Le monde entier a rencontré Roblox le 30 septembre dernier, avec un clip qui transformait Kanye West et Lil Pump en personnages anguleux et démesurés. 13 ans après sa création, ce gigantesque univers virtuel aux graphismes de Lego, créé de toutes pièces par ses utilisateurs, rassemble près de 178 millions de comptes et plus de 70 millions de joueurs actifs par mois sur PC, Xbox One et mobile, selon Venturebeat.
Ce succès lui a permis de lever 185 millions de dollars jusque-là et lui vaut d’être évalué à 2,5 milliards de dollars en Bourse – soit le prix de Minecraft lors de son rachat par Microsoft en 2014. Vous n’en aviez jamais entendu parler, mais Roblox est le jeu vidéo pour enfants le plus populaire au monde.
Tout le monde peut créer son jeu
Roblox doit cette immense popularité à un concept génial : plutôt que de fournir des jeux, la plateforme offre un kit de création clé en main, Roblox Studio. En piochant dans une bibliothèque d’éléments graphiques simples et modulaires, quiconque peut inventer des jeux pour la communauté, qu’il sache coder ou non. pas de configurations de serveurs, pas de portage, pas de systèmes de paiement à inventer : rien que des Lego. Succès total : pour la seule année 2018, écrit Venturebeat, 4 millions de jeunes développeurs ont créé près de 40 millions de titres.
Autre particularité de Roblox : la présence d’argent, qui permet aux développeurs d’ajouter des options payantes dans leurs créations, appelés gamepass. La monnaie locale, le Robux, est indexée sur le dollar et l’euro (400 Robux = 4,95 dollars). Au premier semestre 2018, grâce à ce système, l’économie Roblox a généré 218 millions de dollars bien réels.
Et plus les jeux sont populaires, plus leurs créateurs sont rémunérés par la plateforme. Grassement. Cette année, Roblox devrait verser 70 millions de dollars à sa communauté de créateurs, plus du double de l’année précédente. Une logique qui a déjà permis à des codeurs de 13 ans de gagner près de 100 000 dollars… par mois. Joueurs ou créateurs, tout le monde semble y trouver son compte, peu importe l’apparente simplicité des jeux proposés. Pour comprendre ce qui fait le succès de Roblox, nous sommes allés à la rencontre de sa communauté française.
Des joueurs de 13 à 15 ans en moyenne
Sur la chaîne Discord « Les Français », qui regroupe près de 300 membres sur les 7000 que compte la communauté hexagonale de Roblox, l’âge moyen des joueurs et joueuses tourne autour des 14 ans, à l’image de ses 3 modérateurs. Pour Arnaud, qui joue depuis quatre ans, le succès de Roblox tient à « la grande diversité des genres de jeux » et au dynamisme de la communauté, qui est pour lui « un réseau social à part entière ». Idem chez Cassandra, « 14 ans en décembre » et plus d’un an de jeu derrière elle, qui avoue passer « 2 à 3 heures par jour » dans l’univers Roblox, pour jouer mais aussi pour animer différentes communauté. Au grand dam de ses parents, qui « trouvent ça débile sachant que la majorité des joueurs a entre 9 et 15 ans », reconnaît-elle.
Au-delà du temps passé sur la plateforme, c’est la question des microtransactions dans le jeu qui peut poser question, surtout lorsque le public visé est mineur. Comme Cassandra, Anthony, « 13 ans et demi comme la plupart des autres gens », admet dépenser chaque mois « entre 10 et 15 euros » d’argent de poche dans le jeu, sans que ses parents n’y voient d’inconvénient. Les joueurs n’ont pas vraiment le choix : si l’accès aux jeux est très majoritairement gratuit, il faut dépenser 6 dollars par mois pour s’offrir un passe « Builder Club », qui permet de créer et de rejoindre des groupes. Vu l’emphase mise sur l’aspect communautaire de la plateforme, on imagine que l’immense majorité des joueurs s’acquitte de la somme. Le reste de la somme est dépensée en accessoires pour l’avatar, dont les prix varient de 5 à 20 euros. Étonnamment, aucun écho de restriction parentale particulière dans les témoignages des joueurs, que ce soit pour contrôler le temps passé ou l’argent dépensé.
Développeur français, le royaume des cols bleus
Comme celle des joueurs, la communauté des développeurs française possède sa chaîne Discord, la French Developers Community, qui compte environ 160 membres. Si ces développeurs amateurs sont également des joueurs (alors que l’inverse est faux), l’approche de l’univers Roblox et de son écosystème Roblox Studio est à la fois plus technique et plus sérieuse. La chaîne Discord #hiring fait aussi figure de marché d’offres d’emplois ponctuels, payés quelques centaines de Robux. Les développeurs, un peu plus vieux que les joueurs, se spécialisent en trois catégories distinctes — buildeur, scripteur et graphiste — et travaillent souvent en équipe pour mener à bien les projets.
Pour pouvoir échanger de l’argent sur Roblox, via la plateforme Developer Exchange (DevEx, dans le jargon) il faut d’abord s’offrir un passe à 20 dollars mensuels, puis un jeu qui rapporte au minimum 100 000 Robux, soit 350 dollars. Ici, cependant, aucune rémunération en vue – les développeurs français font figure de cols bleus, à des années-lumières des stars américaines derrière les jeux à succès Jailbreak ou Phantom Forces.
Robinson, 15 ans, a développé « une douzaine de jeux » depuis 2016, sans retour sur investissement. Une fois, indique-t-il, il a « sacrifié » 250 Robux « pour gagner un peu de popularité », sans succès. Il insiste sur le côté intégralement gratuit du développement et loue la force d’attraction de la plateforme : « Avec Roblox, on peut tout inventer. Les gens trouvent leur jeu favori (…) et après ils ne quittent plus Roblox. Tous les jours, mes potes sont en ligne. » Ce renouvellement constant du catalogue donne de l’espoir à d’autres développeurs, comme Alexis, 16 ans : « Comme la majorité des développeurs, j’essaie de faire des jeux pour être rémunéré car c’est énormément de travail », assure-t-il. Sa dernière stratégie : créer un jeu qui corresponde aux envies actuelles du public — un simulateur — « pour récupérer des revenus » et financer un jeu qui lui tient plus à coeur. Un authentique business plan, en somme, même si les millions se font encore attendre.
Qu’ils soient joueur, développeur ou freelance (un utilisateur nommé Neutre propose par exemple la traduction de jeux en français contre des Robux), les Français interrogés semblent tous déterminés à rester dans l’environnement Roblox… tout en se montrant très critiques vis-à-vis de l’évolution du jeu. Les créateurs y sont accusés de « ne pas écouter la communauté », explique Arnaud, en supprimant d’anciennes monnaies virtuelles ou en lançant Rthro, une nouvelle esthétique qui l’éloigne du style cubique de ses débuts. Bref, une querelle des Anciens et des Modernes, qui voit les habitués rivaliser de pessimisme quant à l’avenir du jeu (« je vois le futur de Roblox comme sombre et triste, dirigé par un indien aspirateur à fric (sic) », confie un jeune développeur). Mais Roblox n’a cure des atermoiements des jeunes puristes : au troisième trimestre 2018, rapporte Variety, l’entreprise a engrangé 92 millions de dollars de bénéfice, en hausse de 87 % sur un an. La hype n’est pas prêt de retomber.
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