La pratique toujours plus croissante de l’eSport, qu’elle soit en tant qu’amateur ou professionnel, n’a pas échappé à l’œil vigilant du gouvernement français. Dans le cadre du projet de loi pour une République Numérique, un tout nouveau contrat est actuellement en train de voir le jour, afin de permettre aux joueurs et à leurs employeurs de travailler dans des conditions législatives cadrées.
Toutefois, son élaboration n’est pas une mince affaire, puisque’il met en lumière de nouveaux enjeux, qu’ils soient politiques, juridiques ou encore économiques. Pour gérer les problématiques liées à la pratique de l’eSport et, entre autre, aux cadres juridiques déjà mis en place, l’association France Esports a vu le jour en avril 2016. Stéphan Euthine, Directeur Opérationnel de LDLC Event et secrétaire général de l’association, nous explique en détail le processus de création de ce nouveau contrat de travail.
Auto-entrepreneur, un statut bancal
Qu’ils soient pro ou semi-pro, les joueurs d’eSport sont régis, dans la grande majorité des cas, par le statut de l’auto-entrepreneuriat. S’il possède de prime abord des avantages visibles comme une liberté de gestion du temps de travail, de son employeur, et des charges réduites, les limites de ce statut se font vite ressentir à un niveau élevé.
Stéphan Euthine explique ainsi : « L’un des problèmes avec le statut d’auto-entrepreneur c’est que le joueur ne peut pas avoir un seul client. On ne peut donc pas contractualiser une exclusivité avec un joueur quand il intègre une équipe, hors, la plupart du temps, même s’il est théoriquement libre de jouer sous d’autres couleurs, un joueur entre en compétition avec une seule équipe. »
Temps de loisir ou temps de travail ?
Cette incohérence n’est pas sans effet : « Il n’y a donc pas de lien de subordination entre le joueur et son employeur. Ce n’est pas un problème en soi, sauf quand on veut par exemple définir des aménagements de temps de travail précis. Les gens ont tendance à trop jouer et il faut souvent les freiner. Un contrat de travail est donc primordial dans ce contexte.«
L’aménagement des heures de travail nécessite également quelques clarifications dans ce sens, qui s’avèrent parfois délicates : « On doit déterminer ce qui constitue le travail du joueur et son temps de loisir, afin de pouvoir clairement identifier 35 heures de travail dans un contrat. Un sportif qui fera son footing par loisir, en dehors du cadre des entraÎnements, ne sera pas payé pour cette activité, c’est ce genre de subtilité que nous devons déterminer pour les sportifs de jeux vidéo. »
L’absence de cadre juridique et contractuel dans la professionnalisation de l’eSport amène forcément à des problèmes législatifs. Certains joueurs en statut d’auto-entrepreneur ne connaissent pas leurs devoirs vis-à-vis de leur position. « Beaucoup de joueurs ne savent pas qu’ils doivent déclarer leur revenus, ou comment le faire », précise Stéphan Euthine « Ils ne savent pas comment cela fonctionne sur un plan légal.«
La France, pionnière dans l’approche juridique de l’eSport
De ce flou juridique naît alors des abus, ou du moins des pratiques jugées déloyales, que ce soit en France, mais également en dehors de nos frontières. Le contrat de travail du joueur de l’eSportif implique qu’une société soit prête à embaucher un joueur professionnel en France.
Le joueur sera donc payé selon la législation habituelle, comme un SMIC, avec des charges pour l’entreprise. Plus les salaires vont augmenter, plus les charges seront élevées. Se pose alors la question de l’emploi de joueurs français par des structures étrangères.
