Alors que les débats sur le projet de loi Hadopi 2 vont reprendre la semaine prochaine à l’Assemblée nationale, le Parti pirate (France) est désormais engagé sur le terrain politique à l’occasion des élections législatives partielles dans la dixième circonscription des Yvelines. L’occasion pour Numerama de s’entretenir avec Valentin Villenave, trésorier du Parti pirate et cadre du mouvement.

Numerama : quelles sont les principales positions du Parti pirate ?

Parti pirate : le Parti Pirate est un mouvement spontané de centaines de citoyens un peu partout en Europe et dans le monde, qui ne veulent plus se satisfaire de faux-semblants.
Nous vivons une époque unique dans l’histoire de l’humanité, où la technologie a mis à portée (pour ainsi dire) de tous l’accès aux patrimoines de culture, d’art, de savoirs et savoir-faire. Or loin de s’en réjouir et de favoriser ce processus, de nombreux acteurs puissants, qu’ils soient industriels, politiques, ou autres, tentent au contraire non seulement de l’entraver, mais pire encore, de s’en servir pour réaffirmer des rapports inégalitaires où dominent des intérêts privés.
Face à cela, certains baissent les bras, d’autres se révoltent ; nous tentons simplement, pour notre part, d’apporter des réponses.

La question législative sur le piratage remonte au moins à 2005, avec la loi DADVSI. Depuis, le Parti pirate s’est institué. Après quelques années d’existence, quel bilan tirez-vous de votre action politique ?

Ces lois ne sont que les derniers avatars d’une tendance globale qui prend naissance il y a plus de deux cents ans, avant de dériver tout au long du vingtième siècle vers les absurdités que l’on connaît aujourd’hui. À cette échelle, le Parti Pirate (et plus généralement, les mouvements de réappropriation du patrimoine immatériel de ces trente dernières années) est bien jeune et il est trop tôt pour mesurer un impact quel qu’il soit.

Nous pouvons observer, néanmoins, que dès son apparition notre mouvement a suscité bien des réactions, qu’elles soient d’espoir, d’enthousiasme (auprès des citoyens, des artistes), de peur (auprès de divers gouvernements) ou de convoitise (de la part de formations politiques existantes). Il est donc évident que notre arrivée n’est pas passée inaperçue, et que le potentiel est considérable.

Pourquoi avoir choisir de garder le nom de  » Parti pirate  » ? Ne craignez-vous pas que ce terme très connoté puisse desservir le mouvement, en particulier dans l’arène politique où les opposants n’hésiteront pas à exploiter ce terme pour vous marginaliser et vous discréditer ?

Curieusement, les seuls qui nous posent cette question sont toujours des gens qui connaissent déjà notre mouvement. D’après mon expérience personnelle, les citoyens que nous rencontrons comprennent toujours à quoi nous faisons référence, et saisissent immédiatement le second degré. D’ailleurs, de tous les Partis Pirates au monde (plus d’une trentaine à ce jour) aucun n’a jamais fait part d’une volonté de changer de nom. Si le terme doit faire naître des débats, c’est tant mieux : notre société gagnerait à avoir plus de débats de cette nature.

De plus, je découvre moi-même chaque jour à quel point nos sympathisants (qui pour la plupart n’ont jamais adhéré à aucun parti, voire jamais voté) partagent un sentiment très fort associé à ce terme de « piratage », bien au-delà de la question informatique. En tant que « simples » citoyens, c’est pour nous tous une manière de nous réapproprier des institutions dont nous nous sentons exclus, de « pirater » la vie politique afin de rafraîchir le débat démocratique.

Sur votre site web, il n’y a aucun organigramme, aucune présentation des cadres du Parti pirate, rien qui puisse montrer la légitimité de votre mouvement et votre capacité à défendre une autre idée du droit d’auteur. Pourquoi ?

