En fin de semaine dernière, le Daily Beast embarrassait Facebook et Oculus par des révélations sur les investissements de Palmer Luckey, le jeune fondateur de la société dédiée à la VR. Ce dernier aurait en effet engagé plusieurs milliers de dollars de sa fortune pour soutenir l’extrême droite américaine.

Vendredi dernier, le Daily Beast, en analysant des discussions ayant eu lieu sur Reddit, mettait en évidence l’influence de Palmer Luckey dans la création d’un groupe de trolls malveillants, propageant racisme, réaction et harcèlement misogyne, nom de code Nimble America. Comme le montraient les journalistes américains, le fondateur d’Oculus ne se cachait pas dans un premier temps d’être NimbleRichMan le principal donateur de l’association d’internautes.

Depuis, le jeune ingénieur a révisé sa défense, et affirme qu’il n’est pas la personne se cachant sous ce pseudo et que s’il a bien fait des dons à Nimble America, il n’avait pas conscience des véritables objectifs de celle-ci. Même si le premier post, depuis supprimé, fondateur de l’organisation, semblait plutôt clair : « Announcing Nimble America, Inc., a social welfare 501(c)4 non-profit dedicated to shitposting in real life.  »

 

Dans un changement de tactique peu délicat, Luckey devient libertarien, une manière très simple de se mêler à la foule des idéologies politiques qui règnent sur la Sillicon Valley, dans laquelle on trouve des individus aussi réactionnaires que Peter Thiel. Le fondateur d’Oculus explique qu’il ne votera pas Trump — après avoir dépensé 10 000 $ pour son soutien — mais Johnson, le candidat libertarien dont vous avez entendu parler car il ne sait pas ce qu’est Alep. L’idée n’est pas mauvaise : plutôt que de prendre parti, Luckey prétend vouloir voter pour celui qui n’a aucune chance de gagner et ne rentre ainsi pas dans la confrontation propre au bipartisme.

Palmer Luckey est en train d’être éjecté médiatiquement de la sphère d’influence de Facebook

Entre temps, Facebook a clarifié le statut de Luckey : il n’est pas un employé de la société, il ne faut donc pas considérer ses agissements et investissements comme des engagements pris au nom du réseau social. Des développeurs ont commencé à organiser un boycott de sa plateforme bien connue, l’Oculus Rift, et un par un, les employés d’Oculus expliquent que leur entreprise n’a plus rien à voir avec son fondateur. En somme, Palmer Luckey est en train d’être éjecté médiatiquement de la sphère d’influence de Facebook afin que le réseau social ne paye pas de sa crédibilité progressiste les agissements d’un jeune homme qu’elle a rendu millionnaire.

Un conte de fée de la Sillicon Valley

Car avant d’être érigé comme emblème du trumpisme malveillant et trempant dans le suprématisme blanc, Palmer Luckey a d’abord connu un formidable conte de fée comme seule la Sillicon Valley en produit encore.

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Avant le rachat d’Oculus VR pour 2 milliards de dollars par Facebook, il y a un jeune homme seul dans sa chambre, passionné de jeux vidéo et inspiré par la réalité virtuelle. Une technologie qui malgré l’intérêt de certains joueurs n’est pas encore développée de manière à séduire tous les gamers — et l’industrie. Jugeant les rares casques existants comme trop lourds, pas assez qualitatifs, le jeune joueur va alors s’essayer à la construction de son premier Oculus Rift. Racontant ses avancées dans sa recherche sur un forum, il y obtient ses premiers soutiens et l’aide qui lui permettra de fabriquer son premier casque destiné à son usage personnel.

Motivé par des personnes admiratives de son travail, il transformera son casque en prototype pour une réalisation de plus grande envergure. Et ainsi est née la société Oculus VR. Viendra quelques temps après le premier Kickstarter qui rendra l’Oculus Rift célèbre et permettra au jeune homme de revendre sa société à Facebook au prix fort.

En fin de compte, ses confrères et ses clients pourraient laisser de côté les opinions politiques d’un ingénieur. Car en effet, il est libre de voter pour qui il le souhaitera à la prochaine présidentielle américaine. Néanmoins est-il vraiment libre de cacher ses croyances politiques les plus profondes ? Suivent à cette première interrogation deux autres questions ouvertes : comment les inventeurs d’aujourd’hui, qui forment le monde de demain, pourraient-ils être politiquement neutres ? Comment les objets créés par les entreprises de la tech répondent à des objectifs politiques ?

La neutralité de la Sillicon Valley est une duperie, notamment lorsque l’on parle de poids technologiques comme Facebook ou Google. Ce n’est pas seulement par curiosité qu’il faut s’intéresser aux opinions politiques des leaders d’Alphabet ou d’Elon Musk, mais bien parce que leur rôle politique, au sens strict du terme, est considérable et nous avons le devoir de leur demander des explications sur les projets qui vont changer la société en profondeur. Et inversement, ces leaders doivent être en mesure de donner des réponses.

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Eh oui, les inventeurs de la Sillicon Valley ne sont pas seulement des petites mains de la technologie, ce sont des leaders politiques et économiques qu’il faut comprendre comme ils s’imaginent : des dessinateurs du futur. Et à ce titre, les vues politiques de Luckey peuvent être inquiétantes.