« Si on fait le compte, quand on a un joueur dans ces fourchettes de rémunération, on doit payer 82 % de charges sur un contrat », détaille Stéphan Euthine. « Un joueur français qui travaille en France et qui sera payé 2000 € coûtera en tout 3 600€ pour l’entreprise. En structure auto-entrepreneur, une entreprise hors de France ne va payer que les charges du statut auto-entrepreneur, c’est-à-dire 5 % la première année et 20 % les suivantes. Cet écart de compétition est impossible à tenir entre les structures françaises et étrangères, d’autant plus que les frontières n’existent pas avec Internet. »
Avec l’arrivée d’un tel contrat de travail en France, Stéphan Euthine espère que les autres gouvernements européens suivront la démarche, afin de niveler par le haut aussi bien les revenus des joueurs que les dépenses des entreprises.
Une majorité de semi-professionnels
Une des principales problématiques soulevée par la création de ce contrat reste le cas des joueurs semi-professionnels, qui représentent 90 à 95 % de la compétition selon Stéphan Euthine.
Stéphan Euthine ne cache pas son inquiétude : « Avec l’arrivée d’un contrat de travail, les structures associatives ou les plus modestes n’auront pas les moyens de salarier des joueurs, et si le joueur reste en statut d’auto-entrepreneur, il ne pourra pas être salarié d’une structure capable de le payer. Cette situation met en danger la condition des semi-professionnels et c’est un problème pour nous. »
D’autant que les joueurs ont tendance à débuter l’eSport en amateur, avant de remporter un peu d’argent puis de devenir progressivement pros. Il est donc à ses yeux nécessaire de favoriser leur évolution dans ce monde de la compétition.
Pour l’heure, la majeure partie des semi-pro ne sont pas rémunérés mais certains d’entre eux reçoivent des avantages en nature comme le défraiement lors de compétitions, que ce soit les déplacements, le logement, l’inscriptions aux tournois, etc. Léo Sillard, alias JuniorLéo, est joueur semi-professionnel de Street Fighter V depuis bientôt 2 ans : « Dans mon cas j’ai d’abord signé un contrat de 6 mois avec ma structure. À la fin de ces 6 mois, j’ai été prolongé d’un contrat d’un an et ainsi de suite. »
Il poursuit : « Malgré le fait que je sois sponsorisé, je n’ai pas de salaire et je ne suis donc pas joueur professionnel mais ‘seulement’ semi-professionnel (par manque de moyen de la structure). Il n’y a en France que très peu de personnes vivant réellement de l’eSport en tant que professionnels à part entière, mais il commence à y avoir plus de semi-professionnels. »
Le contrat est attendu pour 2017
De nombreuses spécificités sont donc encore à discuter pour la création de ce contrat, afin que la majeure partie des joueurs qui composent la sphère de l’eSport ne soient pas lésés par ces nouvelles conditions. «Les discussions ont avancé avec le gouvernement en vue de l’application de la loi République numérique. Il faut désormais attendre la rédaction des décrets d’application de la loi, nous gardons un contact permanent avec le gouvernement » explique Stéphan Euthine.
Le plus difficile reste encore de parvenir à jongler avec les législation d’ores et déjà mises en place, et la situation atypique de l’eSport. Encore aujourd’hui, il peine en effet à trouver sa place en tant que pratique. « On ne peut pas faire de révolution dans la loi, il faut qu’on trouve une case où s’intégrer. Le ministère des sports ne considère pas que nous sommes un sport, et il ne veut pas entendre parler de nous » regrette le secrétaire général de France Esports.
Il se montre aussi pragmatique : « Nous n’entrons pas dans une définition facile du sport, et je comprends les arguments contre. On fonctionne comme le sport mais on n’a pas de fédération, en eSport c’est l’éditeur le tout-puissant. Cela constitue un frein car un organisme privé est au-dessus de notre tête. Tout est encore à construire, et à terme peut-être que l’on pourra dépendre d’un fédération plutôt que d’une entreprise privée. En soi, l’écosystème esportif est à 95% similaire à un ecosystème sportif. »
La rédaction des décrets de l’article concernant le contrat des joueurs d’eSport devrait prendre forme d’ici le premier trimestre 2017, juste avant les prochaines élections présidentielles.
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