Votre critique est justifiée ; d’ailleurs nous sommes en train de réécrire entièrement notre site (ce qui prend plus de temps que prévu) afin de le rendre plus attrayant et plus complet. Au demeurant, avoir un site d’apparence très léchée et rempli d’une terminologie aseptisée ne masque jamais l’absence d’une réflexion mûrie et pertinente ; c’est pourquoi nous ne regrettons pas non plus d’avoir passé plus de trois ans à travailler nos dossiers.

Quelles sont vos propositions sur la propriété intellectuelle et son adaptation au XXIe siècle ? Souhaitez-vous l’aménager ou l’abolir entièrement ?

Il m’est difficile de répondre à cette question, dans la mesure où le terme que vous employez (« propriété intellectuelle ») regroupe un peu de tout, d’une façon pas très claire (ni toujours très honnête en politique).

Si par « propriété intellectuelle » vous entendez « droit d’auteur », alors la réponse est : non, il est hors de question d’abolir le droit d’auteur. Reste à savoir de quel droit l’on parle : un auteur a toute sortes de droits sur son œuvre, à commencer par le droit de la garder dans un tiroir et de ne rien publier. Dès lors qu’il fait le choix de rendre public le fruit de son travail, doit s’instaurer un équilibre délicat : favoriser les intérêts de l’auteur, c’est défavoriser les libertés des citoyens, et inversement. Ces derniers 200 ans, l’évolution ne s’est faite que dans un sens, c’est-à-dire au détriment des libertés civiques. De plus les intermédiaires se sont multipliés entre l’auteur et le public : éditeurs, maisons de disques, sociétés de gestion de droits, etc.

Aujourd’hui, il est plus que temps de retrouver un équilibre ; les licences dites « libres », par exemple, proposent des solutions extrêmement intéressantes — cependant elles ne concernent que les œuvres à venir, non celles qui sont déjà écrites, et pas non plus le domaine public (lequel subit également un déséquilibre croissant). Comme vous le voyez, nous n’essayons pas de nier la complexité de la question, mais au contraire d’en envisager les implications de façon globale et pertinente.

Et pour revenir à votre question d’origine, la « propriété intellectuelle » c’est aussi les brevets (notamment en matière pharmaceutique ou biotechnologique), le droits des marques, le droit à l’image etc. Dans ces domaines aussi nous avons entrepris une réflexion de fond — que je ne pourrais développer ici.

Lors des débats sur l’Hadopi, le Parti socialiste avait proposé une contribution créative pour financer la filière. Quelles sont vos propres propositions pour l’industrie culturelle ?

Un certains nombre des acteurs de l’industrie culturelle, pour reprendre votre terme, en sont venus dans les dernières décennies à considérer certains avantages comme acquis, alors qu’ils étaient dûs à des modèles transitoires (le prix du CD en est un exemple typique). Ce genre de « rentes », de quelque façon qu’on l’envisage, est en train de disparaître. On peut s’en désoler, on peut désigner autant de boucs émissaires, faire voter autant de lois sur-mesures qu’on voudra, c’est à peu près inéluctable.

De ce fait, la relation public-auteur s’en trouve chamboulée ; pour beaucoup la solution est de zapper les intermédiaires, en revenant grâce à Internet à des systèmes d’auto-production ou de distribution directe, des artistes d’envergure modeste à certains groupes de rock célèbres.

Alors, y a-t-il encore un avenir pour les maisons de disques, producteurs, médiateurs en tous genres ? Il est trop tôt pour le dire mais il me semble que les milieux culturels sont (heureusement) assez variés pour ne pas se résumer à une poignée d’industriels en déroute. La plupart de ces gens sont aussi là pour faire leur travail avec honnêteté et talent, en respectant les auteurs et les citoyens, et beaucoup se rendent compte qu’ils peuvent s’adapter aux nouveaux modèles au lieu de les rejeter de toutes leurs forces, comme ces quelques sociétés de gestions de droit d’auteur qui commencent à reconnaître les licences alternatives (pas en France, malheureusement).

