(CC Peter Gerdes)
Il fallait bien que la nouvelle tombe un jour. Après avoir séduit des investisseurs à grands coups de présentations Powerpoint toutes plus ensorcellantes les unes que les autres, Deezer voit enfin arriver droit devant lui le mur qu’il refusait de regarder jusqu’alors. Selon ElectronLibre, les actionnaires de Deezer (CIC, AGF, le patron de Free Xavier Niel, et les fondateurs de Pixmania) seraient en effet en passe de mandater des banques d’affaires pour se débarasser du coûteux site de musique en ligne.
Nos confrères, qui avaient annoncé il y a deux jours un départ du fondateur Johnatan Benassaya aussitôt démenti par Deezer, persistent et signe. « La décision de son remplacement est actée (…) Le remplaçant aussi est en approche. Sans aucune attache avec le monde des médias, de la musique ou de l’internet, son profil de manager devrait faire merveille pour mettre Deezer en configuration de vente« , écrit Emmanuel Torregano. Les vendeurs, qui espéraient d’abord tirer 80 millions d’euros de la vente, auraient largement revues à la baisse leurs prétentions à la vue des résultats décevants de l’offre Premium.
Le site compterait actuellement 10.000 abonnés à l’offre Premium à 9,99 euros par mois, et 4.000 abonnés à l’offre de streaming haute-qualité à 4,99 euros par mois. Soit un chiffre d’affaires mensuel de moins de 120.000 euros pour l’offre payante. Les actionnaires « en espéraient dix fois plus« , écrit Torregano, qui précise qu’en revanche la régie publicitaire s’en sort très bien avec 700.000 euros mensuels de recettes pour 6 millions de visiteurs uniques. Au total, c’est donc environ 820.000 euros par mois, soit un peu moins de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel que rapporterait le site sur les bases actuelles.
C’est beaucoup trop peu pour satisfaire l’appétit dévorant des grandes maisons de disques, qui selon les bruits de couloirs s’étaient fait remettre pour certaines des chèques de plusieurs millions d’euros simplement pour signer l’autorisation de diffusion de leur catalogue en faveur de Deezer (d’où leur féroce opposition à la licence de gestion collective de Zelnik, d’autant que Deezer aurait obtenu en échange un certain protectorat des majors pour le marché français). Une somme à laquelle doit s’ajouter le paiement des droits d’auteur, des droits des éditeurs, des droits des producteurs, et des droits des artistes interprètes. A chaque écoute, la note augmente.
Les difficultés de Deezer ne devraient cependant pas être une surprise. Déjà lorsque Universal Music avait signé en 2006 un accord avec SpiralFrog, le pionnier américain de la musique gratuite financée par la publicité, nous avions mis en doute le modèle économique. « Le format publicitaire est-il aussi naturel pour la musique ? Il n’est certain ni que la publicité trouve sa rentabilité dans des chansons écoutées en fond sonore, ni surtout que le public les accepte plutôt que de leur préférer le P2P et des fichiers sans DRM« , écrivions-nous. De même en 2008, lorsque la Sacem s’est elle-même inquiétée des faibles rentrées d’argent : « Soit les publicités sont uniquement affichées à l’écran, et elles ne sont pas regardées par ceux qui sont là pour écouter. Soit les publicités sont insérées en audio dans les morceaux, et dans ce cas les internautes partiront ailleurs écouter leur musique. »
Peut-être les annonceurs commencent-ils eux-aussi à le comprendre, eux qui payent extrêmement chers leurs publicités. Selon la grille tarifaire (.pdf) affichée par Deezer, un simple pavé publicitaire de 300 x 250px sur la page d’accueil du site coûte 60 euros pour 1000 affichages. A titre de comparaison, Le Monde du haut de sa très grande réputation facture 35 euros la même publicité sur sa page d’accueil. Ce qui est, déjà, extrêmement élevé par rapport aux moyennes pratiquées par les régies publicitaires du commun des sites Internet. Si les annonceurs ne se précipitent plus, cela peut expliquer qu’ElectronLibre indique que « les perspectives ne sont pas au beau fixe » pour les recettes publicitares de Deezer.
« En cas d’échec de SpiralFrog à trouver l’équilibre financier et à satisfaire les demandes d’Universal, c’est toute l’industrie du disque qui pourrait être contrainte de songer à nouveau à la licence globale« , avions-nous écris en 2006. C’est aussi vrai aujourd’hui pour Deezer, présenté pendant les débats sur la loi Hadopi comme le champion français de la musique légale.
C’est sans doute avec la même analyse que MyMajorCompany a lui-même fustigé Deezer il y a quelques mois, et demandé « des solutions techniques et économiques dans le sens d’une licence globale plutôt que dans la répression du téléchargement« .
On y arrivera, nécessairement. Il faudra juste le temps de peupler le cimetière des éléphants.
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