Le marathon caritatif AGDQ est lancé depuis le dimanche 7 janvier. Cet événement rassemble des joueurs dont la vocation est de finir des jeux vidéo le plus vite possible. Mais comment devient-on speedrunner ?

Après avoir sué sang et eau durant des heures sur Cuphead, après avoir écoulé des dizaines d’heures et mis à l’épreuve votre santé mentale sur le dernier boss de Dark Souls, vous pensiez pouvoir vanter vos performances hors du commun auprès de votre entourage ?

Vous pouvez, c’est vrai. Mais gardez à l’esprit que là où le jeu passe un malin plaisir à épuiser votre patience pendant des dizaines d’heures, d’autres joueurs vous vengent dans l’ombre en pliant en seulement une poignée de minutes les années de dur labeur des développeurs.

Pour vous donner une idée : Dark Souls se termine en 32 minutes, Cuphead en 25 et bien que Super Mario Odyssey ne soit sorti il y a seulement quelques semaines, les meilleurs joueurs le terminent en 1 h 05, et ce record ne cesse de baisser.

À l’occasion de l’événement annuel AGDQ (Awesome Games Done Quick) qui met en lumière la pratique du speedrun — finir un jeu vidéo le plus vite possible — et amasse par la même occasion une somme considérable pour la recherche contre le cancer, nous voulions nous intéresser aux méthodes de travail des speedrunners et ce qui les pousse à distordre les règles du jeu vidéo.

En quoi consiste le speedrun ?

Vous l’aurez deviné, la pratique dite de speedrun consiste à voir la fin d’un jeu vidéo le plus rapidement possible. Par fin, on entend la présentation des crédits ou du générique annonçant la fin de l’histoire du jeu. Certains pratiquants s’attachent toutefois à terminer le jeu à 100 %, c’est-à-dire battre tous les boss présents dans le jeu ou récupérer tous les objets à collectionner dans l’aventure.

Mais la particularité du speedrun réside dans les moyens employés pour terminer ces jeux en des temps records. Les speedrunners font ainsi usage des « glitches » du jeu, c’est-à-dire ses bugs, défauts de programmation, ou oublis techniques de la part des développeurs. Les codes de triche sont toutefois interdits, même si la distinction entre l’exploitation des bugs et la triche est parfois ténue.

EvilDuckk, speedrunner, précise également les différentes catégories de speedrun que l’on peut rencontrer : « Il y le speedrun Real Time Attack (ou RTA), le plus courant, qui consiste à terminer le jeu d’une traite. Le speedrun multi-segments consiste à enregistrer un speedrun par segments afin de l’optimiser le plus possible, et le Tool Assisted Speedrun (ou TAS) qui consiste en la création d’un speedrun optimisé à la frame près et avec des outils permettant par exemple de ralentir le temps, de farfouiller dans la RAM ou d’autres choses très utiles ».

À force de pratique, de recherche et de nombreuses heures d’entraînement, certains titres se terminent en quelques minutes voire quelques secondes. Au même titre que n’importe quelle compétition de rapidité, les records mondiaux tombent régulièrement au fur et à mesure que les joueurs optimisent leur course ou trouvent de nouveaux bugs à exploiter.

Pour l’amour du jeu

Si l’œil novice d’un spectateur de speedrun découvrant la pratique ne le réalise pas au premier abord, l’achèvement d’une course demande un entraînement régulier et un apprentissage rigoureux des chemins à prendre. Autant dire que pour être prêt à passer des dizaines, voire plus d’une centaine, d’heures sur un jeu sans s’en lasser, il faut déjà apprécier le titre.

Gyoo, runner et membre éminent de la communauté française du speedrun dispense quelques conseils pour ceux qui voudraient se lancer : « faites des jeux que vous aimez beaucoup. La raison est simple : quand on speedrun un jeu, on y passe énormément de temps, entre l’apprentissage, l’entrainement et le perfectionnement des runs pour améliorer son meilleur temps. Donc, faire cela sur un de ses ‘jeux de cœur’ permet d’avoir une plus grande motivation à la tâche ».

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Pour Oriane, alias Synahel, le speedrun est aussi un moyen de redécouvrir ces fameux jeux de cœur en les parcourant d’une manière non conventionnelle : « Je run le jeu Wonder Boy sur Master System et son remake récent sorti cette année. J’ai choisi ce jeu car je l’appréciais beaucoup et j’avais envie de continuer à y jouer même en le connaissant par cœur, le speedrun était la solution évidente pour ce titre. L’autre raison c’est que personne ne l’avait encore run, et du coup tout était à trouver sur le speedrun, la route à prendre, etc.»

Aujourd’hui, les communautés autour du speedrun se retrouvent sur le site speedrun.com et utilisent de plus en plus l’application de discussion Discord pour échanger autour de cette pratique et partager quelques conseils et astuces. Par ailleurs, de plus en plus de ressources permettent aujourd’hui de grandes facilités d’échange avec les autres pratiquants, dont l’effectif grossit chaque jour.

