Ancien ministre de la Culture, très engagé dans la lutte contre le piratage sur Internet, Jacques Toubon est aussi membre du collège de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Juriste éclairé, M. Toubon semble toutefois croire que l’impossible n’existe pas. Ainsi, dans une interview accordée à Edition Multimédi@, il affirme que le streaming « est inclus dans la loi existante » contre le piratage, et qu’une simple « extension réglementaire sera nécessaire pour y appliquer la riposte graduée« . Les décrets publiés jusqu’à ce jour visent exclusivement le P2P.
« Chaque chose en son temps« , temporise l’ancien ministre.
Mais son optimisme est mal fondé, à double titre.
D’abord juridiquement, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que le fait de regarder des films ou d’écouter de la musique sur des services qui n’ont pas eu l’autorisation des ayants droit est en soit illicite. L’Hadopi tente de le faire croire, lorsqu’elle écrit dans son courrier recommandé que « nous vous rappelons que les comportements volontaires de consultation (…) d’œuvres protégées par un droit d’auteur (…) constituent des délits de contrefaçon sanctionnés par les tribunaux« . Mais elle fait semblant d’ignorer que la loi n’interdit pas de lire une œuvre, fut-elle contrefaite, et que les délits de contrefaçon concernent exclusivement les actes de reproductions, de mises à disposition et de représentation au public des œuvres sans l’autorisation des ayants droit. Ceux qui mettent en ligne les œuvres sont passibles de sanctions pénales. Pas ceux qui en profitent. Confrontée à cette contradiction, l’Hadopi nous avait répondu qu’elle était « attachée à ce que ses propos et ses courriers soient intelligibles par des personnes non averties« , et elle conseillait aux administrés de lire la loi pour vérifier qu’elle-même l’avait interprétée de travers.
Quand bien même le fait de regarder ou écouter des œuvres contrefaites en streaming serait-il une infraction pénale, encore faut-il pouvoir la constater par un procès verbal. Or techniquement, absolument rien ne permet aux ayants droit de constater une consultation d’œuvre à distance, pour la dénoncer. La traque des adresses IP sur les réseaux P2P est possible parce qu’il s’agit de réseaux d’échange publics, où chacun déclare plus ou moins directement ce qu’il partage et télécharge. Or sur les plateformes de streaming, seule la plateforme d’hébergement sait qu’un abonné à internet demande à accéder à une œuvre, et connaît son adresse IP. Le fournisseur d’accès pourrait éventuellement le savoir aussi, s’il espionnait l’activité de ses utilisateurs, mais c’est entrer là dans un scénario orwellien que même l’Hadopi ne veut pas envisager, ni officiellement ni officieusement.
Mieux vaut pour l’Hadopi faire peur en entretenant une certaine illusion sur ses capacités réelles d’adaptation, pour convaincre les abonnés d’installer des filtres qui demain, comme le souhaite le CSA, pourraient ne donner accès qu’aux sites de contenus labellisés par l’administration. C’est là la véritable stratégie envisagée. Car c’est la seule possible.
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