Jean-Marc Ayrault a annoncé son intention de dissoudre les Jeunesses nationalistes révolutionnaires, rattachées au mouvement Troisième Voie. Mesure symbolique décidée sur des considérations politiques, la dissolution administrative est-elle efficace ? Et surtout, a-t-elle encore un sens à l'heure d'Internet ?

Suite à la mort de Clément Méric, la question de la dissolution des groupes d'extrême droite s'est rapidement posée. Dès le lendemain des faits, le premier ministre Jean-Marc Ayrault a manifesté l'intention du gouvernement de "tailler en pièces, de façon démocratique, sur la base du droit, ces mouvements d'inspiration fasciste et néonazie, qui font du tort à la République et qui font tort à la France".

Ce samedi, l'exécutif a demandé officiellement au ministre de l'Intérieur Manuel Valls "d'engager immédiatement" une procédure en vue de la dissolution des Jeunesses nationalistes révolutionnaires. La mesure pourrait également s'étendre à "d'autres associations ou groupements de fait", préviennent les services du premier ministre, qui précisent qu'un "examen" en ce sens est en cours.

Ce n'est pas la première fois que des organisations sont dissoutes au nom de la loi. Il s'agit même d'une procédure administrative régulièrement mise en œuvre par l'État depuis 1936, à la faveur de la loi sur les groupes de combat et milices privées. Des dizaines d'organisations ont ainsi été officiellement supprimées. Mais à l'heure d'Internet, cette approche est-elle encore pertinente ?

Ce que dit la loi

La dissolution d'une organisation est prévue l'article L212-1 du Code de la sécurité intérieure, qui reprend en fait les dispositions prévues par la loi de 1936. Sept motifs peuvent être invoqués, dont celui ayant trait à la discrimination, à la haine et à la violence pour des considérations religieuses, ethniques ou nationales. Pour que que la mesure soit effective, il faut qu'un décret soit pris en conseil des ministres.

Est-ce efficace ? Des exemples récents ont montré qu'un groupe pris pour cible par les autorités pouvait réapparaitre sous un autre nom quelques temps plus tard. C'est le cas de la Tribu Ka par exemple. Visé par une procédure de dissolution le 28 juillet 2006, le collectif est réapparu ensuite sous le le nom de Génération Kémi Séba (groupement lui-même interdit le 15 juillet 2009).

Autrement dit, si le mouvement groupe nationaliste Troisième voie – auquel appartient les Jeunesses nationalistes révolutionnaires – est dissous, il est fort à parier qu'il réapparaitra ensuite sous une nouvelle identité, en modifiant tout ou partie de son précédent nom. La loi prévoit cependant un moyen pour contrer la résurgence d'un groupe sous une nouvelle identité. C'est l'article L431-17 du Code pénal.

Il expose que "le fait d'organiser le maintien ou la reconstitution, ouverte ou déguisée, d'un groupe de combat dissous […] est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100000 euros d'amende". Mais encore faut-il apporter la preuve du lien entre les deux entités, surtout si quelques changements (nouvelle hiérarchie, nouveau nom, nouveau programme) ont lieu pour masquer les pistes.

En outre, se pose la question des conséquences juridiques d'une telle dissolution sur les activités en ligne de ces groupuscules.

La présence en ligne

Quid des sites web et des comptes sur les réseaux sociaux ? France 3 indique que "lorsqu'un groupuscule, quel qu'il soit, est dissout, cela lui interdit de garder son site Internet, d’user de son nom, de présenter des candidats aux élections sous cette étiquette". Il s'agit manifestement des effets prévus par les articles 431-13 à 431-21 du Code pénal.

L'interdiction de conserver le site web de l'organisation peut-elle se traduire par une saisie administrative ? Il faut vraisemblablement aller chercher du côté de l'article 431-21, qui traite de la confiscation des biens et de tous matériels utilisés ou destinés à être utilisés par ladite organisation. Le site web constitue de fait un matériel de propagande qui pourrait être visé par cette disposition, si ce qualificatif est retenu.

La législation prévoit au besoin d'autres mesures pour empêcher la visibilité de ces groupes. On peut imaginer un cas de figure  le blocage par voie judiciaire ou administrative des noms de domaine au niveau des fournisseurs d'accès à Internet, avec la contribution des registres des domaines Internet de premier niveau (notamment l'AFNIC pour le .fr).

Concernant les comptes de réseautage social, la situation est quelque peu différente. La plupart du temps, leur présence s'effectue via des plateformes revendiquant leur soumission au droit américain, qui est autrement plus souple que celui en vigueur en France en matière de liberté d'expression. Les difficultés de compréhension entre Twitter et les associations antiracistes en France le montrent.

Le cas du site AAARGH (Association des anciens amateurs de récits de guerre et d'holocauste) illustre aussi la difficulté de neutraliser un espace négationniste. Comme le rappelle Wikipédia, En 2005, le site a été au centre d'une première judiciaire en France lorsque, suite à une plainte de l'UEJF, la justice française ordonna aux fournisseurs d'accès à Internet français de filtrer l'accès au site.

Or, l'association a réagi en migrant une partie de son contenu vers d'autres adresses.

Efficacité

De façon plus générale, cette décision est avant tout politique et son principal effet se situe sur le plan symbolique. Si elle doit répondre à un certain nombre d'exigences juridiques, plusieurs observateurs (comme Nicolas Lebourg, historien spécialiste des extrêmes droites, Jean-Luc Richard, politologue, et Alain Mikowski, avocat) sur l'efficacité et le sens de cette dissolution

Comme le pointait déjà le professeur de droit constitutionnel Bertrand Mathieu en 2002 suite à la dissolution d'Unité Radicale (qui réapparaitra en partie via le Bloc Identitaire), le gouvernement ne peut pas politiquement ne rien faire et laisser certaines mouvances faire n'importe quoi. Vu le contexte, il lui faut réagir même si l'efficacité concrète reste très discutable.

La dissolution de ces groupes entraîne par ailleurs le risque d'éparpiller leurs membres et, en conséquence, de compliquer leur surveillance par les services de l’État. C'est d'ailleurs pour cette raison que Manuel Valls s'oppose au blocage administratif des sites web promouvant le terrorisme. Il pourrait entraver l'enquête des services de renseignements et le travail du personnel judiciaire.

Enfin, et c'est sans doute le point à ne pas perdre de vue : est-ce vraiment une approche durable et efficace que de lutter contre des idées, aussi néfastes et dangereuses soient-elles, en dissolvant les groupes qui les défendent ? Ça ne résout pas le fond du problème. Ça le cache juste sous le tapis.

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