Al-Quaeda est-il responsable des attentats du 11 septembre, ou le gouvernement américain a-t-il organisé un attentat contre son propre peuple ? La sortie médiatique de Jean-Marie Bigard ravive une tension croissante entre les médias traditionnels qui refusent de s’interroger sur la question, et les nouveaux médias où les mouvements en faveur d’une révision de la thèse officielle gagnent de l’ampleur. Derrière le combat médiatique, un enjeu : l’affirmation d’une presse de qualité à l’ère numérique.

Vendredi 5 septembre 2008, Jean-Marie Bigard est l’invité de Laurent Ruquier sur Europe 1, et l’humoriste « dérape« . C’est le terme employé dans leur titre par Le Parisien, le Nouvel Obs, France-Soir (il « dérape grave« ), Challenges, et d’autres. TF1.fr préfère noter que Bigard évoque « sa » théorie, en pointant du doigt « l’extravagance des déclarations« . La presse française traditionnelle renvoie le comique dans ses dix-huit mètres, sans appel. Jean-Marie Bigard qui remet en cause la thèse officielle du 11 septembre, c’est Jean-Marie Le Pen qui remet en cause les chambres à gaz. Le traitement médiatique est le même.

Il suffit de lire pourtant les commentaires de ces différents journaux en ligne pour voir que les internautes, en nombre, ne sont pas convaincus par la thèse officielle, et estiment recevable que la certitude affichée par l’humoriste soit traitée comme une interrogation légitime par les journalistes.

La question est en effet jugée suffisamment grave pour qu’elle ne soit pas traitée d’un revers de main. Si 10 soldats français sont morts en Afghanistan le mois dernier, c’est au nom de la guerre contre le terrorisme menée en réaction aux attentats du 11 septembre. La multiplication des caméras de surveillance, les lois de restriction des libertés publiques (Patriot Act, fichier Edvige, passeports biométriques, …), la conservation des données de connexion des internautes… on ne compte plus le nombre de mesures prises depuis 2001 pour prévenir la possibilité d’un nouvel attentat contre une puissance occidentale. Si comme le prétend Jean-Marie Bigard, « c’est un mensonge absolument énorme« , et que des agents du gouvernement des Etats-Unis « ont tué eux-mêmes des Américains« , ce serait, au moins, le scandale du siècle.

Il y a quinze ans, lorsqu’Internet n’était encore que balbutiant, la population ne pouvait s’informer que par les médias traditionnels. La théorie du complot aurait été immédiatement étouffée par la presse de profession, garante d’une certaine éthique et relai de « la vérité ». Avec Internet et la mise en réseau des hommes, tout internaute est aujourd’hui en lui-même un média capable de produire et de véhiculer de l’information. L’indépendance des médias traditionnels est contestée, et la « quête de la vérité » se déplace vers de nouveaux médias, amateurs.

Le dossier le plus lu par les internautes dans le journal citoyen Agoravox.fr est ainsi celui consacré aux attentats du 11 septembre 2001. En 2005, le documentaire Loose Change a été le premier « best-seller » planétaire du genre, qui a démontré la force que pouvait avoir Internet dans la diffusion de messages alternatifs à ceux véhiculés par les médias traditionnels. Vu par des dizaines de millions d’internautes à travers le monde, le documentaire de Dylan Avery a popularisé le mouvement qui met en doute la version officielle des attentats du 11 septembre et qui demande une réouverture de l’enquête – il est mené en France par le site ReOpen911.info. Très contestée, la seconde édition de Loose Change a été démontée par ses opposants, dans un contre-documentaire baptisé « Screw Loose Change« . Une dernière édition, la Final Cut, entièrement revue, a depuis été publiée. Loose Change a précédé d’autres documentaires moins médiatisés mais en apparence plus rigoureux, comme le film 9/11 Mysteries, consacré exclusivement pendant une heure et demie à la thèse de la démolition contrôlée des tours du World Trade Center (qui a aussi son contre-documentaire) :

(suite de l’article après la vidéo)

A la vue de ces documentaires, et de leurs contestations, une part de doute, au minimum, peut s’installer dans l’esprit des spectateurs les plus sérieux. Le député du Parti Démocrate japonais Yukihisa Fujita a ainsi longuement questionné en janvier 2008 son gouvernement sur les zones d’ombres qui entourent les attentats du 11 septembre. Il voulait être sûr que les soldats japonais n’étaient pas envoyés au front sur la base d’un éventuel mensonge. La presse française, alors, n’avait pas parlé de dérapage. Elle n’en avait pas parlé du tout.

Vers une presse « de qualité certifiée » ?

On s’étonne d’une réaction quasi épidermique contre les Thierry Messan colporteurs de la théorie du complot, dans les médias traditionnels. Laurent Ruquier et Europe 1 se sont empressés d’indiquer lundi qu’ils ne soutenaient pas les propos de Jean-Marie Bigard, en affirmant avoir toutefois respecté le droit à la liberté d’expression de l’humoriste. D’autres médias s’étaient étonnés, sinon offusqués, que la radio n’ait pas usé de son ciseau pour couper des propos qui n’avaient pas été prononcés en direct, mais au cours d’un enregistrement plusieurs heures auparavant.

La presse traditionnelle proche du pouvoir est-elle mêlée à l’hypothétique complot d’Etat dénoncé par les « révisionnistes » ? Certainement pas. Du moins, nous n’y croyons pas une seule seconde. En revanche, l’extrême prudence voire la condescendance avec laquelle est traitée l’opposition à la thèse officielle du 11 septembre n’est pas innocente, à défaut d’être totalement consciente. Les médias traditionnels, bousculés par l’arrivée des nouveaux médias, cherchent leur place et leur légitimité. Ils veulent s’afficher en garants d’une information de qualité, de la vérité contre la rumeur et la calomnie. Ils ne manquent jamais une occasion de critiquer « l’internet », emballant le bon et le moins bon dans un même emballage nauséabond.

Dans leur rapport au 11 septembre, les médias traditionnels se mettent dans le camp de l’information sérieuse et vérifiée, certifiée par les pouvoirs publics, contre celui de la désinformation incarnée par Loose Change et ses dérivés.

Le projet de label pour la « presse de qualité » en ligne, initié par Renaud Donnedieu de Vabres et repris par Christine Albanel, se fait de plus en plus présent dans le débat médiatico-politique. Il pourrait être officialisé lors des futurs Etats Généraux de la Presse souhaités par Nicolas Sarkozy, présidés par Emmanuelle Mignon.

Le projet de loi Création et Internet (ex Hadopi), qui va rendre obligatoire l’installation de filtres sur les ordinateurs des abonnés à Internet, pourrait ensuite être la première pierre vers un filtrage favorable, un jour, à l’information certifiée par un « label qualité ».


Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !