Numerama a pris connaissance d’un projet de « régime expérimental » que souhaite mettre en place la Sacem, qui permettrait pour la première fois à ses auteurs de diffuser leurs oeuvres sous licences libres. Avec cependant des conditions très restrictives.

C’est en apparence un pas de petit poucet, mais en réalité un pas de géant que les artistes attendent depuis de nombreuses années de la part de la Sacem. La société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique devrait bientôt autoriser ses membres à diffuser leurs chansons sous licences libres, ce qu’elle avait jusqu’à présent toujours refusé. Par principe, un auteur qui devient sociétaire de la Sacem apporte l’intégralité de ses droits sur ses œuvres passés et futures, et donne mandat à la Sacem de les gérer. Or la Sacem estimait que toute exploitation d’une œuvre de son catalogue devait être rémunérée selon ses barèmes.

La société de gestion collective considérait que c’était son devoir de protection des intérêts des auteurs de refuser qu’ils placent leurs propres œuvres sous licences libres. Elle disait vouloir empêcher que des exploitants ne fassent pression sur les artistes pour qu’ils placent leur musique sous licence Creative Commons, de manière à éviter d’avoir à payer des droits sur leur diffusion. L’argument pouvait s’entendre. Mais à force d’être travaillée au corps par la fondation Creative Commons et devant l’inconsistance de ses positions par rapport aux pratiques de ses sociétaires, la Sacem a entamé une série de consultations ces dernières semaines.

Elle a même préparé un texte de travail, qui pourrait bientôt venir compléter les statuts et règlements de la Sacem. Il s’agirait d’un « régime expérimental », dont nous publions ci-après l’intégralité du texte soumis au débat.

En substance, le texte propose d’autoriser les membres de la Sacem à promouvoir gracieusement leurs œuvres par les licences libres, dans le cadre d’utilisations non commerciales. Les auteurs auraient bien sûr le droit de diffuser leurs propres œuvres, mais la Sacem autorise aussi explicitement la diffusion sur les blogs et sites web de particuliers, ou même sur les réseaux P2P, d’œuvres du catalogue de la Sacem publiées sous licence libre. Ce qui est de toute façon consubstantiel aux licences Creative Commons et autres licences Art Libre.

Le texte dit aussi qu’un « site Internet géré par un tiers et consacré à assurer la promotion des œuvres de l’esprit » aura le droit de diffuser les œuvres Sacem placées sous licence libre.

Mais il y a des mais.

Le régime n’autorisera pas un site comme Jamendo, par exemple, à exploiter les œuvres. La Sacem veut en effet exclure toute utilisation commerciale, et en donne une définition qui ratisse très large. Il s’agit de tout service « accessible sur abonnement, ou donnant lieu à des recettes de publicité, de parrainage ou d’échanges sous quelque forme que ce soit, ou sur lequel l’internaute est invité ou a la possibilité de verser une somme d’argent quel qu’en soit le motif ou le bénéficiaire« . Même un blog personnel qui diffuse des publicités Google Adsense est exclu du régime, ainsi que tout site gratuit qui sollicite des dons de ses visiteurs.

Dès qu’il y a « recettes directes ou indirectes, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, au profit des personnes ayant procédé à cet échange ou de tout tiers« , la licence libre est inapplicable.

De même, les TV, radios, commerces et autres lieux de travail qui diffusent de la musique devront toujours payer des droits à la Sacem, même s’ils diffusent uniquement des œuvres sous licence libre, dès lors que ces auteurs adhèrent à la Sacem.

C’est d’ailleurs ce point qui fait le plus débat chez les ardents défenseurs de la musique libre. Ils redoutent que le régime proposé par la société de gestion collective puisse encourager des artistes à rejoindre la Sacem, alors qu’ils souhaitaient auparavant s’en écarter. Des plateformes comme Jamendo ou Dogmazic ont beaucoup fait ces derniers mois pour convaincre des établissements de diffuser de la musique libre pour éviter de payer des droits à la Sacem. Il était simple pour elles d’expliquer aux artistes qu’ils devaient refuser d’adhérer à la Sacem pour faire la promotion de leurs titres sur Internet. Ils en profitaient alors pour agrandir leur catalogue 100 % sans Sacem qu’ils proposaient aux lieux publics à tarifs beaucoup plus avantageux. Mais avec ce nouveau règlement, la Sacem pourrait brouiller les cartes auprès des auteurs-compositeurs, et reprendre le contrôle sur son marché le plus prolifique.

On notera enfin que « le régime expérimental est sans incidence sur la réalisation de copies privées autorisées par le Code de la Propriété Intellectuelle et la perception de la rémunération pour copie privée y afférente« , ce qui implique que les œuvres sous licences libres ouvrent droit à la taxe pour copie privée. Même s’il n’y a pas, par définition, de préjudice à dédommager. Un beau casse-tête juridique en perspective.

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