Qu’y a-t-il de mieux pour faire vaciller un géant qu’un autre géant ? Fort d’un double succès historique sur le marché des consoles de jeux vidéo avec ses deux premières PlayStation, Sony pouvait se sentir légitimement invincible il y a 20 ans. Pourtant, au moment d’enfoncer le clou et d’obéir à la règle du « jamais deux sans trois », le constructeur japonais faisait face à un obstacle de taille qu’il avait sans doute négligé du fait de débuts timides dans son secteur : Microsoft et sa nouvelle console, la Xbox 360, la seule à avoir réussi à battre PlayStation.

Il y a quelques semaines, la génération PS5 / Xbox Series fêtait déjà son cinquième anniversaire dans une indifférence qui en dit long (on a toujours un peu l’impression qu’elle n’a jamais vraiment débuté). Il faut dire que l’ère de la guerre des consoles semble révolue, tant PlayStation domine outrageusement un rival qui fait mine de ne plus en être un, ses porte-parole préférant désigner Netflix et TikTok comme concurrents principaux. On ne peut leur en vouloir : un an plus tôt, l’ancien boss de PlayStation tenait le même discours. À croire que la hache de guerre est enterrée depuis de longues années, Microsoft ayant sans doute essuyé le relatif échec de la Xbox One face à la PlayStation 4.

Cependant, si Microsoft a opéré bien plus vite que son rival un virage vers les services, misant sur un Xbox Game Pass aussi séduisant que peinant à être rentable, il en était tout autrement deux générations plus tôt. Débarrassé de Sega et surtout de Nintendo qui ne jouait délibérément plus dans la même cour, le géant de l’informatique anticipait fin 2005 la révolution des consoles de jeu en haute définition, coupant l’herbe sous le pied à un Sony trop sûr de lui, entamant un chapitre légendaire de son histoire – assurément le plus glorieux de l’ère Xbox. Car oui, sur d’innombrables aspects, la Xbox 360 a battu la PS3 en son temps.

Microsoft, un outsider dans l’ombre

On a tendance à l’oublier : pendant une très brève période, les quatre constructeurs de consoles de salon les plus prolifiques de l’histoire ont un jour cohabité. Alors que la guerre entre Nintendo et Sega semblait faire partie du passé, tant Sony avait ringardisé ses deux concurrents japonais avec la PlayStation, un nouvel acteur débarquait fin 2001 sur un marché dont la Dreamcast faisait encore officiellement partie. Microsoft, jusqu’ici connu auprès du grand public pour le système d’exploitation Windows, s’apprête en effet à lancer la Xbox, une machine d’une puissance folle dont près de 25 millions d’exemplaires seront distribués dans le monde. Un total certes très éloigné du record (qui tient toujours) de la PlayStation 2 et ses 160 millions d’unités, mais surtout supérieur à la GameCube de Nintendo, échec retentissant du côté d’un ex-leader du secteur en grande difficulté.

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La guerre d’E3 a eu lieu (en vrai, c’était pour la blague car la photo date du TGS 2001). // Crédit : Wikimedia Commons

Cependant, l’étape suivante chez Microsoft, le grand public ne la voit pas venir. Et ça, ce n’est pas très grave : le problème est que Sony ne la voit pas venir non plus, ce qui n’est pas du tout du même ordre. Probablement trop mis en confiance par les succès phénoménaux de ses deux premières PlayStation (à l’époque les seules consoles de salon à avoir atteint la barre des 100 millions de ventes), le géant japonais se croit sans doute invincible et s’imagine que faire cartonner la PlayStation 3 sera une formalité. Quand on compare en effet les statistiques de la sixième génération de consoles, le constat est hallucinant : en additionnant les ventes cumulées de la Dreamcast, de la GameCube et de la Xbox, on arrive à un tiers de celles de la PS2.

