Explicitant pour la première fois qu'il s'agit bien de légaliser les pratiques d'échanges aujourd'hui illégales, et de ne taxer que celles qui enrichissent des intermédiaires, la Hadopi a annoncé mardi deux partenariats avec des instituts de recherche universitaire, pour concrétiser sa proposition.

Confrontée à la nécessité politique de proposer une alternative viable à la lutte contre le piratage pour éviter d'être absorbée par le CSA, l'Hadopi continue à naviguer à contre-courant de sa réputation en étayant son chantier sur une possible "rémunération proportionnelle du partage" (RPP) qui aurait pour effet de légaliser en tout ou partie les échanges d'oeuvres entre particuliers, en contrepartie d'une taxe payée par les intermédiaires commerciaux impliqués dans ces échanges.

La Haute Autorité a ainsi annoncé mardi la signature de deux contrats de partenariat de recherche, avec d'une part le laboratoire Regularity de l'INRIA pour l'examen des aspects économiques de la RPP, et d'autre part avec l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP) de l'Université de Nantes pour les aspects juridiques.

Ce dernier partenariat est particulièrement notable puisque c'est déjà le centre de recherche en propriété intellectuelle de l'Université de Nantes, dirigé par le professeur émérite André Lucas, véritable sommité du droit d'auteur en France, qui avait conclu en 2006 à la compatibilité de la licence globale avec le droit international dans une étude réalisée pour l'Alliance Public-Artistes. S'il juge, comme c'est probable, que la RPP est réalisable en droit français, et compatible avec les traités européens et internationaux, l'IRDP aura la charge, sous la direction du professeur Lucas, de proposer "un projet de rédaction des textes modificatifs nécessaires à inscrire dans le droit national". Un véritable pied de nez de l'Hadopi au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA), totalement inféodée au ministère de la culture et aux lobbys du cinéma et de la musique — que l'on sait opposés au projet de l'Hadopi.

Concernant la partie économique, le partenariat avec l'INRIA, qui a débuté en ce mois de novembre 2013 et se prolongera jusqu'à avril 2014, vise à "modéliser mathématiquement le dispositif afin, notamment, de vérifier sa viabilité théorique, sa capacité à générer des flux financiers suffisants, et ses externalités (négatives, neutre, positives)". Il s'agit en particulier de s'assurer, par des modélisations, qu'une rémunération de pratiques d'échanges gratuits, qui deviendraient légalisés, ne viendraient pas concurrencer de façon néfaste le marché actuel de l'offre légale marchande.

Une étude de la "réalité des pratiques" pour savoir qui taxer

De son côté, l'Hadopi se réserve la réalisation d'un "protocole d'observation spécifique pour estimer la densité marchande des différents écosystèmes de partage, dont ceux relatifs au pair-à-pair", qui "pourra s’appuyer sur des études déclaratives de type « carnet de consommation », sur des mesures directes ou encore sur des protocoles mixtes comme l'analyse des audiences". Il s'agit pour elle de déterminer qui sont les marchands dans les échanges non marchands, et dans quelle proportion.

Insistant sur la nécessité de prendre en compte "la réalité des pratiques", l'Hadopi précise qu'elle doit être capable de déterminer,  "selon des méthodes non-intrusives et transparentes" (et en particulier sans recourir à des sondes sur les réseaux) :

  1. le nombre d’occurrences (nombre de fois que l'usage amène à une consommation) ;
  2. les différents intermédiaires permettant effectivement cet usage ;
  3. le gain réalisé par chacun de ces intermédiaires par occurrence (obtenant ainsi le gain généré pour l’intermédiaire par usage concerné)
  4. un coefficient, tenant compte :
    – de l’impact de l’usage (à partir de critères tels que la qualité du contenu, sa récence, etc.) ;
    – de l’implication de l’intermédiaire (aspect accessoire ou non de l’usage dans l’activité, etc.).

In fine, cette étude des usages doit lui permettre de déterminer ceux qui ne justifient aucune rémunération car personne ne tirerait profit des échanges (un cas qu'elle estime d'ores-et-déjà "minoritaire"), ceux dont les gains réalisés par des intermédiaires sont trop faibles pour justifier de leur faire payer une rémunération, et ceux où les intermédiaires réalisent un gain suffisamment substantiel pour exiger une rémunération.

Pour la première fois depuis l'annonce de ses travaux, l'Hadopi dit explicitement que "le bénéfice de la contrepartie (licéité de l’usage) reste acquis pour les utilisateurs et les outils auxquels ils recourent" lorsqu'il n'y a pas de rémunération des échanges, et donc qu'il y aurait bien légalisation des échanges de toute nature.

"Le principe général du dispositif est de créer une rémunération compensatoire à ces usages en contrepartie de laquelle ils deviendraient licites, réinscrivant de ce fait les titulaires des droits dans la chaîne de valeur alimentée par leurs oeuvres, tout en permettant et le développement d’offres commerciales à forte valeur ajoutée et les innovations", résume la Haute Autorité.


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