Economiste pionnier d’Internet en France et formidable évangéliste des nouvelles technologies, le désormais retraité Jean-Michel Billaut publie sur son blog ses « contes de l’Internet », qui ressemblent à autant de chapitres de ses mémoires professionnels. Avec une écriture au style incomparable, il raconte aujourd’hui comment, un beau jour de 1999 ou 2000, Jacques Chirac s’est dressé comme un Gaulois pour prévenir l’envahisseur numérique que la France ne se laisserait pas faire.

C’était au cours d’une « réunion d’initiation » organisée à l’Elysée par Valérie Pécresse, alors conseillère aux nouvelles technologies. Parmi les intervenants invités à éduquer le Président de la République figurait Philippe Guillanton, qui était à l’époque le directeur de Yahoo France. C’était en pleine affaire des objets nazis qui étaient vendus aux enchères sur un service de Yahoo, en infraction avec la loi française mais en conformité avec la loi américaine derrière laquelle pensait s’abriter le portail (la justice californienne a finalement tranché en 2006, en jugeant que Yahoo devait se conformer au droit français pour faire des affaires en France, et donc bloquer l’accès aux objets nazis depuis la France) :

Et c’est là, Mesdames et Messieurs où Chirac a fait sa sortie qui restera dans la Grande Histoire de France :  » Monsieur Guillanton, je ne suis pas content de vous !  » Aussi sec comme on dit à Bezon. Sans connaître le motif de l’ire présidentielle, cela a jeté immédiatement un froid dans la salle du Conseil. D’un seul coup, plus aucun bruit. On entendait les mouches voler.

(…)
Le Président continua sur un ton hargneux :  » Vous vendez aux enchères sur votre site des objets nazis ! Je dois dire Monsieur Guillanton, que je ne suis pas du tout content. La France n’est pas fière de vous !…« 

Voilà donc quelle était la raison de la colère du plus haut personnage de l’Etat !

Là, on ne respirait plus du tout. La dernière mouche qui volait encore se retira les ailes repliées, l’air penaud, derrière une lourde tenture tissée de fils d’or. Tout le monde pensât que Guillanton allait se faire déchirer. S’en était fini de lui…

Hé bien non !… Notre gaillard, qui avait fait ses Humanités, a répondu du tact au tact au Président. Hé oui, Mesdames et Messieurs du tact au tact…

 » Monsieur le Président, Yahoo est une entreprise mondiale, et ne peut pas prendre en compte telles ou telles particularités locales… » Sic !…
Au mot « local », Chirac a fulminé… On aurait dit que des bouffées de fumée lui sortaient par les oreilles… Il en aurait laissé refroidir une tête de veau sauce gribiche, s’il avait eu le plat devant lui.. C’est dire !… La France « local » ? Et puis quoi encore ? « La France n’est pas « local », Monsieur Guillanton, sachez le bien !« …

Là, on s’est dit que le prévenant allait être condamné au bûcher en place de Grève. Au mieux, se faire embastiller à la Santé… La fièvre montait à El Pao. Pardon, dans la salle du Conseil. Je me demandais si nous allions en sortir sain et sauf. Reverrai-je Madame Billaut ?

Et Chirac a fait cette sortie mémorable en pointant un index furieux vers le jeune Guillanton, qui, tel un Danton sur l’échafaud, resta d’une dignité exemplaire :  » Monsieur Guillanton, vous direz à vos deux étudiants fondateurs, que plus jamais le Président de la République Française ne mettra les pieds sur Yahoo.com« … Impressionnant non ?


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