Depuis plus d’un an, l’ancien président de la Sacem Laurent Petitgirard avance ses pions pour promouvoir l’idée d’une taxe sur les FAI pour financer la musique enregistrée. Le projet de « licence musique » dont il dévoile les contours dans une récente interview rejoint nos informations selon lesquelles plusieurs FAI seraient proches de lancer leur plateforme propriétaire de contenus, contre une augmentation sensible et systématique du prix de l’abonnement.

Ca n’est plus qu’un secret de polichinelle. Depuis de nombreux mois, nous entendons régulièrement parler de rumeurs d’accords plus ou moins secrets entre la Sacem, les maisons de disques, les sociétés de gestion collective de droits voisins et les principaux fournisseurs d’accès à Internet en France. L’idée serait d’ajouter obligatoirement à la facture de l’abonné quelques euros par mois et de mettre en échange à leur disposition une plateforme permettant de télécharger toute la musique qu’ils souhaitent. L’offre serait illimitée, mais réservée aux catalogues des maisons de disques partenaires, et les internautes n’auraient pas le droit de redistribuer ces œuvres sur les réseaux P2P ou sur leurs blogs. Les plateformes sont quasiment prêtes, et n’attendent qu’un climat politique plus favorable à leur lancement. En clair : l’adoption définitive de la riposte graduée, censée pousser les internautes à utiliser exclusivement la plateforme propriétaire de leur FAI.

Dans une interview au magazine du Conseil Général des Haut-de-Seine où il dit avoir soutenu la loi Hadopi seulement « du bout des doigts« , l’ancien président du conseil d’administration de la Sacem dévoile les contours de ce qu’il appelle une « licence musique« . Fin lobbyiste, il prend soin de préciser qu’il en parle « en tant que Laurent Petitgirard, compositeur, et non plus en tant qu’ancien président de la Sacem« . Mais l’idée qu’il détaille ressemble pourtant à s’y méprendre aux projets dont nous avons eu l’écho, ou aux déclarations qu’avaient faites le président du directoire de la Sacem, Bernard Miyet, dès juin 2008.

« Il ne s’agirait évidemment pas de légaliser l’échange sauvage de fichiers via le peer-to-peer, mais de fournir une licence qui donnerait accès à des sites de téléchargement correspondant aux différents fournisseurs d’accès et fournis en fichiers sains par les producteurs, où l’abonné pourrait télécharger toutes les œuvres qu’il voudrait, puis à partir desquels on pourrait répartir les droits d’auteur à l’unité près !« , explique Laurent Petitgirard. « Il faudrait que cette licence soit intégrée à l’offre internet et peu chère, parce qu’elle devrait être incluse systématiquement dans tous les abonnements« .

« Avec par exemple six euros par mois partagés entre l’internaute et le fournisseur d’accès, sur dix-huit millions d’abonnés à haut débit, on arriverait à un ordre de grandeur d’un milliard trois cents millions millions d’euros par an pour la filière« . Soit plus de deux fois ce qu’a rapporté en 2008 le marché de gros de la musique enregistrée en France (606 millions d’euros). Jackpot garanti.

Selon M. Petitgirard, « on aurait là quelque chose de très sain, qui respecterait les traités internationaux, qui permettrait un accès large à la culture avec une vraie rémunération de la création« . Prière de ne pas rire. Car il y a beaucoup plus drôle.

Pour refuser la licence globale, Laurent Petitgirard critique la répartition par sondage qui est souvent avancée par ses partisans. « Parler de panel comme l’audimat, quand on sait la diversité des œuvres musicales, quand on parle de millions d’euros… Il faut être sérieux !« , s’étouffe l’ancien président de la Sacem. Il propose donc (c’est là qu’il faut rire) de rémunérer sur la base du nombre de téléchargements, à l’unité près. Comme au bon vieux 20ème siècle où l’on comptait le nombre d’achats d’un CD pour rémunérer l’auteur ! Comme si un album de la Star Academy acheté un soir de déprime et jamais plus écouté devait rapporter autant à son producteur et à son auteur qu’un album de Michael Jackson écouté et réécouté sans cesse depuis 20 ans. C’était jusqu’à présent le cas, par la force des choses, mais le 21ème siècle permettrait une rémunération beaucoup plus juste, assise sur le nombre d’écoutes. Tout autre mode de répartition ne serait pas plus fiable ni plus juste que la rémunération basée sur des sondages.

Ayant eu vent des mêmes rumeurs que Numerama, alerté par les mêmes interviews, la Quadrature du Net a publié récemment un communiqué demandant aux internautes de « se méfier des contrefaçons » de licence globale. Ils demandent en substance que toute idée de « licence » assise sur une taxe sur les abonnements à Internet puisse donner des droits supplémentaires aux internautes, que la rémunération soit ouverte aux auteurs d’œuvres sous licence libre, qu’elle soit ouverte aux nouveaux médias, et qu’une gouvernance démocratique de la répartition des sommes collectées soit mise en place. Autant d’éléments que la taxe soutenue par la Sacem ne semble pas respecter.

Le débat devrait s’intensifier d’ici la fin de l’année, puisque Nicolas Sarkozy veut qu’un Grenelle du financement artistique s’ouvre dès cette année. Une idée relayée par Frédéric Mitterrand, qui a annoncé à l’Assemblée Nationale et confirmé dans un communiqué son intention de « lancer très rapidement une vaste concertation, avec tous les acteurs de la Culture mais aussi de l’Internet, pour dégager ensemble des solutions concrètes et immédiates (…) à un partage équitable de la richesse créée entre les créateurs, les entreprises de la Culture, et les acteurs de l’Internet« .

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