Profitant de la jurisprudence Bettencourt, Serge Dassault a assigné Mediapart pour qu'il cesse de diffuser des enregistrements dans lesquels le sénateur paraît avouer un système de corruption à Corbeil-Essonnes. Mais le précédent Bettencourt a aussi rappelé à quel point la censure judiciaire était devenue impossible avec Internet.

Comme c'était à craindre, en acceptant en juillet dernier de condamner Mediapart à supprimer tous ses articles exploitant les enregistrements d'intérêt public de Liliane Bettencourt, la Cour d'appel de Versailles a creusé un sillon dans lequel d'autres s'engouffrent pour porter atteinte à la liberté d'information des journalistes.

Edwy Plenel annonce ainsi que le sénateur et marchand d'armes Serge Dassault a assigné Mediapart devant le tribunal de Paris, le 8 octobre prochain, pour obtenir l'interdiction de toute publication, "écrite ou audiovisuelle", "de tout ou partie des enregistrements" récemment publiés par Mediapart. Le journal en ligne a en effet publié deux articles, les 15 et 16 septembre 2013, dans lequel il révèle des propos de l'ancien maire de Corbeil-Essonnes, saisis au cours d'une conversation privée dans laquelle il apparaît parler ouvertement d'actes de corruption dont il serait l'auteur.

"Les faits que nous avons révélés (…) n’ont évidemment rien à voir avec la vie privée de Serge Dassault. Ils sont la pièce manquante, depuis saisie par la police sur réquisition judiciaire, d’un puzzle en cours d’assemblage par pas moins de trois enquêtes de justice, lequel puzzle met en évidence des pratiques attestées de corruption électorale, d’achat de votes, de liens avec des milieux criminels, etc.", défend Edwy Plenel. Mais en s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de Versailles, les avocats de M. Dassault estiment que ces propos relèvent de sa vie privée, et qu'ils doivent donc être tus par la presse.

"Jusqu’alors, une jurisprudence libérale, confirmée par la Cour européenne des droits de l’homme, protégeait le droit de la presse en estimant que l’intérêt public manifeste d’une information, et notamment la révélation de délits ou de crimes, l’emportait sur l’origine éventuellement illicite des preuves sur lesquels elle s’appuyait", rappelle le fondateur de Mediapart, qui s'est pourvu en cassation.

Cependant, comme dans l'affaire Bettencourt où les enregistrements clandestins ont été repris et diffusés sur de nombreux sites internet et sur les réseaux P2P, c'est l'effet Streisand qui devrait encore sortir gagnant de la demande de censure. Serge Dassault demande à la justice de contraindre Mediapart à supprimer tout article utilisant les enregistrements, et à ne plus les publier "sur toute publication papier, électronique ou autre". Mais avec Internet, il n'est plus possible d'obtenir la censure a posteriori d'un contenu devenu public. Là où la copie passe, la justice trépasse.

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