Contrairement aux manifestations d’Alexeï Navalny, principale figure d’opposition, le rassemblement tenu ce dimanche à Moscou avait été autorisé par les forces de l’ordre.
Toutefois, trois interpellations ont tout de même été comptabilisées par l’ONG russe OVD-Info. Selon elle, l’un des interpellés aurait été surpris dans la manifestation avec un tract pro-Navalny. Or, si les forces de l’ordre ont accepté le rassemblement contre la censure, il n’était pas question qu’il s’agisse d’un nouveau mouvement favorable au « candidat crédible » de l’opposition russe.
Pourtant, les mots d’ordre et les manifestants avaient quelque chose en commun avec les dernières manifestations organisés au début de l’été par Navalny et ses proches : des jeunes gens nombreux, une organisation numérisée et le désormais fameux slogan « La Russie sans Poutine » auquel a été ajouté pour l’occasion, « et sans censure ».
« La Russie sans Poutine, et sans censure »
La manifestation intervient à la fin de la première étape du processus de surveillance généralisé des télécommunications voulu par le Kremlin. La nouvelle armada législative a pris racine sur le terrorisme pour mieux étendre les prérogatives étatiques, jusqu’aux résultats exposés à la Douma récemment : saisine des clefs de chiffrement, conservation des historiques, des messages et blocage des éventuels services rétifs.
Les sanctions, après les menaces, ont pris une importance nouvelle avec le départ forcé des LinkedIn et autres Dailymotion. Le bras de fer entre Telegram et le Roskomnadzor, chien de garde du web russe, illustrait également le « tour de vis » du Kremlin.
À l’AFP, Pavel Rassoudov, ancien dirigeant du Parti Pirate, explique que Poutine voit dans le web libre un outil de déstabilisation de son pouvoir. Une opinion forgée par l’expérience de 2011, lorsqu’en campagne, le Président fit face à des manifestations historiques : « Les autorités ont alors compris qu’Internet était un outil de mobilisation, que cela amenait les gens à sortir dans les rues. »
La mobilisation des Moscovites fera-t-elle reculer un gouvernement prêt à forcer les opérateurs locaux à retenir plus de données que cela ne l’est techniquement possible pour eux ? Le coup de force du Kremlin est en effet techniquement bancal, voire contreproductif, mais l’important semble le geste pour le pouvoir poutinien. Après les attentats vécus sur le sol russe, le pouvoir trouvait une légitimité à entreprendre une telle censure.
Pour les manifestants, pro Navalny ou non, la manifestation était de fait un moment de contestation qui émaille, fébrilement, la politique russe à l’approche des élections. C’était aussi, pour une génération de trentenaires et d’étudiants, rassemblés sur le web et dans des ONG comme OVD-Info, d’exprimer leur rupture profonde avec l’autoritarisme du pouvoir fédéral. Cette jeunesse, désormais rompue à la manifestation et au militantisme, a un rapport très particulier au web qui lui sert de médium et de structure.
Bouton Rouge : un militantisme soutenu par le web
Ainsi, dans cette manifestation comme lors des précédentes, on trouvait sur les smartphones des participants, ??????? ??????, soit Bouton Rouge, l’application d’OVD-info créée par le jeune militant Alexander Litreev. Inaugurée lors des manifestations pro Navalny du 26 mars, lorsque l’opposant provoquait dans le pays des myriades de rassemblements, l’application fournit une aide juridique d’urgence à toute personne interpellée lors d’une manifestation.
Stigmate d’une opposition qui se structure grâce aux outils numériques, le Bouton Rouge avait attiré notre attention au lendemain des manifestations de mai, lorsque la correspondante du Monde, Isabelle Mandraud rencontrait des jeunes russes utilisant la fameuse application.
Interrogée par Numerama le 29 mai, la correspondante nous expliquait alors à propos d’OVD-Info et de l’application de Litreev : « Bouton Rouge est né à l’initiative d’un jeune programmeur de Saint-Pétersbourg, en réaction a l’ampleur des interpellations qui ont eu lieu lors des manifestations du 26 mars organisées à travers tout le pays par l’opposant Alexeï Navalny. Rien qu’à Moscou, les forces de sécurité ont interpellé 1043 personnes, dont des mineurs. Un record! » Elle détaillait également le rôle particulier que peut jouer un outil informatique dissident dans la Russie de Poutine : « L’application répond à ce besoin de s’organiser face à un pouvoir qui ne tolère pas la contestation ».
Le web pour l’opposition russe serait dès lors une nécessité, un espace vital pour se structurer selon la reporter : « En Russie, l’opposition, en proie par ailleurs à des divisions internes, est brimée, et interdite d’accès aux grands médias. Il n’y a pas de syndicats. […] Les réseaux sociaux, en Russie, jouent un rôle fondamental dans les actions de protestation. C’est le seul canal d’information et de diffusion pour l’opposition, le seul espace, également, où la critique s’exprime librement, malgré plusieurs affaires pénales ouvertes contre des internautes imprudents arrêtés pour ‘extrémisme’. Plusieurs cas ont été recensés. »
La crainte dès lors est de voir ces espaces se réduire pour les opposants, mais plus largement pour chacun.
Au printemps, le Kremlin interdisait des représentations de Poutine sur l’ensemble du web russe : manifestation ultime d’une censure arbitraire et autoritaire.
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