Voilà qui va redonner du grain à moudre au CSA, en quête de pouvoirs de régulation sur internet. Jeudi, le ministère de la Santé a condamné la programmation d’une chaîne YouTube intitulée « Les Recettes Pompettes », qui doit diffuser une émission du même nom présentée par Monsieur Poulpe. Ce dernier fait partie de l’écurie Canal+ à travers le Studio Bagel, racheté en 2014 par la chaîne.
La bande annonce vue près de 400 000 fois montre le concept d’une émission qui mélange allègrement cuisine et alcool. « Faire à manger, boire de l’alcool », répète en boucle le générique de l’émission prévue uniquement sur YouTube, où les règles de bienséance imposées par le CSA aux chaînes de télévision ne s’appliquent pas. On y voit le premier invité, Stéphane Bern, apparemment plus tout à fait maître de lui-même.
https://youtu.be/-4IPBSMOEKA
« Le ministère des Affaires sociales et de la Santé condamne fermement cette initiative : les conséquences de la consommation excessive d’alcool sur la santé sont trop graves pour être prises à la légère. Il est regrettable et dangereux de laisser croire, en particulier aux jeunes, que l’ivresse serait un comportement anodin, voire valorisant », déplore le gouvernement dans un communiqué.
Recettes Pompettes : et si le gouvernement avait raison ?
Il rappelle que l’alcool fait 135 morts par jour et que « les phénomènes d’alcoolisation massive sont en augmentation chez les jeunes Français ». Et pas qu’un peu. Selon la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) et l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé), depuis 10 ans la part des jeunes de 18 à 25 ans ayant été ivre au mois trois fois dans l’année aurait presque doublé, passant de 15 % à 29 %.
Le ministère annonce donc avoir demandé au producteur (les Studios Bagel de Canal+, donc) de renoncer à la diffusion de l’émission sur YouTube, et même de retirer la bande-annonce. Ce qu’il n’a pas fait pour le moment. Au contraire, la chaîne tente de faire monter la pression et de profiter de la polémique pour faire connaître la chaîne.
« Les jeunes ne m’ont pas attendu pour boire », rigole Stéphane Bern dans Le Petit Journal, dans une séquence d’autopromo diffusée jeudi soir. « Les gens qui parlent sans avoir vu l’émission sont des pisse-vinaigre ! ».
Plainte, renforcement des pouvoirs du CSA, ou auto-régulation ?
Le ministère dit étudier « les différentes voies de recours » possibles, ce qui pourrait donc aller jusqu’à demander en justice le retrait des vidéos. Même si les règles du CSA ne s’appliquent pas à internet, les règles générales de santé publique s’y appliquent bien, et en particulier les dispositions de la loi Touraine du 26 janvier 2016 qui interdisent l’incitation à la consommation excessive d’alcool par les mineurs, lesquels ont accès au programme. Mais toute la difficulté sera de démontrer qu’il y a bien incitation à une consommation « excessive ».
Par ailleurs « les boissons alcooliques font l’objet de dispositions particulières lorsqu’il s’agit d’en faire de la publicité ou de la propagande, qu’elle soit directe ou indirecte », rappelle aussi le ministère.
Tout ce qui est légal n’est pas forcément moral, et tout ce qui est immoral n’a pas nécessairement à devenir illégal.
On peut toutefois souhaiter, si l’émission est telle que le laisse entendre son nom et la bande-annonce, que Canal+ revienne de lui-même à la raison. Le groupe a une responsabilité sociale face à ce qu’il diffuse et ce n’est pas parce qu’il utilise internet comme vecteur de diffusion que cette responsabilité doit disparaître.
Ce n’est certainement pas parce que la loi ne prévoit pas encore de régulateur des contenus sur Internet (excepté pour la VOD, la SVOD ou les webradios) que Canal+ doit ignorer les raisons pour lesquelles certaines règles d’encadrement existent sur la télévision.
Tout ce qui est légal n’est pas forcément moral, et tout ce qui est immoral n’a pas nécessairement à devenir illégal. Il faut que l’autorégulation joue pleinement son jeu. Seul Canal+, aujourd’hui, sait à quel point son émission dépasse ou non les limites de l’acceptable.
De son côté, YouTube interdit les « contenus dangereux ou pernicieux », mais pour les cas les plus francs. Il s’agit par exemple de vidéos « qui expliquent comment fabriquer une bombe ou qui présentent des jeux de suffocation, la consommation de drogues dures, ou autres activités pouvant entraîner des accidents graves ». Or les « Recettes Pompettes » paraissent certes prendre la consommation excessive d’alcool avec légèreté, mais sans doute pas au point d’aller jusqu’à encourager des comportements suicidaires. Où faut-il placer la ligne jaune ? Le débat est ouvert.
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