Sony ne compte pas se reposer tant que ça sur ses lauriers, mais atomiser la concurrence une fois de plus en reproduisant le coup de force de la PS2, à savoir une plate-forme multimédia dotée d’un lecteur vidéo qui assurera son succès au-delà des joueurs. Au milieu des années 2000, l’avenir est incarné par la haute définition, et Sony compte bien imposer le format Blu-ray dont il est en grande partie responsable de la conception. De son côté, Microsoft développe également une nouvelle génération de Xbox capable de lire et d’afficher des jeux en haute définition, mais n’envisage pas exactement de l’imposer sur le marché de la même manière que son rival…

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La PS2 (tout comme la Xbox) était déjà capable d’afficher des jeux en 16/9 en haute définition, comme par exemple Gran Turismo 4 en 1080i. // Crédit : Sony / Polyphony

Un lancement audacieux aux allures de pari

Si la première Xbox a connu un succès mesuré, elle n’en a pas moins marqué les esprits. Lors de son lancement à l’automne 2001, personne n’aurait imaginé qu’elle se vendrait mieux que la nouvelle console de Nintendo, d’une puissance pourtant très comparable. C’est donc avec beaucoup d’intérêt que les joueurs du monde entier suivent la sortie de la Xbox 360, ceci d’autant plus que sa sortie se fait quasi simultanément dans le monde entier en l’espace de deux semaines, une première dans l’histoire du jeu vidéo. Sortie le 22 novembre 2005 en Amérique du Nord, en Europe 10 jours plus tard et au Japon la semaine suivante, elle assure à Microsoft d’être seul sur le marché au moment des fêtes de fin d’année, car les nouvelles consoles de Nintendo et de Sony ne paraîtront que l’année suivante.

Si le line-up de lancement n’a rien de fondamentalement révolutionnaire, il embarque quand même de gros jeux tiers (FIFA 06, Need for Speed: Most Wanted, Quake 4 ou Call of Duty 2) ainsi que deux exclusivités conçues par Rare, le studio que Microsoft avait subtilement arraché à Nintendo quelques années plus tôt : Perfect Dark Zero et Kameo: Elements of Power. De façon plus surprenante, Namco livre en exclusivité le lancement Ridge Racer 6, rompant une tradition d’accompagnement des lancements de consoles PlayStation et témoignant de la capacité des éditeurs japonais à soutenir une machine en laquelle ils croient (et l’avenir leur donnera raison).

Mais surtout, Microsoft fait la différence avec l’excellente idée de ne pas imposer une console hors de prix d’entrée de jeu. En proposant une machine appelée Core System à 299 € d’un côté et un modèle baptisé Premium à 399 € de l’autre, le constructeur américain trouve le moyen de séduire un public qui sera rebuté un an plus tard par les ambitions trop élevées de Sony au lancement de la PS3. De manière étonnante, Microsoft semble presque avoir anticipé la gourmandise de son rival, et va l’attaquer sur son propre terrain, celui de l’offre marketing choc, qu’il avait rendue célèbre lors de l’E3 1995 en annonçant de manière ultra-efficace le tarif de la première PlayStation aux États-Unis. Pour rappel, Steve Race s’était contenté de dire « two nine nine » et rien d’autre, afin de marquer le coup face au reveal relativement loupé de la Saturn, et d’enfoncer SEGA.

Un tour d’avance

Avec cette approche agressive et surtout simultanée dans le monde entier, Microsoft réussit un très gros coup : prendre de l’avance sur une septième génération dont Nintendo va partiellement s’exclure, développant une Wii au succès certes immense mais en marge de la véritable nouvelle guerre des consoles désormais incarnée par PlayStation et Xbox. Grâce à une politique tarifaire d’apparence plutôt douce, et la souplesse d’ensemble de son offre, sans donner l’impression de vouloir imposer une nouvelle technologie à un public ni prêt ni équipé pour ça, Microsoft prend le temps de faire évoluer sa formule. Ce n’est qu’à partir de mi-2007 qu’arrive le premier modèle de Xbox 360 équipé d’un port vidéo haute définition, vendu 100 € moins cher qu’une PlayStation 3 aux débuts pour le moins compliqués. Tellement compliqués que Microsoft se permet même de troller son adversaire lors de la sortie française de la PS3 en mars 2007, avec une péniche restée dans les annales.

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La mythique péniche XBOX 360 💚 YOU entrevue sur la Seine lors du lancement parisien de la PS3. // Crédit : Wikimedia Commons

Si Sony finira par gagner une guerre décisive entre Blu-ray et HD-DVD (un support vidéo en haute définition dont un lecteur était disponible séparément sur Xbox 360), Microsoft restera pendant huit ans le leader d’un marché dont il était jusqu’ici un outsider, voire moqué par certains joueurs consoles qui ne voyaient en lui que le constructeur de Windows, avec ses blue screens of death et plantages en tous genres. Cela dit, la Xbox 360 connaîtra, elle aussi, sa polémique maison avec le célèbre Ring Red of Death, occasionnant une quantité hallucinante de pannes dans le monde entier, et qui nuira quelque peu à l’image de marque de Microsoft. La PS3 aura bien son équivalent avec le YLoD (pour yellow light of death) mais dans des proportions plus mesurées.

