Plateforme, pub, mobile, avenir et jeunes générations : voilà des sujets qui traversent toutes les rédactions depuis plus d’une décennie. L’historique quotidien du soir semble avoir trouvé son laboratoire sur Snapchat, où une petite équipe écrit chaque jour un Le Monde pour les 12-25 ans. Un défi que nous voulions découvrir de l’intérieur.

Dans l’application Snapchat, il faut glisser à gauche une fois puis encore une autre, pour découvrir le véritable kiosque virtuel qu’est Discover, un hub média lancé en France il y a désormais un an. Au 80 boulevard Auguste Blanqui, il faut faire le même effort dans le dédale qu’est Le Monde pour trouver la « rédaction dans la rédaction » qui chaque soir, vers 18h, propose une douzaine d’articles animés dans Discover, tous signés Le Monde.

Snap Le Monde

Snap Le Monde

« Avant, nous n’avions même pas de fenêtre » précise, blagueur, Jean-Guillaume Santi, à la tête de cette équipée depuis un an : « Nous avons déménagé cet été, preuve que nous allons bien ! » À quelques encablures, les éditorialistes dans leur bureau individuel. Les noms de plumes parisiennes s’alignent et encadrent le nouvel open space de Snap Le Monde. Dans celui-ci, six jeunes gens s’activent lorsque nous rejoignons, à neuf heures pétantes, leur réunion de rédaction quotidienne.

Attablés devant leurs ordinateurs, ils dissèquent l’actu, cherchent les dominantes et scrutent le frigo, nom de la réserve de papiers dits froids qui comblent les journées un peu molles.

« Être Le Monde »

À l’instar de l’édition papier, le Discover du Monde ne propose pas une surface illimitée : chaque matin, ce sont au maximum 12 sujets qu’il faut trouver, rédiger, et animer avant l’heure fatidique où l’édition part non pas à la rotative, mais sur le réseau social des millennials.

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L’actualité est rapidement balayée ce matin-là, la rentrée politique et sociale est encore loin et l’été n’est perturbé que par de morbides secousses —  l’attaque de Barcelone ce mardi-là. Sur les six membres de cette rédaction, deux rédigent, deux montent et filment, et enfin deux dessinent, illustrent et animent. Toutefois, durant les briefs matinaux, chacun dispose de quelques minutes pour pitcher sa dernière obsession.

Et s’ils se savent en pleine marche sur des œufs en écrivant la version millennial du Monde, certaines libertés sont prises par rapport à ce qui reste la rigueur du titre du soir. Animaux mignons, anecdotes et humour ne sont pas prohibés : « Notre titraille joue sur la curiosité, nous cherchons l’interaction et à rester pédagogique, résume M. Santi, nous sommes quand même dans l’économie de l’attention ».

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Les plus jeunes lecteurs de cette équipée ont 13 ans, les plus vieux ne dépassent pas la trentaine. Sans être Le Petit Quotidien du Monde, le Discover cherche sa voie singulière, tous les jours. « Sans trahir Le Monde et son identité affirmée, nous devons la faire vivre à travers un média jeune et prêt pour le mobile », conclut le chef de service.

« Rester Le Monde » semble naturel ce matin-là à condition d’être accessible à une audience rajeunie et qui compte chaque seconde qu’elle passe sur un contenu. Les sujets traités approchent l’édition papier, le traitement est néanmoins plus léger, moins verbeux — 300 mots maximum — et plus coloré.

« Nous sommes dans l’économie de l’attention »

Entre deux bottom — entendre : papier long que l’on va lire en glissant vers le bas — on trouve un snack — une animation en motion design — à consommer comme une chips : un rappel de titre ou une image du jour. Les termes plus ou moins maison se mêlent au verbiage journaleux traditionnel, comme les outils sur lesquels travaillent l’équipe : un gestionnaire de contenu propriétaire signé Snap, sans oublier la suite Adobe pour les illustrateurs et un bon vieux tableau blanc pour s’entendre sur le chemin de fer quotidien.

