Alors qu'il s'était montré très pressant sur le sujet en tant que ministre de l'intérieur, allant il y a trois semaines jusqu'à proposer de légiférer contre "l'antisionisme" qu'il veut assimiler à tort à l'antisémitisme, le premier ministre Manuel Valls n'a pas évoqué mardi le souhait de renforcer la censure sur Internet. Une bonne nouvelle, si elle se confirme dans les actes.

Il est rare de consacrer un article à ce qu'une personnalité politique ne déclare pas. Mais c'est parfois nécessaire de s'en féliciter.

Pour sa déclaration de politique générale à l'Assemblée Nationale, on attendait l'ancien ministre de l'intérieur sur le terrain qui lui est cher de la lutte contre les excès de liberté d'expression sur Internet. Trois semaines plus tôt, le 19 mars dernier, Manuel Valls avait livré une charge invraisemblable et trop peu remarquée dans son discours au Trocadéro lors du rassemblement du CRIF contre l'antisémitisme. Presque explicitement, comme l'avait fait avant lui Frédéric Lefebvre, Manuel Valls appelait à légiférer pour interdire en France l'antisionisme au même titre que l'antisémitisme, alors que l'antisionisme qui s'oppose à la politique d'Israël et à la colonisation de nouvelles terres palestiniennes est une opinion politique qui ne peut être assimilée en aucune manière à la haine des juifs — il existe d'ailleurs de nombreux juifs antisionistes

"Cet antisémitisme, et c'est la nouveauté, se nourrit de la haine d'Israël. Il se nourrit de l'antisionisme", s'était indigné Manuel Valls au Trocadéro. "Parce que l'antisionisme, c'est la porte ouverte à l'antisémitisme. Parce que la mise en cause de l'Etat d'Israël, (…) basée sur l'antisionisme, c'est l'antisémitisme d'aujourd'hui. C'est pour cela qu'il faut être d'une très grande détermination".

Evoquant la "représentation nationale", c'est-à-dire le Parlement et le Gouvernement, Manuel Valls ajoutait que "nous devons faire corps pour combattre cet antisémitisme nouveau, qui se nourrit de l'antisionisme, qui se déverse sur la toile et sur l'Internet".

"Il nous faut réfléchir, il nous faut travailler, il faut si c'est nécessaire, légiférer".

En début d'année, au plus haut de l'affaire Dieudonné, Manuel Valls avait proposé de renforcer la censure sur Internet par un dialogue direct avec les plateformes d'hébergement de contenus et les réseaux sociaux.

La proposition avait été reprise à la volée et amplifiée par Roger Cuckierman, le président du CRIF, lors du récent dîner annuel de l'organisation juive auquel assistait le président François Hollande. "Votre gouvernement doit parler d’une voix plus ferme sur ces sujets", avait ordonné M. Cuckierman, suggérant d'utiliser notamment les mêmes outils de filtrage que contre la pédopornographie.

Le message avait été reçu par le président de la République qui l'avait repris à son compte. "Nous voyons ceux qui les écoutent, ceux qui adhèrent à ces thèses, à ces mensonges, et qui s'en font les prosélytes. C'est ça, le risque d'Internet. (…) Je retiens ce que vous nous avez proposé. Si nous arrivons à lutter contre les images pédophiles, nous devons aussi réussir à lutter contre les messages délibérément racistes et antisémites".

La "fracture numérique", seule référence à Internet

Mais mardi, lors de sa déclaration de politique générale, Manuel Valls s'est gardé d'évoquer la moindre proposition législative sur le sujet. Certes, le premier ministre a rappelé que "les paroles, les actes anti-juifs, anti-musulmans, anti-chrétiens, homophobes, doivent être combattus avec une même fermeté", ce qui ne prête pas à débat. Mais il n'a pas évoqué Internet sur ce sujet, et n'a pas proposé de censurer les propos antisionistes qui, sans être antisémites eux-mêmes, pourraient à ses yeux "nourrir l'antisémitisme". 

Il faut s'en réjouir car c'est bien la ligne rouge qui ne devra jamais être franchie, entre la censure de propos dont l'illégalité ne fait pas débat, et la censure de propos parfaitement légaux qui sont simplement soupçonnés d'alimenter d'autres discours, cette fois illicites.

A propos d'Internet, le premier ministre Manuel Valls s'est contenté d'évoquer rapidement la question de la fracture numérique et de ses conséquences."Notre monde, c’est aussi l’ère du numérique qui relie les hommes et qui accélère l’échange des savoirs, des marchandises, des services. Et c’est pourquoi la fracture numérique est bien plus qu’une fracture technique, c’est une fracture économique, sociale et culturelle !". 

C'est effectivement, sans aucun doute, un chantier bien plus important pour la France que la censure de la parole, fut-elle par moment excessive. 


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