Le gouvernement, par la voix de la ministre de l’Intérieur Michèle Alliot-Marie, a confirmé mardi le projet de blocage par les fournisseurs d’accès à Internet des sites pédophiles installés à l’étranger. Un coup de maître politique. Comment faire front contre la morale la plus juste pour s’opposer à cette idée qui, sous ses aspects de protection de l’enfance, ouvre la porte vers une pente glissante menant à la censure la plus arbitraire du net ?

C’est comme si c’était fait. « Nous nous sommes mis d’accord : l’accès aux sites à caractère pédopornographique sera bloqué en France« . Mardi, à la sortie des Assises du Numérique, Michèle Alliot-Marie n’a laissé plané aucun doute sur le résultat des discussions entamées avec les FAI, qui s’engagent à bloquer l’accès aux sites de pédophilie qui leur seront notifiés. Une Charte sur la Confiance en Ligne doit être signée en ce sens dans les prochaines semaines, entre le gouvernement, les fournisseurs d’accès, les opérateurs mobiles, les fournisseurs de services en ligne, et les éditeurs. Puis une disposition de la future loi d’orientation et de programmation de sécurité intérieure (Lopsi), présentée à l’automne prochain, doit venir sceller le cadre juridique de ces opérations de filtrage.

Concrètement, une plateforme de dénonciation devra être mise à disposition des internautes pour signaler les sites litigieux qu’ils pourraient découvrir. C’est ensuite la « plate-forme de signalement » de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication qui fera le tri et notifiera formellement les FAI par la communication d’une blacklist de sites à bloquer.

Par ce programme, la ministre entend « protéger les enfants et leurs familles contre les pédophiles« . Une noble cause à laquelle il est impossible de s’opposer. Comment rejeter l’idée d’un tel filtrage sans être placé immédiatement dans le camp des pédophiles ? Politiquement, c’est très bien joué. L’opinion, évidemment sensible aux viols de ses enfants (comment ne le serait-elle pas ?), ne peut qu’adhérer totalement au projet gouvernemental. Personne ne souhaite laisser prospérer des sites sur lesquels s’échangent photos et vidéos de petits garçons et de petites filles abusés par la plus immonde des lâchetés humaines. Evidemment, il faut lutter avec la plus extrême sévérité contre les violeurs d’enfants.

Mais une démocratie ne doit pas se laisser emporter par l’émotion et oublier ses principes.

Protéger ses enfants, ça n’est pas seulement protéger leur intégrité physique et leur développement sexuel et psychologique, c’est aussi désirer pour eux une société dans laquelle ils pourront s’épanouir le plus librement possible. Et ne rien accepter qui irait contre cette liberté.

Or le projet de Michèle Alliot-Marie ouvre la porte à toutes les dérives contraires à un état de démocratie et de liberté. Elle institutionnalise la censure décidée entre gens consentants, sans le contrôle du juge. Les citoyens dénoncent, l’Etat vérifie, le FAI censure. Aujourd’hui c’est pour la pédophilie, et demain ?

Où se situera le curseur entre les sites indéniablement pédophiles qu’il faut bloquer, et les sites qui prêtent davantage à interprétation ? La morale publique étant une donnée variable dans la société, que censurera-t-on demain au nom de sa protection ?

Déjà le gouvernement s’engouffre lui-même dans la porte qu’il a ouverte. Outre la pédopornographie, la plateforme de dénonciation pourra servir à signaler les sites d’escroquerie, d’apologie du terrorisme, et d’incitation à la haine raciale.

Il suffira demain d’un simple décret pour étendre la liste à d’autres catégories. Or nul ne sait ce que l’avenir réserve. Aurait-on sous Vichy étendu la liste aux sites de communautés juives ou homosexuelles ? L’étendra-t-on demain aux sites de communautés islamiques si des attentats meurtriers sont commis au nom d’Allah par des extrêmistes ? Bloquera-t-on le site du Nouvel Obs parce qu’il prête au Président de la République l’envoi de faux SMS ? Ou les réseaux cryptés parce qu’il est impossible de contrôler ce qui s’y passe ?

Il ne faut pas céder à la pression de l’émotion et accepter la censure entre gens consentants des sites de pédophilie, car elle ouvre la porte à des dérives qu’une démocratie saine ignore, mais qu’elle découvre alors trop tard, lorsqu’elle n’en est déjà plus une.

Il ne faut pas encourager les pédophiles à se cacher derrière des systèmes toujours plus opaques qui leur feront échapper de toute façon à la censure. Il faut les traquer, les arrêter, et les juger sans pitié, en organisant la collaboration internationale. Et si ces arrestations sont impossibles, disons-le au risque de choquer, « tant pis ». Même les plus nobles et sacrées des fins ne justifient pas tous les moyens.

Car nos enfants méritent que l’on se batte d’abord pour la plus sacrée des fins sacrées : leur liberté.

L’industrie musicale déjà à l’affût

Sans surprise, l’industrie du disque qui voit la porte s’ouvrir cherche déjà à y pénétrer pour protéger ses intérêts et obtenir bientôt le filtrage des sites qui violeraient les droits d’auteurs, comme The Pirate Bay ou Mininova, voire des sites de logiciels de P2P. « Le débat nous intéresse de très près car les engagements qui seraient pris concernant les contenus pédophiles peuvent effectivement passer par du filtrage. Ce sont des mesures d’engagements volontaires prises dans un projet de charte« , confesse Jérôme Roger, le patron de la SPPF (Société Civile des Producteurs de Phonogrammes en France) à PC Inpact. « Les problématiques de l’industrie musicale ne sont pas éloignées de ces autres préoccupations qui peuvent paraitre évidemment beaucoup plus graves et urgentes à traiter« .


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