De quelle façon comptez-vous la mettre en place ? Tous les artistes auront-ils l’obligation de passer par ce système ? Quel organisme sera chargé de collecter cette taxe et comment se fera la répartition ? Les internautes devront-ils passer par des plates-formes homologuées pour compter le nombre de téléchargements ?

En ce qui nous concerne, l’idée d’une « licence globale », « contribution créative » ou quel que soit le nom qu’on lui donne, n’a pour vocation principale que de rassurer les industriels dont je parlais plus haut. C’est une n-ième tentative de pérenniser les « rentes » que j’évoquais.

La question de la répartition est effectivement cruciale et a pour l’instant été soigneusement évacuée par tous les partisans de cette proposition ; pour notre part nous sommes assez pessimistes quant à la manière dont un tel système serait mis en place. Le précédent que constitue la taxe sur les supports vierges « pour soutenir les artistes » (et qui perdure bien que la copie privée ne soit plus autorisée) n’est pas de nature à nous rasséréner.

Si nous avions confiance en un gouvernement pour ne pas privilégier les intérêts de tel ou tel lobby au regard de l’intérêt des citoyens, nous serions disposés à trouver l’idée séduisante. À l’heure actuelle, ce scénario relève hélas de la science-fiction.

Estimez-vous que la licence globale puisse être déployée dans chaque compartiment de la culture ? Doit-on faire une taxe commune ou une part secteur culturel, au risque d’arriver à un prix final assez élevé ?

Je crois que mes réponses ci-dessus couvrent également cette question.

Suite à l’adoption de DADVSI en 2006, le Parti pirate français s’est scindé en deux. Quelles ont été les raisons de cette scission ? N’avez-vous pas le sentiment d’avoir fragilisé le mouvement pirate en France ?

Ce résumé est incorrect. Le Parti Pirate est né (en France) de l’indignation qui a accompagné la loi DADVSI. À cette époque il n’existait que le Parti suédois, et il n’était pas encore question d’un Parti Pirate International qui regrouperait un jour plus d’une trentaine d’entités ! De ce fait, les débuts du Parti Pirate en France furent provocateurs, radicaux, viscéraux.

En à peine deux mois d’existence, nous avons vu émerger les premières tentatives de collectifs similaires tentant, au mieux de cohabiter avec nous, au pire de récupérer une part de notre notoriété. La France doit constituer un terreau particulièrement fertile pour les Partis Pirates (ou « réseaux pirates », variante), puisque c’est le seul pays où l’on a pu dénombrer plus d’une demi-douzaine de ces mouvements !

En 2007, un de nos administrateurs, nostalgique du ton extrémiste et provocateur du tout début, a fondé (non sans humour) le « Parti Pirate – Canal Historique ». Plutôt qu’une scission, c’est ce qu’on appellerait un « fork » en logiciel Libre : un projet d’orientation différente, pas vraiment concurrent, pas vraiment ennemi — ou ami — non plus. Les membres du Canal Historique étaient souvent inscrits également chez nous, et, la tendance s’accentuant, au fil du temps ce collectif a perdu sa raison d’être.

Depuis quelques temps, il est question d’une fusion entre le Parti Pirate Français Canal Historique et votre parti. Pourtant, aucune annonce officielle conjointe n’est venue entérinée ce rapprochement. Avez-vous des divergences idéologiques particulières ?

Je crois que ma réponse ci-dessus couvre votre question. Comme je vous le disais, peu d’entre nous aiment les grands mots et les annonces fracassantes — du reste je ne sais pas si l’on peut (doit ?) parler de « fusion ». Pour ce qui est des divergences, nous n’en avons pas plus vis-à-vis de l’ex CH qu’au sein même de notre mouvement ou vis-à-vis d’autres pirates à l’étranger. Mais pas d’inimitié ni d’incompatibilité, c’est l’essentiel.

La loi Création et Internet a également été l’occasion de voir apparaitre une nouvelle formation politique traitant des mêmes problématiques que votre mouvement. L’existence de trois partis se revendiquant du mouvement pirate ne risque-t-il pas de brouiller les électeurs potentiels, en éparpillant les soutiens ?