Luckey sur les pas de l’alt-right

Une recherche plus approfondie sur les véritables positions de Palmer Luckley sont à ce titre nécessaires. D’autant qu’elles mettent bien à mal son discours de prétendu libertarien et viennent confirmer un tempérament radical et clairement réactionnaire.

Ainsi Motherboard va pointer plusieurs like sur Twitter qui sont notamment destinés à des tweets de sa petite amie Nikki Moxxi qui elle, a moins de mal à avouer qu’elle soutient Trump — et le gamergate, mouvement sexiste porté par le tribun d’extrême droite Milo Yiannopoulos. Mais également à WikiLeaks quand le groupe va parler, puis regretter de l’avoir fait, du présumé état de santé de Clinton ou encore d’autres posts islamophobes. Si bien sûr le like ne vaut pas consentement, ceux-ci dressent un intéressant parallèle qui éclaire le scandale mis en valeur par le Daily Beast.

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Chez VentureBeat, un autre journaliste ami avec le jeune homme sur Facebook souligne à quel point il n’est pas surpris de la découverte du Daily Beast : il a souvent vu le jeune homme tenir des propos faisant référence aux logos et lieux communs de l’aile la plus droitière des Trumpistes et du board très droitier (/pol) de 4chan.

Il tentait alors d’invoquer un argument bien connu selon lequel les prises de position du Président Obama sur les violences policières encourageraient les crimes envers les policiers. Luckey reprend alors à son compte des termes des proches de la NRA (LEO) ou encore des codes utilisés sur 4chan pour ridiculiser un interlocuteur (le greentexting) en citant un adversaire en précédant ses propos d’un >.

Dans ces cas, le texte devient vert sur le board : c’est une tradition permettant de mettre en évidence le ridicule d’un propos. Le procédé humoristique semble plutôt incongru lorsqu’il s’agit de la mort d’un policier… à moins d’adopter un cynisme à toute épreuve.

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Le journaliste de VentureBeat n’en tire pas des conclusions définitives, et il n’est pas question de s’y livrer, mais la syntaxe et le verbiage de Luckey le rapproche inévitablement des personnes auxquelles il prétend ne pas appartenir : les trolls de l’alt right, la droite alternative, qui cette année jouent un rôle important dans la campagne républicaine, à l’instar de Milo Yiannopoulos, déjà cité.

D’autres preuves existent pour continuer d’étayer le trumpisme de Luckey : ainsi peut-on, tout simplement, le voir se prêter au jeu de l’interview en plein meeting de l’homme politique en Californie. Mais le portrait est déjà dressé.

Un dessein politique pour le Rift ?

Enfin, un élément qui donne au corpus idéologique du jeune ingénieur sa cohérence et montre à quel point ses vues politiques peuvent avoir une influence sur son travail vient de Wagner James Au, journaliste pour Wired qui en février dernier livrait un portrait de Luckey avec un angle moral : La VR rendra la vie meilleure — ou sera seulement un opium pour les masses.

L’angle choisi prend, selon Au lui-même, un nouveau sens au vu des dernières découvertes sur le jeune homme et montre à quel point il est important de comprendre le produit créé — le Rift ici — dans un ensemble intellectuel s’attachant aussi bien à la société qu’à une lecture du monde contemporain.

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Lorsque Luckey, par exemple, suggère que les pauvres pourraient être des cibles de choix pour la réalité virtuelle, il ajoute que ces derniers auraient « une plus grande motivation à échapper à la réalité. » Ce qui selon Au pourrait passer pour de l’utopisme technologique s’avère bien différent lorsqu’on le comprend en prenant compte des dernières révélations. Et là, le discours de Luckey devient bien plus sombre.

Au écrit ainsi : « En tenant compte de son soutien à Trump, la pensée de Luckey prend un nouveau sens. Parce que si vous désirez un monde avec des murs pour tenir éloignés les réfugiés tout en permettant aux plus riches de payer toujours moins d’impôts, ne voudriez-vous pas effectivement un moyen de garder les masses anesthésiées ?  »

Ne voudriez-vous pas effectivement un moyen de garder les masses anesthésiées ?

En réalité, bien plus qu’un brillant ingénieur aux relents conservateurs, NimbleRichMan-Luckey est également un ingénieur mettant sa richesse et sa contribution à la technologie en perspective d’un projet de société qui semble désormais plus large. Ce dessein politique, tant qu’il restera indéfini et caché derrière des pseudonymes, devra inquiéter le consommateur et le citoyen.

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Le monde dans lequel les sociétés technologiques pouvaient plaider à une neutralité politique est bien terminé depuis que leur réel pouvoir sur nos vies est avéré et qu’elles ont un rôle dans le destin de nos sociétés. Luckey sous son pseudonyme l’explique lui-même : « La révolution américaine fut produites par de riches individus. Vous ne pouvez pas vous battre contre l’élite américaine sans une sérieuse puissance de feu. »

Parlait-il de l’argent, ou de l’objet qui pourrait anesthésier les masses ?

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