C'est une alliance à la hauteur des enjeux. Alors que l'examen du projet de loi sur le Renseignement  aura lieu le 1er avril en commission des lois, plusieurs organisations ont tenu une conférence de presse commune pour dénoncer la légalisation de techniques de collecte, le déficit de contrôle à tous les niveaux et l'empressement avec lequel le pouvoir veut légiférer au nom de la lutte contre le terrorisme.

Alerter l'opinion publique sur l'étendue des nouveaux pouvoirs qui seront conférés aux services secrets avec le projet de loi sur le Renseignement, présenté la semaine dernière par le gouvernement. Tel est le principal objectif de la Quadrature du Net, qui organisait une conférence de presse dans ses locaux ce jeudi matin.

À l'invitation de l'association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, plusieurs organisations (la Ligue des Droits de l'Homme, Reporters Sans Frontières, Amnesty International France, le Syndicat de la Magistrature, le Centre d'Études sur la Citoyenneté, l'Informatisation et les Libertés…) se sont évertuées à répéter les nombreux griefs contre le texte.

Trois axes principaux se sont dégagés de leurs interventions successives.

PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE

La première porte sur le "rythme d'enfer" avec lequel le texte franchit les différentes étapes de la procédure législative, sans que la société civile puisse avoir le temps d'y réfléchir et que les parlementaires aient la possibilité d'avoir un avis éclairé sur certains aspects les plus polémiques du projet de loi (surveillance de masse, filtrage du net pour y censurer contenus et opinions).

Le calendrier illustre cette volonté d'aller très vite :

  • 19 mars : présentation en Conseil des ministres et dépôt à l'Assemblée nationale ;
  • 24 mars : nomination du rapporteur pour la commission de la défense, Philippe Nauche ;
  • 31 mars : audition de Bernard Cazeneuve par la Commission des lois ;
  • 31 mars : avis de la commission de la défense ;
  • 1er avril : examen du texte en commission des lois ;
  • 13 avril au 16 avril : examen en séance plénière de l'Assemblée nationale en procédure d'urgence (une seule lecture).

LÉGALISATION DE PRATIQUES A-LÉGALES

Le deuxième reproche concerne la légalisation de pratiques jusqu'à présent secrètes ou officieuses. Comme l'a fait remarquer Amnesty, les révélations de Snowden auraient dû pousser les gouvernements à fixer des jalons plus protecteurs pour la vie privée. Mais c'est l'inverse qui est se produit : les États légalisent des techniques illégales, faisant fi de l'opinion publique, et des réserves sur l'efficacité de la surveillance de masse. Pour le Centre d'Études, cela s'apparente à du "blanchiment".

Or, la voie qu'emprunte le gouvernement va dans le mur. "On ne peut rendre légal ce qui est illégal au regard du droit international", explique Amnesty sur le renseignement de masse.

Les associations ne contestent pas le fait qu'un État ait besoin de bons services de renseignement, mais des garanties doivent être prévues dans les textes. La Ligue des Droits de l'Homme et Reporters Sans Frontières évoquent ainsi certaines professions qui nécessitent une protection toute particulière : journalistes (secret des sources), avocats (secret de l'instruction), médecins (secret médical)…

DES RECOURS ? QUELS RECOURS ?

La troisième problématique concerne les recours qui sont prévus dans le texte. Pour l'ensemble des intervenants, il est évident que les capacités de la future commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ont été sciemment limitées afin justement qu'elle ne puisse à aucun moment entraver la raison d'État. Or, "face à l'État, il ne s'agit pas de faire confiance : il s'agit d'avoir des garanties", assène la Ligue des Droits de l'Homme.

Pour la Ligue des Droits de l'Homme, cette situation pose question : pourquoi créer une structure "sans bras et sans jambes" ? Pourquoi cette absence de garanties et de contre-pouvoirs ? L'ONG le dit avec force : ce ce texte "organise l'impunité des agents de l'État", ce qui explique pourquoi le gouvernement a la volonté d'aboutir coûte que coûte, en prenant soin de ne pas être entravé avec un vrai contrôle "a priori".

pour le Syndicat de la Magistrature, ce déficit de contrôle démocratique s'explique par la nature du texte. Il ne s'agit pas d'une loi anti-terrorisme, mais d'une loi sur le Renseignement, pour laquelle l’État se sent investi du droit de n'avoir presque aucun compte à rendre. Le texte doit permettre à l’État d'avoir en main des "outils extrêmement intrusifs" pour investir d'autres terrains que la seule lutte contre le terrorisme.

Bref, c'est un système régalien par excellence, qui refuse tout droit de regard indépendant de l'exécutif. "Ce qui est proposé ce sont des dispositifs extrêmement intrusifs et dans les mains du premier ministre", lance le Syndicat de la Magistrature.

ET MAINTENANT ?

La Quadrature du Net ne se fait guère d'illusion, au regard de la convergence de points de vue qui existe entre le gouvernement, la majorité présidentielle et l'opposition. La vitesse de la procédure limite la possibilité de déposer des amendements qui auraient une réelle incidence sur le texte (ils seront de toute façon rejetés, sauf les contributions cosmétiques et sans intérêt).

En somme, les "conditions ne sont pas réunies". Mais, malgré la "pression morale forte" qui s'exerce sur les opposants au texte, le peu de marges pour le dépôt des amendements et le calendrier ultra serré, la Quadrature du Net promet de continuer malgré tout de mener campagne, notamment en direction des parlementaires, qui seront amenés à voter le texte.

Sans livrer de noms, la Quadrature a fait savoir que des élus de droite et de gauche étaient déjà sensibilisés aux problèmes du texte, et qu'ils pourraient donc s'y opposer.

Cependant, des élus contactés par l'association ont fait part de leur résignation face aux chances de repousser le texte ou de leur crainte d'aller contre le sens du vent sécuritaire. C'est donc vers eux que l'effort sera dirigé en priorité, pour leur montrer qu'ils ne sont pas seuls et pour bien leur faire comprendre la portée de ce qu'ils s'apprêtent à voter.

C'est impératif. Car, comme le relève le Syndicat de la Magistrature, une fois ce type de loi voté, "il n'y a jamais de retour en arrière".

( photo : Amnesty International France )

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