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Le tristement célèbre « Ring Red of Death » (RRoD) de la Xbox 360. // Crédit : Numerama

La force des exclusivités

Cependant, les soucis de fiabilité de la Xbox 360 ne l’empêcheront jamais de dominer le marché pendant une génération entière. La complexité de développer des jeux sur PS3, à cause en partie de son processeur Cell, contribue à l’excellente réputation d’une console Xbox sur laquelle quasiment tous les gros jeux multi-support tournent mieux (notamment Grand Theft Auto IV ou Red Dead Redemption), lorsqu’il ne s’agit pas de véritables versions supérieures comme pour Bayonetta — objectivement reconnu comme largement meilleur sur Xbox 360. Mieux encore : la console américaine arrive à séduire plus que d’ordinaire le public européen et même japonais, grâce à une myriade de J-RPG qui ignoreront même la PS3 pour certains, comme Blue Dragon ou Lost Odyssey. Symbole d’une trahison ultime pour les joueurs PlayStation : Final Fantasy XIII fut initialement annoncé sur Xbox 360, mettant fin à une série de cinq épisodes principaux de la mythique licence de Square exclusivement sur la machine de Sony…

D’une manière générale, la Xbox 360 accueillera de nombreuses exclusivités, en plus de populariser un peu plus des licences comme Fable, Forza Motorsport ou Halo, et de presque créer un genre influent avec Gears of War. On retiendra notamment Dead Rising de Capcom ou l’excellent Alan Wake de Remedy, titre culte de toute une génération, mais aussi et surtout le tour de force négocié par Microsoft en s’assurant l’exclusivité temporaire des contenus additionnels de Grand Theft Auto IV, proposant fin 2009 un pack Xbox 360 Elite aux couleurs de l’édition intégrale du jeu. Devinez quoi : l’auteur de ces lignes craqua à l’époque pour sa première console Xbox uniquement pour cette raison, avant de s’habituer à un écosystème qu’il continue de consommer aujourd’hui. Un tour de force, on vous dit.

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En 2009, Microsoft obtint l’exclusivité temporaire des DLC de GTA 4, et certains n’avaient pas envie d’attendre leur arrivée sur PS3. // Crédit photo : Guillaume Leviach

La vraie gagnante d’une génération

Portée par un marketing efficace dans le monde entier, bien que cartonnant surtout aux États-Unis où se feront un peu plus de 50 % de ses ventes, la Xbox 360 ne verra jamais ses ventes faiblir, et elle aurait probablement atteint les 100 millions de ventes si Microsoft n’avait pas commis un péché d’orgueil quasi fatal avec la Xbox One en 2013. Commettant à son tour une erreur par excès de confiance en dévoilant une machine dont Sony saura se moquer avec efficacité, Microsoft ne réussira pas à reproduire l’exploit d’une console invaincue durant ses huit années de commercialisation, bien que rattrapée en fin de vie par une PS3 plombée par un retard à l’allumage aussi historique qu’anormal.

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Comparaison de l’évolution des ventes de la Xbox 360 et de la PlayStation 3. // Source : Oscar Lemaire / Ludostrie

En fin de compte, la PlayStation 3 a écoulé quelques 3,4 millions d’unités de plus que la Xbox 360, grâce notamment à une longévité supérieure et une puissance marketing accrue en seconde partie de vie. Mais, sur cette génération, tout le monde garde l’image d’un Microsoft vainqueur, grâce aussi à l’efficacité d’un Xbox Live dont Sony tardera à s’inspirer pour mieux vendre le PlayStation Network à sa clientèle. Si, 20 ans plus tard, on ne peut qu’amèrement constater la supériorité manifeste de Sony sur Microsoft en termes de ventes de machines, et que l’on en vient même à légitimement s’inquiéter pour l’avenir des consoles Xbox, cet écosystème fut un jour celui que les joueurs du monde entier ont privilégié. Plus que jamais, la Xbox 360 reste LA machine qui a su aller battre PlayStation sur son terrain, et il convenait d’en célébrer dignement le 20ème anniversaire !

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