L’appel des médecins et chercheurs dans le Monde sonne comme la perpétuation d’une joute entre l’Église et la science, façon Galilée, comme si la France en particulier, avait encore bien des difficultés à cloisonner morale religieuse et rationalité scientifique. L’une et l’autre, presque aussi entremêlées qu’au temps du droit canon, donnent à voir un combat sempiternel entre ceux qui trouvent, ceux qui explorent et ceux qui luttent pour que la recherche n’empiètent pas sur les convictions religieuses.
Mais la tribune inquiète, car elle pointe en effet le rôle ambigu de l’État dans l’affaire : ni arbitre, ni joueur, l’administration comme les politiques esquivent sciemment cette épine dans le pied de la science.
Serait-il temps de briser ces faux tabous pour de bon ?
Une Fondation d’utilité relative
Aucune éthique ne semble durablement possible autrement, d’autant que l’on parle de sujets aussi intimes et globaux que la vie, l’avortement, les embryons et, forcément, la mort. Car il s’agit ici de recherche sur l’embryon. Signe qu’une angoisse croissante monte dans la communauté scientifique, le mal est ici nommé : La Fondation Jérôme-Lejeune.
Cette dernière, reconnue d’utilité publique à sa création en 1996, se pare de bonnes intentions et d’un nom qui rayonne : celui d’un co-découvreur de la Trisomie 21.
Au nom de la maladie génétique, la Fondation se met au service des trisomiques et de leurs familles afin de les accompagner, les aider et porter dans la société les questions que posent les personnes atteintes. Mais comme piégée par son catholicisme latent, la Fondation se retrouve rapidement au cœur des mouvements anti-IVG, hostile à l’euthanasie et organise tous les ans la Marche pour la vie, dont la dénomination joyeuse cache mal le propos réactionnaire.
Finalement de plus en plus politique et de moins en moins crédible dans sa démarche éthique, le statut d’utilité publique de la Fondation Jérôme-Lejeune semble déjà peu adapté.
Mais pire encore que ses interventions là où l’on ne l’attend pas, la Fondation est également proactive et ne se prive pas de faire appel à l’appareil judiciaire comme politique pour défendre sa vision propre de la morale scientifique, quitte à empêcher les médecins de faire leur travail.
La tribune des chercheurs tente justement de souligner la dualité de cette Fondation utile aux familles et aux malades mais dangereusement réactionnaire et polluant le débat : « En outre, ses interventions ne concernent pas seulement les domaines médicaux ou scientifiques, mais s’inscrivent aussi, de plus en plus souvent, dans les champs sociaux et politiques, qu’il s’agisse du planning familial, du débat législatif espagnol sur l’avortement, de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme sur la filiation des enfants nés d’une GPA [gestation pour autrui], de la fin de vie, de la primaire organisée par Les Républicains en novembre 2016, etc. »
Le tweet ci-dessus a été retweeté par le compte de la Fondation.
L’engagement de la Fondation dans la Primaire de la droite est le dernier élément d’une longue et douloureuse dérive de l’association qui, comme aimantée par les Manifs pour tous et autres Sens Commun (émanation politique de la MPT), ré-invoque d’outre tombe l’inquisition scientifique.
Un bâton sacré dans la roue de la médecine
Une inquisition qui se déroule toujours devant les tribunaux, comme le soulignent les médecins : « la Fondation Jérôme-Lejeune cherche à bloquer les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires en multipliant les procédures pour faire annuler, par voie judiciaire, les autorisations de recherche que l’Agence de la biomédecine délivre en accord avec la législation française »
Le Monde compte pas moins de dix-neufs procédures engagées par la Fondation au Tribunal Administratif, neuf devant la cour administrative d’appel et dix devant le Conseil d’État. Une véritable charge judiciaire que les avocats proches de l’association s’acharnent à mener contre l’Agence de la biomédecine, une bataille lourde de conséquences pour les chercheurs parfois déclenchée pour une malencontreuse erreur de rédaction…
Aujourd’hui s’ils sonnent la charge c’est autant pour alerter sur le statut d’Utilité Publique d’une Fondation qui l’est, certes, dans sa prise en charge de la trisomie, mais qui dans ses autres champs d’interventions caricature et empêche le débat éthique, justement d’utilité publique, sur des sujets comme la recherche sur l’embryon.
La Fondation caricature et empêche le débat éthique, justement d’utilité publique, sur des sujets comme la recherche sur l’embryon
Par ailleurs, les médecins posent l’air de rien une question politique bien française : l’État est-il prêt à reprendre la main sur les débats éthiques en tentant, au moins dans les esprits et les labels, de redonner à la science et à une morale laïque le droit de s’asseoir à la table des discussions ?
Car au delà des recherches qui ne se font pas, des étudiants forcés de partir à l’étranger pour continuer leurs travaux, et des remèdes que l’on ne découvre pas, il y a également un débat que la France n’a pas : quid d’une éthique citoyenne, politique et savante qui ne mépriserait pas nécessairement les convictions religieuses mais les questionnerait au moins publiquement au nom, justement, de l’intérêt général ?
Retrouvez la liste des signataires de la tribune ici.
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