Chaque année, une famille américaine joue aux jeux emblématiques de la saga Mario et récolte des dons pour l’association Child’s Play. Brian Brinegar, son principal organisateur, nous explique l’essence d’un bon événement de gaming caritatif. Le guide par l’exemple.

L’été, période des conventions, des festivals musicaux… et des marathons caritatifs. Du 3 au 10 juillet se tiendra le Summer Games Done Quick, la branche estivale de l’Awesome Games Done Quick (AGDQ), un marathon caritatif bi-annuel de jeux vidéo. Le but ? Des speedrunners – des spécialistes de tel ou tel jeu, pouvant les finir à toute vitesse en exploitant moult bugs et failles – se relaient pendant une semaine pour livrer des prestations spectaculaires.

Le tout est retransmis sur Twitch et l’évènement sert avant tout à donner à Medecins Sans Frontières. À chaque occurrence, il ne peine pas trop à réunir plus d’un million de dollars pour une bonne cause, dont une bonne partie en provenance de spectateurs français. Signe de sa popularité, tout l’évènement sera re-commenté en direct et en français sur Jeuxvidéo.com.

Jouer pour performer, jouer pour donner

Ici, c’est le coté performatif qui prime : les spectateurs sont là pour assister au massacre en règle de leurs jeux favoris et assister à, peut-être, la naissance de nouveaux records. Un tel évènement en flux tendu génère de nombreux mèmes et moments de bravoure. L’AGDQ est un sommet millimétré, le rendez-vous d’une communauté internationale… mais il n’a rien inventé en termes de marathon de charité.

https://www.youtube.com/watch?v=ehLR7zoCHe4

Même s’il est plus confidentiel, le Mario Marathon est lui aussi un évènement caritatif et annuel, dont la diffusion, toujours en cours, a commencé vendredi après-midi. Il diffère de son grand frère spirituel sur de nombreux points : le show est très familial (et ouvert à toute la famille — les commentaires du stream Twitch sont incroyablement courtois, fait trop rare pour être signalé), n’a plus rien de la performance et mise énormément sur l’interaction avec les spectateurs. Une initiative à plus petite échelle qui, en retour, cultive des liens plus forts avec une communauté plus engagée.

Le Mario Marathon a récolté plus d’un demi million de dollars en cumulé

Tout commence en 2008 à Lafayette, en Indiana. Brian Brinegar est développeur et instigateur du projet. Contacté par Numerama, il raconte les origines de l’aventure : à l’époque, il a 29 ans. « En 2008, je suis tombé sur un stream de jeux sur Ustream TV. Quelques joueurs essayaient de boucler tous les jeux Zelda 3D en un week-end, se souvient-il.  C’était vraiment sympa à regarder. Ils ont lancé un appel aux dons pour acheter des pizzas et ont reçu plus de mille dollars ! J’ai pensé que ce format était tout adapté pour une collecte de dons. Nous nous sommes mis en contact avec l’association Child’s Play et… vous connaissez la suite. »

En effet. Avec ses amis Chris, John et Ben, ils se relayent en se filmant pour finir les jeux emblématiques de la saga Mario. Le 28 juin 2008, à six heures du matin en France, ils posent victorieux après avoir essoré Mario Galaxy. En un week-end, ils ont récolté plus de dix mille dollars pour Child’s Play — association qui équipe les hopitaux pour enfants en jeux et loisirs, très proche de Penny Arcade, véritable petit empire américain qui organise ses propres conventions de jeux. Huit ans et sept autres éditions plus tard, ils ont récolté plus d’un demi million de dollars en cumulé.

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Et pourquoi la saga Mario ? « À nos débuts, en 2008, je n’avais jamais terminé Super Mario Bros 2 ou Super Mario Sunshine », explique Brian Brinegar.  « À mon sens, Mario est LA grande figure iconique du jeu vidéo, et finir ces jeux était toujours sur ma to-do list. J’ai beaucoup de nostalgie de mes sessions sur NES avec mes amis et je voulais, tout simplement, recréer cette expérience et joindre l’utile à l’agréable. »

Comment ça marche ? Les dons sont liés à l’avancée du marathon. Une liste de jeux est défini à l’avance — des Mario sur NES, Super Nintendo, Mario 64, Mario Galaxy 1 et 2, Super Mario 3D World… chaque niveau demande d’être débloqué si tel montant de dons est atteint. Cette courbe de progression étant assez douce, il faut au minimum plusieurs jours pour tout finir. Passé un certain stade, les dons servent aussi à maintenir la diffusion et à repousser sa fin.

Cela peut durer jusqu’à cinq jours d’affilée, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. « La volonté de voir Mario sauver toutes ces princesses nous garde éveillés ! », ironisent les organisateurs. Ils obéissent à une dizaine de règles auto-imposées : se relayer, se laver une fois par jour, surveiller son langage, rappeller les enjeux régulièrement. Des règles de bon sens ? Pas seulement : cinq vies perdues de suite octroie par exemple au joueur le « chapeau des nazes ».

La volonté de voir Mario sauver toutes ces princesses nous garde éveillés !

