Remis ce mercredi au Centre National de la Cinématographie (CNC), le rapport de René Bonnell sur le financement de la production du cinéma demande de renforcer la lutte contre le piratage avec des amendes dissuasives pour renforcer la loi Hadopi, et la constitution d'une justice privée visant à assécher financièrement les sites qui n'ont pas été déclarés illicites dans un tribunal.

Son rapport fera du bruit pour les rémunérations indécentes (et parfois illégales) des stars qu'il dénonce, ou les défaillances du système de financement des films qu'il pointe du doigt. Mais l'ancien directeur du cinéma de Canal+ René Bonnell, qui connaît parfaitement bien son ancien président Pierre Lescure et le petit monde du cinéma, n'est pas homme à se fâcher avec ses amis. Publié ce mercredi, son rapport (.pdf) sur "le financement de la production et de la distribution cinématographique à l'heure du numérique" ne manque pas de caresser dans le sens du poil les exigences fondamentales de la profession, en particulier en terme de taxation des acteurs du web et de lutte contre le piratage.

Ainsi par exemple, René Bonnell propose d'élargir "l’assiette de la taxe [vidéo] au chiffre d’affaires des opérateurs OTT (qui passent par Internet, ndlr) de type ITunes ou Google Play qui proposent depuis l’étranger ventes ou locations de vidéogrammes", et de faire contribuer les plateformes comme YouTube ou Dailymotion à la taxe sur les services de télévision (TST). "Cela n’ira pas sans difficultés mais il s’agirait de les surmonter car il y va de l’équilibre concurrentiel du marché à l’égard des opérateurs nationaux".

"Pour des raisons maintes fois exposées, il est stratégique que les opérateurs étrangers en matière de vidéo (Love Films, Apple, OTT de toutes natures) interviennent sur le marché national dans les mêmes conditions de concurrence que les opérateurs nationaux", prévient le rapport.

Par ailleurs, René Bonnell déplore que "le secteur de la vidéo connaît une forte rechute de son chiffre d'affaires dans toutes ses déclinaisons", et assure qu'il "devient urgent de mettre fin à cette hémorragie". Il constate qu'en dix ans, le marché a perdu près de 50 % de son chiffre d'affaires, et qu'il baisse de nouveau après une légère reprise. Ni la faute à la crise, ni à la concurrence de nouvelles dépenses (Internet, téléphonie mobile, jeux vidéo…), mais évidemment celle du piratage.

Des amendes Hadopi d'un côté, une censure privée de l'autre

"Une lutte active contre le piratage est une des conditions clés pour permettre l'essor de la vidéo sous toutes ses formes", entonne donc M. Bonnell, qui veut donner du coup de bâton aux mauvais acheteurs en redonnant toute sa gloire à la riposte graduée de l'Hadopi (ou du CSA s'il reprend cette fonction).

"Dès lors que la sanction de la fermeture de l'accès à Internet a été supprimée en juillet 2013, le système de sanction par voie d'amendes en cas de récidive doit être rapidement défini et appliqué. Le niveau de l'amende doit être dissuasif et progressif et lié à la fréquence et la gravité de l’acte délictueux", demande le rapport, qui ne va pas jusqu'à suggérer des montants. Pierre Lescure avait tranché pour 60 euros dès la premier PV, les ayants droits demandent le double. La ministre de la Culture Aurélie Filippetti, après quelques hésitations, avait finalement rejeté l'idée d'amendes administratives, en conservant — pour l'instant — la primature du juge.

"L'Hadopi ou l'institution qui la remplacerait dans cette fonction devra consentir également un important effort de communication pour remplir sa mission pédagogique de prévention de la piraterie", ajoute René Bonnell, qui trouve peut-être que l'Hadopi a un message trop ambigu.

Il reconnaît toutefois que "la priorité doit être donnée à la lutte contre la piraterie lucrative qui est de loin la plus dommageable"… "sans pour autant négliger la répression par voie d’avertissement et d’amende les particuliers récidivistes.". En clair, il faut à la fois dissuader les internautes de pirater sur les réseaux P2P par le biais des amendes, et les empêcher de pirater sur des sites de streaming ou de téléchargement direct, où les amendes individuelles sont impossibles à mettre en oeuvre.

Il faut "frapper le phénomène à la source" pour "ordonner d’éventuelles mesures coercitives (fermeture des sites, poursuites pénales, etc.)", sur le modèle des blocages imposés d'Allostreaming et associés.

Tel que le suggère l'Hadopi elle-même, dans un volet en développement sur la lutte contre la contrefaçon commerciale (en fait les intermédiaires tels que les sites de streaming, de liens P2P, d'hébergement de fichiers, etc.), René Bonnell demande à "associer l'ensemble des acteurs qui participent à la monétisation de ces activités" pour obtenir "le tarissement concerté de ces sources de revenus, principales motivations des pilleurs de droits".

Mais pas question de faire confiance au juge. Ce n'est plus la mode. "La voie de l’autorégulation ou de la co-régulation pourrait utilement être explorée, en faisant participer à la réflexion les régies, les associations d’annonceurs, les agences de publicité et les établissements financiers, qui concourent à assurer à certains sites et à leurs utilisateurs des ressources publicitaires de toutes natures".

Une tentative de régulation par l'assèchement financier qui ne fera que renforcer des monnaies incontrôlables comme BitCoin, et générer une économie parallèle. Lorsque nous l'écrivions en 2011, beaucoup riaient. C'était avant que Bitcoin prenne l'ampleur qu'on lui connaît aujourd'hui.


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