économique.

En 2008, les inspecteurs de l’Office Européen de brevets avaient dû se mettre en grève pour alerter sur l’octroi d’un nombre toujours croissant de brevets, dont ils ne peuvent plus vérifier correctement la légitimité. Or avec France Brevets, la France va nécessairement contribuer à accroître plus encore cette inflation de brevets qui empêchent les plus petites entreprises d’innover sereinement.

France Brevets signe dès aujourd’hui un premier contrat cadre avec l’Institut Télécom, pour qu’il lui délègue la gestion de ses brevets. Les établissements publics de recherche seront encouragés à déposer davantage de brevets, pour enrichir le portefeuille de France Brevets, et de leurs chercheurs.


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