Les règles d’or : de l’interaction, de bons jeux, des gens géniaux

Le Marathon est rapidement devenu un rendez-vous aussi calibré que ses pairs. Comment Brian conçoit-il un bon marathon caritatif ? L’interaction en serait le pilier alpha.

« Pour moi, l’aspect le plus important est de cultiver le plus d’interaction possible avec les spectateurs, les rendre aussi investis que les participants du marathon. Tout, des activités prévues aux angles de caméra : autant de mécanismes interactifs sur notre site où les spectateurs peuvent participer. » Et cela marche. Ils ont trouvé de nombreux moyens de divertir qui arrivent à ne pas oublier le but premier du spectacle : donner. Car tous ces mécanismes interactifs sont astucieusement liés aux donations.

Quelques exemples ? Chaque don déclenche une animation à l’écran et sera systématiquement lue par les joueurs. Idéal pour placer une blague, une dédicace, ou juste laisser sa trace dans l’évènement le temps d’une seconde. Donner offre une chance de gagner des cadeaux régulièrement renouvelés : consoles, t-shirts, créations maison. Chaque millier de dollars atteint débloque un évènement au hasard imposé aux joueurs, un robot peut lire de temps en temps les tweets des spectateurs.

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De nombreux secrets et mécanismes de ludification sont mobilisés, des jeux dans le jeu. C’est tout cela qui donne au Mario Marathon son côté unique : les spectateurs font plus que regarder des gens jouer, ils participent et dialoguent. Entre 500 et 1 000 spectateurs sont sur la chaîne Twitch en moyenne, et leur investissement est complet :  ils diffusent le spectacle sur les réseaux sociaux et créent des fanarts et créations à la gloire du show.

Deuxième point d’emphase selon Brian Brinegar : le choix des jeux. « Il est crucial d’avoir de bons jeux (comme Mario) universellement reconnus comme importants. Par expérience, je dirais qu’un bon jeu à marathon n’a aucune portée narrative. On peut arriver sur le stream à n’importe quel moment et comprendre tout de même ce qu’il se passe. C’est moins simple pour Uncharted, à mon sens. »

Un précepte d’autant plus important pour un stream international dont il est impossible de regarder l’intégralité par définition. Cela se transpose aussi à l’AGDQ, d’ailleurs : on n’y regarde pas les jeux pour découvrir leurs scénarios, mais pour les voir finis à toute vitesse. En somme, évitez de marathoner un visual novel (livre interactif à la Phoenix Wright, Danganronpa ou 999) pour votre premier évènement.

Par expérience, je dirais qu’un bon jeu à marathon n’a aucune portée narrative

Troisième et dernier point ?

« Des gens géniaux. En planifiant le marathon, je pense avant tout à des rôles : les « engageurs » qui n’arrêteront jamais d’interagir avec les gens. Les joueurs, dont le rôle est de faire progresser le marathon, mais aussi de gérer le chat ou organiser les concours. »

Le rendez-vous d’une famille américaine

Au delà du community managing bien rodé, le Mario Marathon est devenu la capsule temporelle  d’une famille américaine. On ne regarde les jeux qu’à moitié : on est surtout là pour Brian, Shanna, Ben, Emily, Sundeep, leurs amis, leurs enfants qui grandissent au fil des années. C’est un peu comme retrouver des vieux amis. Tant et si bien qu’un mini-culte s’est établi autour de l’évènement.

Un nouveau visage s’assoit sur le canapé ? Il recevra « mec du canapé » comme pseudo de la part des commentateurs, probablement accompagnées de demandes en mariage. Le fétiche des spectateurs ? Un cochon en céramique moche. Les organisateurs jouent, dansent, chantent, font sonner un kazoo et gardent le sourire. Toute fibre de négativité est interdite, et cela fait du bien : cette unique caméra devient une sorte cocon protecteur.

Le fétiche des spectateurs ? Un cochon en céramique moche

Brian n’oublie pas de citer le dernier rôle, crucial : « Les animateurs. Les gens avec un bon sens de l’humour et un sens de l’improvisation à tout épreuve. Tout ceci compose déjà une fine équipe, mais il faut aussi des gens qui aiment passer du temps ensemble. Il suffit d’un groupe de gens pour qui on a envie de rester. » Rôle bien rempli par Sundeep, gai-luron qui répond aux invectives sur Twitter/Twitch/le chat, prédit l’avenir des donateurs… tout est bon pour continuer l’évènement.

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Le marathon n’a pas eu lieu pour la première fois en 2015. « Mais si ! Il était exclusif aux membres Gold », ironise Brian sur une parodie de statut premium débloqué au hasard des dons. Un statut qui n’offre… rien. « Je dépense énormément de temps et d’argent pour le préparer. C’est beaucoup de temps libre qui disparaît pour les vacances en famille. Mais ça leur a tous manqué et nous sommes heureux de retrouver les aficionados. » En effet, la logistique est lourde : moyens techniques, humains, matériels, trouver les prix… tout cela, en gardant à l’esprit que les organisateurs ne reçoivent rien du pactole final.

Et comme le partage est au cœur de l’initiative, les lecteurs peuvent trouver sur cette page en anglais des conseils plus précis pour organiser son propre marathon. Et peut-être rejoindre Le Desert Bus de l’espoir — entre autres — dans le petit monde de gaming caritatif français ?

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