Déconstruire ce logiciel qu’est le jeu vidéo

L’apprentissage des chemins optimisés des jeux se fait généralement en regardant de précédentes courses et en se calquant sur le parcours effectué. Dans un premier temps, il faut apprendre ce chemin par segment, le travailler jusqu’à le connaître parfaitement pour ensuite le boucler le plus rapidement possible. Quand un nouveau chemin plus rapide est découvert, il faut alors s’adapter et revoir le parcours et les choses à faire.

Certains jeux exigent aussi la réalisation de « tricks » techniques, comme une combinaison précise de mouvements de son personnage, couplée à un angle de caméra défini afin de passer des éléments du décor du jeu pour accéder à des endroits encore inaccessibles. Quand un nouveau jeu débarque sur le marché, il est à peu près certain de trouver des joueurs prêts à le finir le plus vite possible.

« On commence par faire des runs proches du chemin habituel dans le jeu, explique Gyoo, pendant que d’autres personnes (les glitches hunters) cherchent à casser le jeu dans tous les sens et à voir ce qui est exploitable en speedrun. Ensuite, la route s’articule généralement autour de ces trouvailles ».

Un travail d’équipe

La recherche de ces bugs pour optimiser le parcours atteint parfois une obsession telle que certains participants atteignent le statut de mythe au sein de la communauté. C’est le cas du fameux Barrier Skip, un glitch dans The Legend of Zelda : The Wind Waker HD sur Wii U, considéré comme le saint Graal et pendant longtemps impossible à effectuer par la communauté, débusqué en 2017.

Depuis sa sortie en 2002 sur GameCube, The Wind Waker narguait en effet les speedrunners sur une portion de jeu : à mi-chemin, les joueurs peuvent contempler le château du royaume d’Hyrule, où une barrière magique bloque l’accès au donjon final. Parvenir à passer cette barrière en faisant l’usage d’un glitch, c’est accéder directement à la dernière partie du jeu, et gagner jusqu’à 30 minutes de course.

Ce raccourci était considéré comme une chimère jusqu’à ce que les speedrunners Girtana1 et LinkOscuro franchissent la barrière en août dernier. Depuis cet exploit, les joueurs assistés de leur communauté ont travaillé d’arrache-pied pour comprendre précisément comment ils avaient procédé et ensuite proposer une solution exploitable pour l’ensemble des joueurs de ce jeu.

« S’il y a une philosophie du speedrun, mon avis est qu’elle est axée autour du partage, déclare Gyoo. Le partage de connaissance, qui est quelque chose qu’on retrouve peu dans d’autres communautés, on prendra en exemple les communautés esport […] mais aussi le partage caritatif, avec de très nombreux événements de speedrun qui cherchent à récolter des fonds pour différentes associations, à toute échelle ».

La communauté française à l’AGDQ

Depuis sa création en 2010, l’AGDQ rassemble chaque année de plus en plus de speedrunners, joueurs ou simple spectateurs. La PCF (Prevent Cancer Foundation), qui bénéficie de chaque don obtenu lors de l’événement, a tout mis en œuvre pour que l’événement puisse prendre de l’ampleur et se passer dans les meilleures conditions, attirant ainsi les communautés et les curieux de tous poils, y compris les Français, qui constituent l’une des communautés les plus actives à l’international.

En 2012, le joueur MisterMV prend l’initiative d’organiser un « restream » français de l’AGDQ, c’est à dire un duplex en direct de l’événement sur Twitch avec des commentateurs français. Le French Restream a repris le flambeau de MisterMV depuis 2016, et est aujourd’hui très populaire outre-Atlantique, notamment dans sa figure de pionnier.

french restream speedrun

« Plus les années passent et plus le nombre de gens participant au restream grandit, précise Oriane, pour atteindre 96 participants pour cette édition. Le French Restream est connu des Américains, notamment pour la manie des spectateurs francophones à remporter quasiment tous les défis que nous nous lançons entre nous, engrangeant ainsi d’avantage de dons pour l’œuvre caritative, et entretenant notre réputation de fieffés salauds qui aimons mettre le jeu en français dès que l’on en a l’occasion (par exemple), ou de renommer des personnages d’après des figures célèbres par ici ».

Les speedrunners français ont aussi leurs événements bien à eux, comme l’événement Bourg-La-Run, organisé par Gyoo à Bourg-La-Reine, évènement qui permet de lever des fonds depuis 2015 pour le Téléthon et qui a remporté en décembre 8 000 euros. Un autre marathon caritatif, Hajime, a quant à lui récolté 1 600 euros de dons pour Autisme Europe.

« La France représente la première communauté non-anglophone du speedrun, conclut Gyoo, et la France est le deuxième pays en terme de visites sur speedrun.com, avec 10 % du trafic total, derrière les États-Unis à 35 % et le Royaume-Uni et le Canada à 6 % chacun. Il existe de nombreux événements similaires, caritatifs ou non, qui fleurissent partout ».


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