Si votre accès à internet est utilisé à plusieurs reprises pour pirater des oeuvres sur les réseaux Peer-to-Peer (eMule, BitTorrent…), vous risquez de recevoir un jour un questionnaire de l’Hadopi, pour savoir les mesures que vous avez prises pour éviter de nouvelles récidives. Mais attention, les réponses pourraient se retourner contre vous.

Pour se défendre face à la Hadopi lorsque l’on veut éviter une procédure expéditive (mais que l’on a de vrais arguments à faire valoir), la meilleure défense est le silence, avions-nous expliqué en 2011. En effet, l’autorité administrative n’a pas de pouvoir d’enquête autonome et n’a pas les moyens de prouver qu’il y a bien négligence caractérisée, lorsqu’elle décide d’étudier un dossier pour le transmettre éventuellement au tribunal.

La loi dit que l’abonné est coupable de négligence caractérisée si son accès à internet est utilisé à plusieurs reprises pour pirater des oeuvres, mais seulement s’il a omis de mettre en place un moyen de sécurisation, ou s’il a manqué de diligence dans la mise en oeuvre de ce moyen. Or les seuls PV d’infractions reçus par l’Hadopi ne suffisent pas à démontrer le défaut de sécurisation ou l’absence de diligence (qui en plus, doit être « sans motif légitime »). Au mieux, il y a un faisceau d’indices permettant de croire à l’infraction, mais la présomption d’innocence doit triompher.

Comme nous l’avions expliqué, le fait de s’obstiner dans le silence permet à l’abonné d’éviter la procédure simplifiée par laquelle il n’est pas convoqué, et oblige à une véritable enquête de police, bien plus lourde — ce qui s’est vérifié en 2013 lorsque la CPD a transmis un dossier en prévenant le parquet qu’elle était « dans l’impossibilité de constater si ces faits réitérés sont justifiés par un motif légitime« . C’est exactement ce que l’Etat veut éviter. En 2010, une circulaire avait demandé aux parquets « d’éviter, sauf cas particulier, qu’une seconde enquête soit diligentée par ces services lorsque les éléments fournis par la HADOPI sont suffisants pour caractériser la contravention de négligence caractérisée à l’égard du titulaire de la ligne« .

Pour réunir les preuves, l’Hadopi doit donc compter sur l’abonné qui livrera lui-même les éléments à charge, ou à décharge. C’est tout l’objet d’un questionnaire envoyé depuis la fin de l’année 2013 aux abonnés dont les cas sont examinés par la Commission de protection de droits, après de multiples réitérations. Rien n’oblige les internautes à y répondre, mais rien ne lui dit que c’est facultatif. Les réponses au questionnaire alimentent la gare de triage, et permettent éventuellement à l’Hadopi d’enrichir son dossier.

Voici les questions posées aux abonnés :

  • Avez-vous reçu la 1ère recommandation qui vous a été envoyée par mail, à l’adresse communiquée par votre fournisseur d’accès à internet ? (Oui / Non)

    S’il répond oui, l’abonné montre qu’il savait qu’il devait mettre en place un moyen de sécurisation, et qu’il a donc potentiellement été négligent en ne suivant pas la recommandation.
     

  • Avez-vous reçu la 2ème recommandation qui vous a été adressée par lettre remise contre signature ? (Oui / Non)

    Idem
     

  • Qu’avez-vous fait, après ces recommandations, pour que votre accès à Internet ne soit plus utilisé pour télécharger ou mettre à disposition sur Internet des oeuvres protégées (exemple : vérification de la présence de logiciels de pair à pair sur les ordinateurs, prise de contact avec votre fournisseur d’accès pour sécurisation Wifi, etc.) ?

    Il s’agit là d’écarter les dossiers pour lesquels les internautes apportent des réponses en apparence satisfaisantes, mais aussi éventuellement de fournir des éléments à charge aux procureurs si l’abonné ose répondre avec trop d’honnêteté « rien, j’attends que l’Hadopi fasse son travail« , ou quelque chose d’approchant.
     

  • Combien y a-t-il d’ordinateurs ou de tablettes à votre domicile ?

    L’objectif est de voir si la sécurisation d’un seul ordinateur suffit, à défaut de pouvoir sécuriser l’accès à Internet lui-même. Un logiciel de contrôle parental, par exemple, n’aura d’effet que sur l’ordinateur où il est installé. L’internaute qui aurait répondu à la question précédente « j’ai désinstallé BitTorrent sur l’ordinateur de mon mari » mais qui n’aurait rien dit des autres ordinateurs du foyer, dont ceux des enfants, pourrait être accusé de négligence.
     

  • Le ou les logiciels(s) de partage mentionné(s) dans la lettre de notification était-il (étaient-ils) installé(s) sur votre ou vos ordinateur(s) avant la réception de la lettre de notification ? (Oui / Non)

    Si oui, l’ (les) avez-vous désinstallé(s) ? (Oui, j’ai déinstallé les logiciels suivants…. / Non)

    Là encore, s’il répond « oui » puis « non », l’internaute prouve lui-même sa propre négligence. Et s’il déclare qu’il a désinstallé Bittorrent mais ne dit rien d’eMule, il court le risque d’être accusé d’avoir manqué de diligence.
     

  • Si l’option Wifi est activée sur votre boîtier de connexion à Internet
    – D’autres personnes utilisent-elles votre accès à Internet au moyen de ce réseau Wifi ?
    (Oui / Non)
    Avez-vous sécurisé ce réseau ? (Oui / Non)
    Si oui, de quelle manière (clé WEP, WPA2…) ?
     
  • Pouvez-vous nous préciser votre situation familiale et nous indiquer vos ressources et charges de famille ?

    Attention, celle-ci est particulièrement tordue ! En effet, comme nous l’expliquions en 2011, le code de procédure pénale prévoit que le tribunal ne peut mettre en oeuvre la procédure simplifiée d’ordonnance pénale que si « les renseignements concernant la personnalité, les charges et les ressources de celui-ci sont suffisants pour permettre la détermination de la peine ». A défaut, il faut en passer par une procédure plus exigeante, et plus respectueuse des droits de la défense. C’est un décret de 2010 qui oblige l’Hadopi à demander ces informations à l’abonné, mais rien n’oblige ce dernier à répondre.
     

  • Avez-vous d’autres observations à formuler ?

Depuis ses débuts, l’Hadopi a transmis 116 dossiers aux tribunaux, ce qui représente 10 % des dossiers examinés en dernière phase. « Chaque dossier transmis comprend, outre la délibération de la Commission, un procès verbal récapitulatif de la procédure qui reprend l’ensemble des faits qui ont été constatés, qu’ils aient ou non donné lieu à l’envoi d’une recommandation, et toutes les pièces utiles, en particulier les courriers échangés entre le titulaire de l’abonnement et l’Hadopi« , rappelle l’autorité.

Jusqu’à présent, 58 procureurs ont ainsi été saisis. « Sur les 23 décisions judiciaires rendues dont la Commission a eu connaissance, aucune décision de justice n’a remis en cause la validité des preuves transmises par l’Hadopi. À plusieurs reprises, la qualité et la complétude des dossiers ont été soulignées« .

Néanmoins, alors qu’elle était censée être la règle, la procédure d’ordonnance pénale n’a été appliquée que dans un seul cas. Dans les autres, c’est le tribunal de police qui a été saisi.

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