Le principe de l’égalité de tous devant la bande passante, qui a permis l’émergence de nombreux services innovants sur Internet, est pris d’assaut. La neutralité du net perd peu à peu ses supporters aux Etats-Unis, avec notamment Google qui demande désormais un traitement de faveur aux fournisseurs d’accès.

C’est un article du Wall Street Journal qui met le feu aux poudres. Dans un long article, le quotidien révèle que Google a proposé aux opérateurs de télécommunications américains un plan baptisé « OpenEdge« , qui pourrait sévèrement heurter le principe de la neutralité des réseaux. Selon un document analysé par le WSJ, que Google souhaitait garder secret, la firme de Mountain View proposerait aux opérateurs de placer certains de ses serveurs directement dans leur infrastructure réseau, pour un accès plus rapide et plus économique aux services proposés par Google.

Attaquée par le journal qui le soupçonne de vouloir renier ses engagements en faveur de la neutralité du net, la firme a assuré qu’OpenEdge était respécteux du principe selon lequel les opérateurs ne devraient pas opérer de discrimination entre les services et les contenus proposés aux utilisateurs du réseau. Il assure qu’il s’agit de mettre en cache chez les FAI les contenus les plus consultés par les internautes, pour éviter d’avoir à véhiculer en permanence les mêmes données d’un point à un autre du réseau, au détriment de la vitesse globale. OpenEdge, selon Google, ne serait pas tellement différent d’un serveur de cache comme ceux proposés par les spécialistes Akamai ou Limelight. Sauf que Google veut réserver le cache à ses propres contenus, en particulier aux vidéos diffusées sur YouTube. C’est là que le bât blesse.

« Tous les accords de colocation de Google avec les FAI – que nous avons menés via des projets appelés OpenEdge et Google Global Cache – sont non exclusifs, ce qui implique que d’autres entités peuvent bénéficier du même type d’arrangement« , assure Richard Whitt, conseiller pour les télécoms et les médias de Google à Washington, sur son blog. Mais si Microsoft ou Yahoo ont sans aucun doute la surface financière pour s’offrir de tels traitements de faveur sur le réseau, quid des petites entreprises qui se lancent avec un service innovant sur le marché ? « Le sort de certains sites web, en d’autres mots, pourrait dépendre de combien ils peuvent payer les fournisseurs de réseau, plutôt que sur leur popularité« , résume le Wall Street Journal. Le risque est de tuer l’innovation ou d’accentuer les mouvements de concentration au bénéfice des groupes qui ont la puissance suffisante pour s’offrir la bande passante ou l’infrastructure la plus rapide.

Un front en faveur de la neutralité du net qui se réduit comme peau de chagrin

La révélation des projets de Google permet d’ouvrir les yeux sur un virage idéologique qui se dessine du côté des grandes entreprises et du pouvoir politique, jusque là favorables à la neutralité du net. Microsoft et Yahoo ont ainsi quitté discrètement la coalition Save The Internet fondée il y a deux ans pour défendre la neutralité des réseaux. Tout comme Amazon, qui a noué un accord avec l’opérateur mobile Sprint aux Etats-Unis pour fournir à son livre électronique Kindle des taux de téléchargements plus rapides.

L’opérateur AT&T, lorsqu’il a racheté Bell South en 2006, a dû consentir un moratoire de 30 mois sur la création d’un réseau à deux vitesses pour obtenir l’accord du régulateur américain. Il expire au milieu de l’année prochaine. Avec Verizon, AT&T a déjà fait part de son intention de proposer aux éditeurs de services internet une bande passante plus rapide, qui leur donnera un avantage concurrentiel certain.

Même le fondateur des Creative Commons, Lawrence Lessig, qui est prétendant à la direction de la Commission Fédérale des Communications (FCC), a mis de l’eau dans son vin. Autrefois vif partisan de la neutralité la plus stricte, Lessig estime désormais qu’il n’est pas anormal de proposer aux éditeurs des tarifs rapides, à l’instar de ce que proposent les services postaux à leurs clients.

Barack Obama, qui compte le directeur de Google Eric Schmidt parmi ses proches conseillers sur les questions technologiques, pourrait lui aussi revoir ses positions. Il y a encore un an, il était sans ambiguïté. « Lorsque les opérateurs commencent à donner des privilèges à certains sites web et à certaines applications par rapport à d’autres, les voix les plus faibles se font écraser, et nous tous y perdons« , affirmait Obama pendant la campagne électorale… sur le campus de Google. Selon le WSJ, le président-élu serait beaucoup plus flou dans ses déclarations les plus récentes.

En France, le Plan Besson 2012 a rappelé l’importance de la neutralité du réseau, sans proposer de mesure coercitive pour l’imposer. L’offre de services de contenus par les fournisseurs d’accès à Internet ou par les opérateurs de téléphonie mobile devrait pourtant inciter à la prudence, à l’instar de SFR qui propose ses propres logiciels téléchargeables sur son propre réseau pour ses propres mobiles, ou de Free qui propose avec TV Perso une sorte de Dailymotion accessible uniquement aux freenautes. Sans parler des offres de VOD ou des forfaits de musique en ligne, ni du match de foot du samedi soir réservé aux abonnés du FAI Orange.

La question législative de la neutralité du réseau est renvoyée au niveau européen, avec le Paquet Télécom. S’il pose le principe de la neutralité du net, le texte adopté au Conseil européen sous la présidence française prévoit aussi la possibilité d’y faire entorse au niveau des Etats membres.


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