Dans le cinquième épisode de la deuxième saison de l’examen du projet de loi Création et Internet, un personnage est mort : la présomption d’innocence. Liquidée par une assemblée de bourreaux venus faire le boulot qu’on leur demandait, et qui ont reproché à ceux qui s’opposaient à la guillotine de « vouloir rechercher la petite bête ». Dans les épisodes précédents : S2E01, S2E02, S2E03 ; S2E04
NB : Nous rappelons à nos chers lecteurs que pour la nécessité impérieuse du mariage de votre serviteur, programmé ce jeudi 7 mai, la rédaction de Numerama n’assurera pas le traditionnel résumé des épisodes de l’Hadopi programmés ces mercredi et jeudi :-) Vous pourrez toutefois les vivre et les commenter en direct sur hadopi.numerama.com avec les nombreux Numeranautes qui nous suivent chaque jour. Le débat reprend ce mercredi après les questions au gouvernement, autour de 16H30.

Le talent combiné du nouveau mousquetaire Jean-Yves Bouillonnec, révélé dans l’épisode 4, et de l’ancienne ministre de la Justice Marylise Lebranchu n’y auront rien changé. Les députés UMP étaient venus mardi dans l’hémicycle avec l’intention de continuer l’œuvre entamée depuis le début de l’examen du projet de loi Création et Internet en seconde lecture, et ils y sont parvenus sans peine : surtout ne pas réfléchir et rejeter tous les amendements présentés.

Jusque très tard dans la nuit, puisque c’est seulement à 2H30 que la séance fut levée, les députés qui ont su rester éveillés ont ainsi défendu face à un mur chacun des amendements que l’opposition avait choisi de re-déposer à l’occasion de la nouvelle lecture ordonnée par le gouvernement. Avec pour chaque la même réponse inlassable du rapporteur Frank Riester et de la ministre Christine Albanel : « défavorable« .

Ceux qui ont assisté aux débats toute la nuit risquent d’en avoir eu les échos jusque dans leurs rêves ou leurs cauchemards tellement le mot « défavorable » a raisonné sans relâche pour sanctionner chacune des tentatives d’amoindrir les effets néfastes promis à l’Hadopi.

Les députés de la majorité, peu nombreux mais en nombre suffisant pour assurer le service minimum, ont rejeté l’amnistie pour les P2Pistes qu’avait adopté l’Assemblée en première lecture, refusé de supprimer la possibilité d’une poursuite au pénal pour les faits traités par l’Hadopi, refusé de ne poursuivre que pour les cas où l’œuvre téléchargée était disponible légalement, refusé l’amende plutôt que la suspension de l’accès, et surtout annihilé toute une série d’amendements destinés à mieux garantir les droits de la défense (recours suspensif, motivation précise des avertissements, recours contre les e-mails ou lettres recommandées, charge de la preuve…).

« Il y a une raideur de la part du ministère et de la part du rapporteur qui empêche que l’on puisse voter un texte intelligent« , a regretté le député UMP Christian Vanneste, dont l’intervention en première lecture avait permis l’adoption symbolique de l’amnistie des P2Pistes, par la majorité. Cette fois-ci, elle l’a rejetée par 122 voix contre 47, sous les protestations de l’opposition qui a fait fuser les « godillots ! » lancés à destination des bancs opposés. C’est « la droite qui godille avec frénésie« , s’amusera même le député socialiste Patrick Roy, en référence aux propos de Christine Albanel qui a assuré à de multiples reprises qu’il faudrait que les internautes « piratent avec frénésie » pour voir leur accès suspendu après plusieurs avertissements.

Frank Riester reconnaît une présomption de culpabilité

« Nous légiférons sous pression Elyséenne« , a aussi dénoncé le député Patrick Bloche, estimant que peu importe le résultat pour la majorité, « l’essentiel c’est qu’on en finisse pour faire plaisir uniquement à celui qui s’est engagé personnellement à travers les accords de l’Elysée, c’est-à-dire Nicolas Sarkoy« .

Jean-Yves le Bouillonnec, qui a défendu de nombreux amendements visant à mieux garantir la présomption d’innocence des citoyens qui risquent d’être accusés voire sanctionnés à tort par l’Hadopi, a prévenu la majorité qu’elle ouvrait la voie à un « contentieux inextricable« .

Il a notamment défendu un amendement très important qui proposait que l’Hadopi ne traite plus des « faits susceptibles » de constituer un manquement à l’obligation de surveillance de l’accès à Internet, mais bien des faits « constituants » un tel manquement. Comme nous l’avions déjà expliqué lors de la première lecture, ces quelques mots en apparence anodins ont une importance capitale, puisque dans le premier cas l’Hadopi travaille sur des présomptions d’infractions, qu’elle n’a pas besoin de prouver, alors que dans le cas des faits « constituants » un manquement, elle doit au préalable instruire le dossier et vérifier la matérialité de l’infraction reprochée.

Embêté, le rapporteur Frank Riester a reconnu que « les manquements constatés demeurent présumés« , c’est-à-dire qu’il y a bien présomption de culpabilité, mais que vouloir changer les termes du texte était le signe d’une « opposition systématique« , qui veut « chercher la petite bête« .

« Caractériser dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale de petite bête les principes fondamentaux du droit, avouez que dans le summum on vient de toucher un point non négligeable en terme d’attitude« , s’est aussitôt indigné M. le Bouillonnec. « Nous sommes en train de construire un dispositif qui est répressif et qui rend indispensable à nos yeux d’utiliser toutes les règles fondamentales de notre droit (…) Il n’appartient pas à celui qui est mis en cause d’apporter la preuve qu’il n’est pas coupable de l’imputation. On a oublié tout ce qui constitue les conditions dans lesquelles une société peut organiser les conditions de sanction au manquement de ses règles« .

Pour sa part, Christine Albanel s’est étonnée que l’on puisse vouloir contester « les actes pédagogiques qui font toute la douceur de cette loi » (sic).

Tous les amendements allant dans le sens d’une meilleure protection des droits de la défense ayant été rejetés, la présomption d’innocence a été assassinée dans le projet de loi. Ou plutôt pas, puisqu’elle n’y a jamais existé.

Restera au Conseil constitutionnel de s’en rendre compte, et de le sanctionner.


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