En salle de presse de Barcelone, on travaille beaucoup, mais on se déplace aussi derrière les laptops de journalistes du monde entier. L’occasion de voir à quel point une partie du web est aussi obsolète qu’elle est handicapante.

Les journées dans un salon comme le MWC se ressemblent beaucoup pour un journaliste. Si on exclut les sujets de nos reportages qui sont tous différents, on peut dire qu’on alterne entre des excursions dans les allées du salon à la recherche d’une perle rare, des interviews avec des responsables inaccessibles la plupart du temps et de longs séjours en salle de presse pour écrire des articles. La salle de presse du MWC est extrêmement confortable : chaque journaliste a un petit bureau, du café illimité (même si on milite pour des perfusions de caféine directement dans le système nerveux), une prise et un câble ethernet. En plus, c’est plutôt calme.

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La salle de presse.

Cela dit, économie d’espace oblige, nous sommes rangés en lignes parallèles et du coup, en passant dans les allées pour trouver une place, on tombe toujours sur les écrans des collègues. Et s’il y a bien une chose qui me surprend à peu près à chaque fois, ce sont les backoffices périmés et catastrophiques d’un nombre considérable de mes pauvres confrères. Pour le dire vite, le terme de backoffice dans la presse désigne tout ce qui permet à un journaliste web de rédiger des articles sur un site. C’est un ensemble d’outils d’écriture et d’édition, l’envers du décor d’un site, les rouages de la machine qui vont transmettre les informations à la page que vous voyez. Et vous êtes loin d’imaginer à quel point certains d’entre eux s’approchent des cercles de l’Enfer.

D’abord, il y a ceux qui n’ont pas de backoffice du tout. J’étais assis hier à côté d’un collègue israélien fort sympathique, journaliste dans un média national en hébreux avec qui j’ai un peu discuté de la manière dont il publiait ses articles. C’est bien simple : il rédige ses articles dans un document texte qu’il transmet par mail à sa rédaction. Le journaliste n’a aucun outil d’édition ou de mise en page, ne sait pas à quoi va ressembler son texte, n’a pas idée de comment va rendre un paragraphe en ligne, bref, c’est de l’écriture à l’aveugle pour un média web qui sait sûrement qu’un texte bien aéré sur le web est plus confortable pour le lecteur.

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Numerama backstage

Mais on peut se dire que ce collègue n’a que la tâche de remplir son document et de faire un mail à sa rédaction en attachant quelques photos et que l’équipe technique se chargera du reste. Ce n’est clairement pas le pire. Non, le pire, ce sont les tableaux de bord qui entrent dans la catégorie fardeau technologique. Ils viennent d’un choix qui n’était peut-être pas bête il y a 15 ans quand tel ou tel site est né, de créer une solution propriétaire sur laquelle on pourrait tout contrôler, tout mettre à jour et tout modifier à volonté. Mais quand je vois dans les allées du MWC des collègues qui entrent des articles de 2000 mots dans des formulaires qui ne s’étendent pas en longueur, les empêchant de voir le début du papier sans avoir à scroller, qui n’ont pas de sauvegarde automatique de leur texte toutes les 15 secondes ou qui doivent entrer des bouts de mise en forme HTML pour faire un paragraphe, une mise en gras ou en italique… par empathie, j’ai mal.

Et ce n’est que le quart des problèmes et aberrations que j’ai pu repérer ici et là dans les allées du MWC. Certains ne peuvent pas uploader des photographies par lot et doivent tout faire photo par photo. D’autres n’ont pas de redimensionnement automatique dans le corps du texte et doivent traiter et redimensionner toutes leurs photos à la main. D’autres encore n’ont pas toutes les fonctionnalités sur la même page : il faut importer les photos dans une fenêtre, écrire dans une autre, faire le titre et le chapeau dans une troisième. Les sauvegardes entre les étapes ne sont pas automatiques : vous oubliez de le faire ? Il faudra tout recommencer.

Beaucoup trop d’interfaces n’ont pas été pensées pour des gens qui écrivent, qui photographient, qui font des entretiens, des reportages et des enquêtes

C’est en voyant tout cela que je comprends un peu mieux les journalistes habitués au papier qui ont fait de la résistance quand on leur a dit de commencer à faire du web : si j’avais eu un formulaire comme ceux que j’ai pu voir en face de moi, je n’aurais peut-être pas cherché bien longtemps. Beaucoup trop d’interfaces n’ont pas été pensées pour des gens qui écrivent, qui photographient, qui font des entretiens, des reportages et des enquêtes, parfois à plusieurs, et qui souhaitent être efficaces dans leur travail.

C’est comme si vous donniez un marteau-piqueur à un peintre et que vous lui disiez de faire une toile avec, au prétexte qu’il s’agit d’un outil complexe qui peut faire des traces sur une surface et qu’un technicien sait utiliser. Elles sont héritées d’un âge où les développeurs ne se souciaient pas vraiment du confort et de la productivité des gens pour qui ils travaillaient, estimant que chaque profession sur le web avaient les mêmes besoins que les techniciens du web.

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C’est on ne peut plus faux et je remercie chaque jour WordPress d’avoir mis gratuitement à disposition un CMS personnalisable à merci autour d’un éditeur de contenu gratuit, ouvert, puissant, intuitif, évolutif et facile à prendre en main — tout comme je respecte énormément le travail des développeurs du groupe Humanoid qui font de leur mieux pour rendre les outils qu’ils développent en interne toujours plus accessibles pour nous, journalistes. Car c’est tout l’enjeu pour les professions qui vivent du web et ne sont pas, à proprement parler, des techniciens : faire en sorte qu’elles puissent travailler sur le web sans même qu’elles y pensent. C’est aux développeurs de faire en sorte qu’elles n’aient pas à penser à l’outil, simplement à l’utiliser.

Aujourd’hui, 25 % des sites tournent sous WordPress et la tendance risque d’être à la hausse — même de grandes et anciennes entreprises de presse comme le New Yorker n’ont pas hésité à faire le switch. La fierté du backoffice maison est une chose du passé qui, malheureusement, empêche aujourd’hui beaucoup de journalistes qui essaient d’écrire sur le présent — et le futur.


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