Avant que BitTorrent ne leur vole la vedette, Razorback et le réseau eDonkey (eMule) étaient les outils préférés des Français pour partager des contenus sur Internet. Après le dépôt d’une plainte par les industries du cinéma, le plus gros serveur eDonkey au monde a été saisi en 2006, et une chape de plomb s’est depuis abattue sur la procédure pénale. Dans un livre, Alcatraz Numérique, l’avocat de Razorback explique pourquoi et dénonce les pratiques des plaignants et l’attitude passive (voire complice) de la justice suisse.

Alors que l’affaire The Pirate Bay s’est déroulée au grand jour jusqu’à son procès à Stockholm, une autre affaire pénale beaucoup plus discrète liée au Peer-to-Peer est toujours en cours d’instruction, en Suisse. Celle de Razorback, qui était encore le plus gros serveur eDonkey au monde jusqu’à sa saisie en février 2006. Son avocat, ulcéré par les méthodes des plaignants et par celles du parquet, a toutefois décidé de mettre l’affaire en lumière, en profitant du fait qu’il n’y a pas de délit de violation du secret de l’instruction en Suisse.

Il y a trois ans, Razorback était ainsi saisi par les autorités belges et suisses, sur plainte des industries du cinéma et de la musique. Depuis, l’affaire a montré les scandales qui hantent souvent les procédures pénales dans les affaires de lutte contre le piratage.

Dans L’Alcatraz Numérique, qui devrait sortir courant avril aux éditions Xenia, Sébastien Fanti, avocat de l’Association Razorback et de l’administrateur du serveur Bile666, dévoile les secrets d’une instruction pénale dont il dénonce les dysfonctionnements.

Ecrit pendant l’instruction pénale, le livre (dont Numerama publiera très vite les bonnes feuilles) révèle tous les secrets de l’affaire judiciaire qui oppose l’Association Razorback aux plus grandes majors du cinéma, représentées par la Motion Picture Association (MPA). Il dévoile les méthodes utilisées par les plaignants pour traquer les internautes, et assure qu’elles sont jugées illégales par les plus grands experts en matière de droit d’auteur et de protection de la vie privée, tant en Suisse qu’en Europe. Sans que la Justice n’y trouve à redire.

L’ouvrage raconte par exemple que l’instruction pénale a notamment permis de découvrir que la MPAA avait mandaté la société américaine Nexicon pour surveiller les activités des internautes européens, depuis une filiale norvégienne. Nexicon interrogeait le serveur Razorback 2 pour obtenir les adresses IP des internautes qui partageaient certains fichiers, notamment des internautes suisses, et envoyait ces données en Norvège et aux Etats-Unis pour y être stockées. Une pratique que la défense estime illicite au regard de la protection des données personnelles. Or si les relevés d’adresses IP étaient illicites, toutes les preuves d’infractions au droit d’auteur qu’apportaient les plaignants pour justifier d’un préjudice sur le territoire suisse tombaient, et l’affaire pouvait être close.

Le juge d’instruction a cependant refusé de reconnaître l’illicéité d’une telle pratique, au motif que les adresses IP relevées n’étaient pas accompagnées du jour et de l’heure du relevé, ce qui ne permettrait pas d’identifier les internautes, réputés utiliser des adresses IP dynamiques (qui changent tous les jours). Les adresses IP seules ne seraient pas selon le parquet des données personnelles protégées par l’équivalent suisse de la CNIL. Les accusés ont alors voulu pointer du doigt le fait que les adresses IP relevées pouvaient être fixes et qu’il était également très improbable que l’heure du relevé ne soit pas enregistrée dans les serveurs de Nexicon alors que c’est exigé par les procédures pénales contre les internautes, et que Nexicon affirme le faire dans ses broches commerciales. Mais l’appel a été rejeté au motif que Bile666 n’était pas lui-même listé dans les relevés d’adresses IP, et qu’il n’avait donc pas « d’intérêt à agir ». La pratique a donc pu continuer sans que personne ne puisse rien dire.

 » Il s’agit d’une instruction à charge menée par des juges qui pêchent plus par manque de compétences en la matière que par mauvaise volonté « , nous explique Me Fanti. Il dénonce  » le manque de courage de la justice qui n’ose pas poursuivre l’industrie du cinéma alors que celle-ci verse des preuves d’infractions l’accablant dans le dossier judiciaire de cette affaire à rebondissements « .

 » Tous les éléments permettent d’ouvrir une enquête à l’encontre de la MPAA (l’association américaine des studios de cinéma) et de ses membres, mais à ce jour les yeux de la justice sont restés fermés, préférant s’attaquer à David plutôt qu’à Goliath « , ajoute Sébastien Fanti.

Outre l’affaire Razorback, Me Fanti expose également des faits relatifs à l’affaire Logistep/Techland, qui a touché principalement la France. La société Logistep AG est en effet domiciliée en Suisse mais traque activement les internautes sur la Toile dans plusieurs pays. L’Association Razorback a dénoncé leur activité au Préposé suisse à la protection des donnéesn, et ce dernier a relevé le caractère illégal de la collecte et a transmis au Tribunal administratif fédéral le dossier ; il doit rendre leur décision ces prochaines semaines. Malgré l’avis défavorable du Préposé, Logistep AG continue aujourd’hui ses activités.

A suivre…


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