Membre de l'Académie des sciences et directeur de recherches à l'INRIA, l'informaticien Serge Abiteboul est membre du Conseil national du numérique depuis le début de l'année. À ce titre, il a contribué à la rédaction d'un rapport sur la neutralité des réseaux. Accompagné d'un avis, adopté à l'unanimité, le document s'intéresse en particulier à la situation dans la recherche en ligne, dans la main d'un seul acteur : Google.
Le travail d'un moteur de recherche est de fournir pour chaque requête des résultats pertinents. Il doit donc fouiller dans sa base de données et établir une discrimination, afin de ne retenir que les pages et les contenus en rapport avec la recherche. Pour cela, l'algorithme s'appuie sur divers critères (mots-clés, liens, balises, date de publication…). Plus de 200 paramètres sont pris en compte, selon Google.
Cependant, Google n'est plus une entreprise qui ne s'occupe que de recherche sur Internet. En quinze ans, la petite startup est devenue une firme très puissante qui a des intérêts stratégiques à défendre. Dans la mesure où ses principales ressources proviennent de la publicité, il est naturellement tentant pour Google de privilégier ses services et ses produits plutôt que ceux de ses concurrents.
D'où l'enquête de la Commission européenne, qui cherche à savoir si la domination de Google sur le Vieux Continent (Google gère plus de 90 % de la recherche dans les cinq principaux pays) entraîne des abus et conduit le groupe à tricher. Car si un moteur de recherche est nécessairement obligé de trier, de classer et de hiérarchiser l'information, encore faut-il que cela se base sur des critères objectifs.
C'est à la fois un sujet complexe et un enjeu économique. Aussi n'est-il pas surprenant de voir Serge Abiteboul insister sur ce point, au cours d'une interview accordée à l'INRIA. "Les moteurs de recherche sont un point d’entrée essentiel sur le web. La plupart des internautes « voient » ce qui est sur le web au travers des résultats de leur moteur de recherche", explique-t-il.
"Si celui-ci leur cache complètement un contenu, ou le déclasse dans les résultats, l’internaute perd, de fait, la neutralité qu’il attend. Ceci n’est pas acceptable ni du point de vue de l’accès à l’information, ni de celui la liberté d’expression. Aujourd’hui, ce problème de liberté d’expression individuelle est d’autant plus préoccupant que l’on peut détecter automatiquement […] les internautes qui expriment un point de vue particulier", ajoute-t-il.
Reste qu'il est très difficile de prouver une discrimination qui ne se base pas sur des critères objectifs. "Comment détecter si [le moteur de recherche] est biaisé ? Comment le démontrer ? Les algorithmes de ranking sont complexes et de plus en plus, ils s'adaptent au profil de l'internaute. Du coup, deux internautes vont voir un classement différent des résultats de recherche, alors qu'ils ont émis la même requête".
Jusqu'où, dès lors, faut-il aller dans la personnalisation ? Serge Abiteboul suggère que les moteurs de recherche "devraient publier leurs algorithmes et laisser le choix entre un mode neutre de recherche et un mode personnalisé". Ce serait plus transparent, dit-il, et permettrait de mieux comprendre la manière dont les résultats sont classés.
Mais qui peut croire que Google accepterait de lever le voile sur sa recette ? Les autres moteurs de recherche ne tarderaient pas à s'en inspirer et, très vite, certains chercheraient à développer des astuces pour améliorer artificiellement leur position. Les créateurs de fermes de contenus s'en donneraient alors à cœur-joie pour essayer d'engranger encore plus d'argent.
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