Près de trois ans après la mise en route de la riposte graduée, quel bilan peut-on tirer de l'efficacité réelle de la loi Hadopi ? Les chiffres de la consommation légale de musiques et de films sont accablants.

Nous l'avons souvent écrit, le vrai bilan de la riposte graduée ne doit pas se juger au nombre d'e-mails envoyés ou de dossiers renvoyés devant les tribunaux, mais à l'évolution réelle du marché du disque et du cinéma. Même à considérer que la riposte graduée ait un effet sur les échanges d'oeuvres, cet effet n'a d'intérêt que s'il est accompagné d'une croissance des ventes de musiques et de films, supérieure à celle de pays comparables où n'existe pas d'équivalent de la loi Hadopi. A défaut, si les internautes piratent moins mais que les créateurs ne gagnent pas davantage, c'est bien la culture qui devient perdante.

Or malgré les quelques 1,7 millions de messages d'avertissements envoyés depuis octobre 2010, les chiffres du marché légal ne plaident pas en faveur d'une utilité économique de la riposte graduée, loin s'en faut. Jugez plutôt :

  • En 2012, le marché de la musique enregistrée a encore chuté en France de 4,4 %, à 589,7 millions d'euros (source : SNEP, .pdf). Pourtant dans le même temps, au niveau mondial, le marché a renoué pour la première fois depuis 1999 avec la croissance. 21 pays ont vu les revenus de la musique enregistrée augmenter chez eux l'an dernier, dont 9 des 20 plus gros marchés mondiaux, parmi lesquels la Suède, la Norvège, l'Australie ou le Canada (source : IFPI).
  • Malgré la riposte graduée, le marché musical en France fait aussi mal voire pire que d'autres pays comparables qui n'ont pas d'équivalent de la loi Hadopi, comme l'Allemagne (- 4,6 %), l'Italie (- 1,8 %), les Pays-Bas (- 4,7 %), ou la Grande-Bretagne (- 5,6 %).
  • La croissance du numérique est certes plus forte en France (+ 12 %) que la moyenne mondiale (+ 8 %), mais il s'agit uniquement d'un effet de rattrapage. Le numérique ne représente en France que 25 % du marché musical en 2012, alors qu'il représente 35 % à l'échelle mondiale.
  • En Corée du Sud, qui a été le premier pays à mettre en oeuvre une riposte graduée en 2009, les revenus musicaux ont baissé de 5 % en 2012, après plusieurs années de croissance qui avaient commencé dès 2008, avant l'envoi des premiers avertissements. Un article passionnant de Music Industry Blog démontre bien que la croissance n'a pas été portée par la riposte graduée, mais par une offre légale boostée par une offre de streaming très attractive (seulement 3$), et par un phénomène de mode qui voyait les Coréens acheter des chansons pour personnaliser leur profil sur le réseau social Cyworld. Les revenus de la musique numérique ont chuté, en grande partie à cause de la chute de Cyworld, et fait inédit, la musique physique reprend de l'ampleur avec une croissance de 19 % portée par les efforts marketing considérables que font les maisons de disques pour proposer des produits physiques packagés, qui intègrent le disque et d'autres goodies que s'arrachent les jeunes coréens. Sachant que la Corée avait été dès 2006 le premier pays au monde à avoir davantage de musique vendue en numérique qu'en physique, le retour en grâce du support physique sera très intéressant à observer.
  • Au niveau cinéma, ZDNet pointait du doigt récemment la panne du marché de la vidéo en France. Au premier trimestre, les ventes de DVD et Blu-Ray ont baissé de 8,7 % en volume, et même la VOD a baissé, pour la première fois. D'une année à l'autre, le marché de la VOD a baissé en France de 16,9 % en nombre de locations, et de 10 % en valeur ! Aux Etats-Unis, comme en Grande-Bretagne, le marché progresse. Deux pays qui ne connaissent pas de riposte graduée (ou seulement très récemment pour les USA).
  • Les salles de cinéma non plus ne bénéficient pas d'un effet Hadopi. Sur les 12 derniers mois, le CNC enregistre une baisse de 11,1 % des entrées en salle. Là encore, l'effet paraît plus prononcé en France qu'ailleurs, malgré les avertissements de l'Hadopi censés inciter les spectateurs à renouer avec les cinémas plutôt que de télécharger des films sur eMule ou BitTorrent pour les regarder chez eux. L'Observatoire Européen de l'Audiovisuel montre en effet qu'en 2012, les entrées en salle dans l'Union Européenne ont baissé en moyenne de "seulement" 2,4 %, mais de 5,9 % en France. En Allemagne, qui n'a pas de riposte graduée, les entrées ont progressé de 4,2 %.

Il est effectivement grand temps de passer à autre chose. Mais si cet autre chose vise encore à lutter contre le piratage plutôt qu'à proposer une offre légale réellement attractive, ce sera encore un coup pour rien. Et beaucoup de temps de perdu.


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