Décidemment les temps sont riches en événements judiciaires. Après le début du procès FastTrack le 2 décembre dernier, l’ouverture d’une procédure contre DVDXcopy ce mois-ci, et les premières plaidoiries contre Jon Johansen (DeCSS), c’est au tour de Dmitry Sklyarov de passer à la barre pour témoigner de la violation du système de protection mis en place par Adobe sur ses eBooks. De tous les procès, celui-ci est probablement le plus important avec FastTrack, puisqu’il met directement en jeu ce qui a lancé la polémique autour du DMCA. Explications.

Le DMCA (Digital Millennium Copyright Act) adopté sous le gouvernement Clinton en 1998 élève en infraction pénale le fait de casser une protection mise en place contre la copie d’un support numérique.

Or Sklyarov a mis au point pour la société russe ElcomSoft un logiciel permettant de craquer les protections des eBooks de l’éditeur américain Adobe. Dmitri avait alors été arrêté l’an dernier, après une démonstration dudit Advanced eBook Processor à la fameuse conférence Def Con qui réunit à Las Vegas les plus grands hackers du monde entier. Libéré en décembre 2001, il avait obtenu le droit de quitter le pays en l’échange d’une promesse de témoigner contre son employeur, Alex Katalov. Récemment, la Russie est venue imposer un contre-temps au procès en refusant à Sklyarov le visa qui lui aurait permis de témoigner dès le 21 octobre à San Jose, en Californie.

C’est finalement lundi après-midi que l’informaticien s’est vue interrogé dans le procès qui oppose Adobe et ElcomSoft. Répondant aux questions de l’avocat d’ElcomSoft, Dmitri Sklyarov a expliqué ne pas avoir développé le logiciel à des fins d’utilisations néfastes telles qu’une distribution massive des documents protégés, mais pour permettre aux possesseurs légitimes des documents d’en faire une copie personnelle, de les imprimer ou de les transférer dans les périphériques de lectures dédiés aux non voyants.

Lors du Def Con, Sklyarov avait mis en garde les clients d’Adobe contre les failles de sécurité qu’il avait trouvé sur le support, pensant ainsi jouer un rôle bénéfique en faveur d’un surplus de sécurité, et non l’inverse.

A la question « Vous considérez-vous comme un hackeur ? », Sklyarov répond par la négative : « Je suis un ingénieur informaticien, un programmeur« .
Mais il conscent à l’accusation qu’il ne se préoccupait pas des lois en vigueur aux USA lorsqu’il a programmé son logiciel.

Au delà du procès ElcomSoft, le procès du DMCA…

L’affaire ElcomSoft n’est qu’une petite affaire dans la Grande Affaire qu’est celle du DMCA. En effet, nombreux sont les informaticiens et chercheurs à s’être révoltés de voir adoptée une loi qui les rend pénalement responsable de toute publication visant à démontrer les failles de sécurité dans un système informatique. Depuis toujours, programmeurs et hackeurs se livrent une course pour protéger/craquer les logiciels et systèmes de protection. S’il s’agit d’une course, il ne s’agit que rarement d’une bataille remplie d’animosité. Il y a un respect mutuel, car tous visent un même but : la sécurité.

Avec le DMCA, les failles de sécurité restent, leur exploitation démeurre, mais les avertissements et notifications techniques permettant de les combler deviennent strictement illégales et répréhensibles. Ainsi loin d’atteindre l’objectif visé par la loi (la protection des données numériques), le DMCA porte la menace d’un effet totalement contraire.

Dès lors, le jeu du contre-pouvoir cher à Montesquieu peut-il mettre fin à cette abération législative ? Les juges savent toujours trouver les ressors juridiques nécessaires (soient-ils eux-mêmes aburdes) lorsqu’il s’agit de ne pas appliquer une loi qui leur paraît inadaptée. De plus, l’arrivée au pouvoir du gouvernement Bush a fragilisé la force du DMCA, remis en cause actuellement par certains députés comme Rick Boucher (Voir notre actualité du 6 octobre 2002).

Il n’est donc pas exclu qu’une décision venant écarter l’application du DMCA soit prise dans le procès ElcomSoft, même s’il s’agit là d’une vision sans doute bien trop optimiste des choses. Mais à la veille de Noël, qui peut encore nous interdire de rêver ?

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