La semaine dernière, nous avions rappelé comment les objets connectés allaient révolutionner la santé, pour le meilleur ou pour le pire, en allant jusqu'à associer notre profil génétique à l'analyse des données médicales collectées en temps réel par les montres et autres bracelets connectés. Il est un autre domaine où la prolifération des objets connectés que l'on porte en permanence sur soi — et qui conservent donc un historique précis de la moindre de nos activités — pourrait avoir une grande influence encore sous-estimée : la justice.
Le magazine Forbes rapporte ainsi qu'au Canada, un cabinet d'avocats de Calgary cherche à produire comme preuve au tribunal les données d'activité collectées par un bracelet Fitbit, dans le cadre d'un procès civil de demande de dommages et intérêts consécutifs à un accident de voiture. Alors que d'ordinaire c'est un expert médical qui évalue subjectivement les conséquences de l'accident sur la vie quotidienne de la victime, les avocats souhaitent apporter des preuves objectives en utilisant les données issues du Fitbit de la jeune femme accidentée.
Le cabinet a injecté les données sur la plateforme d'analyse Vivametrica, pour produire un rapport qu'ils espèrent faire admettre en justice. Il est censé démontrer que l'activité quotidienne de leur cliente est anormalement faible depuis son accident en comparaison de la population globale et compte tenu de sa profession (coach sportif), et qu'elle doit donc être dédommagée à due proportion. C'est une première qui n'a que peu de chances d'aboutir, notamment parce qu'il n'existe pas de données Fitbit précédent l'accident qui s'est produit il y a quatre ans, mais elle ouvre la voie à de nouvelles possibilités.
En droit français, le principe est que la preuve admissible est libre en matière civile (à l'exception d'actes tels que des contrats), administrative et pénale, ce qui offre aux avocats ou aux procureurs la possibilité de produire de telles données devant un tribunal à l'appui de leurs demandes. Ils peuvent aussi solliciter auprès du juge une ordonnance judiciaire pour obtenir auprès des prestataires les données collectées concernant une partie adverse ou un tiers au procès, si de telles données peuvent éclairer le tribunal.
Les Experts : wearables
Dans le cadre des enquêtes policières, la loi de géolocalisation du 28 mars 2014 prévoit déjà la possibilité pour la police judiciaire d'utiliser "tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel", ce qui avait été clairement établi lors des débats comme la possibilité de géolocaliser n'importe quel objet connecté, soit directement par ses coordonnées GPS s'il en émet, soit par le truchement des réseaux fixes ou mobiles auxquels il est connecté.
Ce n'est qu'affaire d'imagination pour trouver les cas dans lesquels les objets connectés pourraient être utilisés en matière judiciaire.
Songez par exemple qu'avec les montres connectées telles que l'Apple Watch, qui captent en temps réel le rythme cardiaque de l'individu et transmettent instantanément (ou à intervalles réguliers) les données vers des serveurs distants, il deviendra possible d'établir avec une précision inédite la date de la mort d'une victime — dans une version moderne des aiguilles arrêtées d'une montre cassée, mais aussi de retracer l'heure et la durée exacte d'une éventuelle agression, avec tout l'électrocardiogramme disponible pour les médecins légistes. Pour peu que l'assassin dispose lui-même d'un objet connecté au moment du crime, sa simple présence à proximité pourra suffire à le compromettre.
Mais les objets connectés pourraient aussi servir à la défense. On peut ainsi imaginer qu'une personne accusée d'un vol à l'étalage puisse non seulement prouver qu'elle n'était pas là au moment du vol, mais qu'elle n'a pas couru à toute allure comme le prétendait le commerçant. Et puisque l'on commence déjà à identifier les personnes par leur rythme cardiaque, il sera possible de prouver que le bracelet ou la montre n'était pas porté par un tiers.
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