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Les éditions Snap du weekend

Dans un mélange assez inattendu de tradition et d’instantanéité, l’édition de ce mardi d’août s’écrit et se dessine. Une fois les sujets répartis, l’équipe pense rapidement format : « Je vois bien une animation avec une fac et des étudiants qui s’ouvriraient sur le titre ». Vendu : le sujet du jour — les conditions d’études qui ne s’améliorent pas — sera animé, dynamique et composé d’une illustration et d’un bottom. Les vidéastes s’activent également : une vidéo au Maroc a défrayé la chronique et questionne sur la place des femmes, on coupe et découpe, on éclaire l’angle — la vidéo ne sera par ailleurs jamais publiée, trop « choquante, pas nécessaire pour comprendre le sujet », pas assez Le Monde.

Si la production doit être rapide pour publier en début de soirée, l’effort est constant et certains beaux sujets attendent au frigo. Ainsi, ce jeudi, Le Monde, dans sa version numérique, publiait un des sujets multimédias de sa petite rédaction Snapchat : un long format enrichi sur les Jeux Olympiques de 1924.

Car si l’équipe Snapchat pique la curiosité des plus anciens rédacteurs du titre, elle intéresse et amuse beaucoup. On nous souffle que Sylvie Kauffmann est une « fan ». En outre, chaque édition Snap reçoit la même attention de la part des éditeurs et de la rédaction que l’édition du soir : comprenez, s’adresser à des jeunes sur une plateforme branchée, ce n’est pas faire du « sous Le Monde », c’est étendre une identité à un nouveau monde, non sans risques.

Prise de risques

Une prise de risque permanente qui doucement a défini la méthodologie de cette équipe. « Avant même de signer avec Snap, nous avons réalisé des dizaines de pilotes. Il s’agissait autant de mesurer les possibilités éditoriales que juger les profils dont nous avions besoin », se souvient Jean-Guillaume.

Lui vient du service vidéo du Monde, mais tous n’ont pas le même parcours, l’équilibre s’est construit en essayant. Tous les médias n’ont probablement pas eu la même relation à l’entreprise américaine que le titre parisien : au Monde, Snap avait donné une carte blanche. L’équipe s’est ensuite construite sur un bilan : « On reproche à Discover d’imposer une équipe et des investissements, de notre côté, Snapchat ne nous a rien imposé, mais il n’était en réalité pas possible d’obtenir la qualité désirée sans être six et investir  », commente le journaliste à qui l’on parle souvent des contraintes astronomiques que le réseau imposerait au média. Snap intervient-il dans le contenu pour autant ? « Absolument pas, nous publions ce que nous souhaitons sur notre chaîne. Si Snap avait un droit de veto sur l’édito, nous n’y serions pas allés », ajoute M. Santi.

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Toutefois, il ne faut pas évacuer trop vite l’influence de la startup américaine sur le produit final : en choisissant les médias qu’elle désire et en imposant, de facto, une verticalité, Snap cherche un produit haut de gamme. « Discover est si différent des autres plateformes car le reste existe déjà : l’horizontalité de Twitter et Facebook ont fait leurs preuves, mais ont également mis en lumière des problèmes pour la presse que Snapchat a voulu éviter en arrivant plus tard », nous explique-t-on.

Les fake news venues de blogs obscurs et le clickbait ont moins naturellement leur place sur un réseau qui réplique un format berlinois à l’échelle d’un mobile, avec une douzaine de grands titres. Quant au nerf de la guerre, Snap ne semble pas avoir de modèle préféré : outre-Atlantique, l’entreprise pratiquerait des revenus fixes pour certains médias. Pour le Monde, un autre deal a été trouvé.

« On est dans un modèle de partage de revenus. Cela veut dire que tous les espaces publicitaires peuvent être vendus aux annonceurs aussi bien par notre régie, M Publicité, que par la régie de Snapchat. Nous procédons ensuite à un partage des revenus avec Snapchat », nous explique-t-on. Et à l’instar du succès publicitaire de la startup, sur Discover, les annonceurs paient pour être présents sur un hub média au taux de perforation ébouriffant et les marques premium — parfum, coutures ou voyage — s’invitent sur le mobile alors qu’elles avaient toujours snobé la pub du web.

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La dépendance à la plateforme, ne serait-elle pas toxique à long terme ? Jean-Guillaume balaye. Si comme le veulent les oracles de mauvaise augure, la firme de Spiegel disparaît au profit du géant Facebook, « tout ce que nous aurions appris, en termes de motion design, de journalisme et de cibles, serait loin d’être perdu ». En écrivant aux lecteurs de demain, c’est en fait un peu le journal de demain que cette équipe écrit.

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