C’est une nouvelle page qui va s’écrire pour Mozilla, mais sans doute pas celle qu’espéraient les utilisateurs de Firefox. Dans un billet d’annonce paru le 16 décembre 2025, la fondation a officialisé l’arrivée d’Anthony Enzor-DeMeo au poste de CEO, en remplacement de Laura Chambers. Et avec lui arrive un changement de cap, qui promet d’être radical.
Fini, en effet, le temps du « simple » navigateur web Firefox. L’heure est aux grandes mutations. Le logiciel phare de Mozilla doit devenir un « navigateur IA moderne », au cœur d’un « écosystème plus large de logiciels fiables », fait savoir le nouveau boss. Cela pour que Mozilla aille « de l’avant », selon une orientation guidant son développement et sa croissance.
Mais cette première prise de parole d’Anthony Enzor-DeMeo a surtout reçu un accueil glacial. Pour les internautes qui ont trouvé en Firefox un refuge pour échapper à Google Chrome ou Microsoft Edge, l’idée d’un pivot vers l’IA sonne comme une trahison. Cela, même si le nouveau CEO assure que « l’IA doit toujours être un choix ». Et donc, qu’elle sera désactivable.
Depuis cette prise de parole, les discussions véhémentes s’enchaînent sur Reddit et d’autres réseaux sociaux — indice du fossé croissant qui est en train de se creuser entre une partie de la communauté (notamment sa frange la plus active) et la nouvelle direction. De quoi faire craindre un futur schisme.
« Bon sang, pourquoi ? »
Dans le subreddit r/artificial, l’incompréhension et le mécontentement dominent, en témoignent les réactions publiées après le partage de la prise de parole d’Anthony Enzor-DeMeo. L’utilisateur Osirus1156 résume le sentiment général d’une phrase lapidaire : « Non bon sang, pourquoi ? Pourquoi ruiner l’un des derniers bons navigateurs restants ? »


Pour plusieurs intervenants, l’ajout de fonctionnalités IA est perçu comme une pollution inutile de Firefox, qui éloigne le logiciel de sa mission première : naviguer rapidement et sans intrusion. L’internaute Actual__Wizard pense que Mozilla n’a pas saisi les attentes de sa base : si celle-ci était vraiment tentée par l’intelligence artificielle, elle aurait déjà migré.

« Quel navigateur allons-nous devoir prendre maintenant ? Cette entreprise ne comprend pas les attentes des utilisateurs. Si nous voulions un navigateur IA, ils existent déjà. On peut juste aller en installer un, mais nous ne l’avons pas fait pour une bonne raison… ».
Plusieurs solutions existent en effet déjà, comme le très innovant Arc (The Browser Company) ou Brave et son assistant Leo.
Même les navigateurs installés par défaut opèrent une transition : Chrome de Google (avec Gemini), Opera One (avec Aria) et Edge de Microsoft (avec Copilot) en sont la preuve. Et Mozilla avait aussi mis un pied dans la porte en 2024, à travers une option sur Firefox permettant de surfer sur le web tout en questionnant à la volée le chatbot de son choix.
studio_bob, lui, trouve la déclaration « un peu étrange », en jugeant avoir mis le doigt sur une contradiction. Si l’IA est aussi centrale dans la vision de Mozilla, pourquoi souligner d’emblée que tout cela pourra être neutralisé ? Est-ce un aveu non assumé que beaucoup de gens n’en veulent pas et que c’est une manière de désamorcer les critiques ?
Mozilla n’est pas Google ou Microsoft
Du côté du subreddit dédié à r/firefox, l’accueil n’est pas franchement plus chaleureux, comme on peut le voir avec des sujets titrés « Je ne veux pas quitter Firefox, mais je ne veux pas non plus qu’il devienne un navigateur IA… Que dois-je faire ? » et J’en ai assez de désactiver toutes les nouvelles « fonctionnalités ».
Dans une lettre ouverte, l’utilisateur nseavia71501 interpelle directement la nouvelle direction. Il dénonce un discours qui ressemble « dangereusement à une annonce typique de Google ou Microsoft », où les décisions sont prises pour les utilisateurs plutôt qu’avec eux. Or, « Firefox n’a pas besoin d’IA, mais d’un leadership à l’écoute ». Et d’ajouter :
« Firefox n’a pas besoin de devenir Google ou Microsoft pour réussir tant sur le plan commercial que sur celui des usagers. C’est précisément parce qu’il n’est pas comme eux qu’il est apprécié. J’espère que cette distinction ne sera pas perdue lorsque Mozilla entrera dans son prochain chapitre en tant que partie intégrante d’un écosystème plus large de logiciels de confiance. »
Face à l’enshitiffication, la tentation d’aller voir ailleurs
La critique, à la fois technique et politique, évoque aussi les options de repli face à ce qui est décrit comme une « enshittification », ou « merdification », c’est-à-dire le processus de dégradation progressive d’un service en ligne — un phénomène notamment lié à l’IA, avec l’expression AI slop, pour décrire des contenus générés par IA de piètre qualité.
L’internaute Akaibukai parle d’ailleurs d’une « Enshittification 4.0 », tandis que d’autres, comme ColGuano ou Low-Temperature-6962, évoquent déjà leur migration vers des forks, c’est-à-dire des versions dérivées de Firefox, à l’image de Waterfox ou LibreWolf, perçus comme les derniers bastions d’un web sans fioritures. Et surtout, sans IA.
Pour Mozilla, l’équation est complexe. Firefox ne pèse aujourd’hui presque plus rien sur le web, face à des acteurs hégémoniques comme Chrome. La fondation doit coûte que coûte trouver de nouveaux relais de croissance pour survivre économiquement, tout en trouvant des moyens de se détacher de l’extrême dépendance vis-à-vis de Google.
Mais en voulant rejoindre la nouvelle guerre des navigateurs autour de l’IA, Mozilla risque surtout de sacrifier son atout le plus précieux dans la bataille : sa communauté. Et celle-ci n’apparaît clairement pas décidée à s’embarquer dans l’aventure.
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