Le 8 juin 2009, au lendemain (littéralement) des élections européennes qui ont vu la victoire du Parti Pirate de Suède, nous avons assisté à l’apparition d’un blog, et d’un groupe Facebook, intitulé « Parti Pirate Français ». (Juste pour anecdote, nous avons précisément rejeté cette appellation lors de notre fondation, pour éviter les initiales « PPF » qui étaient également celles d’un parti populiste d’avant-guerre.)

Nous avons cru à un canular, puis à un n-ième « parti » concurrent comme nous en avions vu tant d’autres. Nous avons vite découvert (à nos dépends) que ce nouvel arrivant se distinguait par : son « plan médias » bien pensé, son goût prononcé pour les liens paypal, et sa propension à entretenir une confusion avec notre mouvement.C’est à l’évidence une démarche politicienne, dans tous les sens du terme.

D’ailleurs, le responsable de ce mouvement, un étudiant à l’Institut d’Etudes Politiques, a d’ores et déjà annoncé vouloir se positionner pour les élections régionales françaises de 2010. Avez-vous eu l’occasion de le contacter ? Et de votre côté, quelles sont vos prochaines échéances électorales et vos ambitions politiques ?

Disons que ce dossier est en cours. En ce qui concerne les échéances électorales quelles qu’elles soient, notre stratégie est simple et franche : nous nous présenterons de façon systématique, partout où nous en aurons la possibilité matérielle. Ainsi nous venons d’entamer notre première campagne officielle pour les élections législatives partielles de la 10ème circonscription des Yvelines, derrière une candidature (impeccablement) portée par Maxime Rouquet et Laurent Le Besnerais.

Quand aux régionales, nous travaillons sur ce dossier depuis longtemps déjà — mais il est toujours valorisant d’être une source d’inspiration pour autrui.

Aux élections européennes, le Parti pirate a obtenu 7,1 % des voix et un siège au Parlement européen. Mais ce succès repose très nettement sur le procès de The Pirate Bay en Suède et sur la forte expérience politique de certains cadres du parti. Un même parcours sera sans doute difficile à réitérer en France, d’autant que Jérémy Zimmerman, co-fondateur et porte-parole de la Quadrature du Net, a estimé que la question la question des libertés individuelles dans l’environnement numérique est transversal à tous les partis politiques…

Je connais Jérémy, et ne suis pas vraiment surpris. C’est d’ailleurs faussement contradictoire avec notre démarche, puisque nous ne cherchons aucunement à nous inscrire de manière figer sur l’échiquier politique traditionnel « gauche/droite » — qui s’est d’ailleurs considérablement vidé de son sens à la fin du vingtième siècle. L’adjectif « transversal » pourrait donc nous convenir à merveille, d’ailleurs, vous le voyez, je le… pirate ici-même séance tenante.

Il est difficile, nous en sommes conscients, de faire son entrée dans un espace médiatique déjà chargé, où, de prés carrés en plates-bandes, l’un ou l’autre est habitué à « posséder » en exclusivité telle ou telle problématique. En France et ailleurs, nous avons cependant pu rencontrer beaucoup de gens extraordinaires, et la plupart du temps nous suscitons plutôt curiosité et enthousiasme que méfiance ou désintérêt ostensible.

De surcroît, nous nous sommes toujours gardés de prendre position pour l’une ou l’autre chapelle, et sommes en contact avec toutes sortes de collectifs, qu’ils défendent la démocratie, la culture, les licences Libres, les consommateurs, etc. Nous espérons pouvoir conserver à l’avenir cette position privilégiée, qui nous permet de nourrir notre réflexion sous des angles différents. Avec les citoyens, artistes ou programmeurs, jeunes ou moins jeunes, nous tâchons de constituer un point de convergence, un espace de dialogue et d’échange. C’est aussi cela, être Pirate !

Merci Valentin.

Nouveauté : Découvrez

La meilleure expérience de Numerama, sans publicité,
+ riche, + zen, + exclusive.

Découvrez Numerama+

Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.