Pour le rapporteur de loi Création et Internet, le dispositif de la riposte graduée vise à encourager les internautes à migrer vers les offres légales, notamment pour permettre à Deezer de gagner plus d’audience pour convaincre davantage d’annonceurs de rémunérer les ayants droit. Une absurdité à plus d’un titre.

Le député UMP Frank Riester, rapporteur du projet de loi Création et Internet à l’Assemblée Nationale, et le député socialiste Patrick Bloche, chef de file de l’opposition sur le même texte, étaient opposés la semaine dernière dans un débat filmé organisé par Libération. A l’occasion de ce débat, le jeune maire de Coulommiers a explicité les espoirs fondés autour du texte par le gouvernement et les lobbys culturels. En substance, le texte doit favoriser l’émergence d’un quasi monopole de quelques acteurs privés, en particulier Deezer.

Le projet de loi Création et Internet vise à « favoriser l’arrivée de nouvelles offres légales sur le marché et que ces offres légales puissent se perréniser dans le temps parce qu’elles verront leurs services et leurs modèles sécurisés« , a expliqué M. Riester. « Par exemple prenons le cas de Deezer, qui donne la possibilité d’écouter de la musique directement sans la télécharger« , a-t-il poursuivi. « C’est un mode de consommation de biens culturels sur Internet innovant. Son PDG soutien le projet de loi, ils sont dans une situation difficile en terme de modèle économique parce qu’ils reposent sur la publicité et ils n’ont pas suffisamment de publicité pour financer la totalité des ayants droit . Il y a d’autres sites de téléchargement de streaming qui existent et qui eux ne payent pas les ayants droit, et qui font de la concurrence à Deezer. Et donc Deezer n’a pas suffisamment d’audience pour rémunérer les ayants droit. »

En décourageant l’utilisation d’offres illégales, le projet de loi Création et Internet doit donc opérer un transfert vers les quelques offres légales comme Deezer. C’est ne rien comprendre ni à Internet, ni à l’économie numérique, ni au droit d’auteur.

C’est ne rien comprendre à Internet parce que contrairement aux médias traditionnels où le nombre des journaux, chaînes de télévision ou stations de radio est physiquement limité par des ondes et par des coûts d’impression qui ne sont rentabilisés que par un volume d’audience important, Internet est le règne de la « longue traîne ». C’est l’atomisation de l’audience en une multitude de services de niches qui n’ont pas, en principe, les mêmes contraintes économiques que les médias traditionnels. Il reste rentable, en principe, de s’adresser à peu de monde. Les internautes ne veulent pas avoir à choisir entre deux sites, comme ils avaient hier à choisir entre TF1 et M6. L’ère du temps est au choix et à l’abondance des choix.

C’est ne rien comprendre à l’économie numérique, car si Deezer ne gagne pas assez d’argent avec la publicité, ça n’est pas parce qu’il ne réunit pas une audience assez importante, mais parce que les maisons de disques et la Sacem l’obligent à payer (en partie par avance) des droits sans aucun rapport avec l’état du marché, qui l’obligent à viser le très gros volume pour espérer convaincre suffisamment d’annonceurs de payer leur publicité très chère. Si les droits étaient plus conformes au marché publicitaire, Deezer pourrait être viable sans avoir à réunir l’audience d’une grande chaîne de télévision nationale.

C’est ne rien comprendre au droit d’auteur, enfin, car en confortant des enseignes fortes comme Deezer, sans instaurer le même mécanisme de licence légale que celui mis en place pour les radios libres, le législateur conforte la création d’intermédiaires extrêmement puissants qui imposent leur volonté et leurs contrats aux auteurs qui souhaitent s’y exposer. Or comme l’a rappelé avec force Patrick Bloche, le droit d’auteur c’est traditionnellement la défense du petit contre le gros, pas la défense du gros contre le petit. Le projet de loi Création et Internet conforte le producteur et la plateforme contre l’artiste, et oppose l’artiste à son public.

C’est pour cela que ceux qui, comme Numerama, s’opposent au projet de loi Création et Internet et à la riposte graduée, ne s’opposent pas « au droit d’auteur ». Mais à cette vision-là du droit d’auteur, qui réduit le champ du domaine public à peau de chagrin et donne aux intermédiaires un poids disproportionné qui leur permet de soumettre les créateurs à leurs désirs et à leurs contrats, et les encourage à sanctionner les consommateurs qui ne veulent pas à leur tour s’y soumettre.

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