L’âne se meurt-il ? Comme le montre le site d’observation des réseaux eDonkey/eMule Peerates.net, dont son administrateur a détaillé certains chiffres sur les forums de Numerama, le nombre d’utilisateurs d’eMule dans le monde continue à progresser, mais désormais très modérément. Si la population sur eMule a augmenté de 10 à 20 % sur un an, c’est presque uniquement grâce à certains pays dont le nombre d’utilisateurs sur eMule augmente massivement ces derniers mois (l’Italie, l’Espagne, le Brésil,…). Dans l’ensemble, même si cela ne se vérifie pas encore dans les chiffres globaux, l’intérêt pour le successeur d’eDonkey semble bel et bien faiblir de mois en mois, au profit de BitTorrent et de sites de téléchargements comme Rapidshare. Il ne faudrait pas attendre que sa chute commence pour s’en inquiéter, et pour réagir.
Le ralentissement d’eMule n’est pas une fatalité. Il n’est pas plus l’effet de la concurrence des autres sources de téléchargement que l’effet d’une lutte accrue contre le téléchargement illégal. La faiblesse d’eMule est en réalité imputable à eMule lui-même, et à son immobilisme. Absence d’innovation, complexité, fakes… les raisons intrinsèques de la baisse de forme d’eMule sont nombreuses. En voici quelques unes repérées par Numerama :
1. Trop complexe pour les néophytes
On l’avait sans doute oublié, mais le succès des logiciels de P2P s’est fait d’abord grâce aux utilisateurs. Plus ils sont nombreux, plus le nombre de contenus partagés est important, et plus le téléchargement et le partage sont rapides. Un réseau P2P sans utilisateur est un réseau mort, quelles que soient ses qualités techniques. Or depuis son avènement en 2002 où il a détrôné eDonkey, eMule n’a pas fait grand chose pour faciliter son adoption par le plus grand nombre d’utilisateurs possibles. Pire, il semble tout faire pour faire fuir les internautes lambdas qui n’ont plus ni le temps ni la patience pour configurer un logiciel d’une telle complexité.
Jugez plutôt. Le client officiel eMule, censée être la version la plus pure du logiciel Open-source, propose à son premier lancement 8 fenêtres de configuration, avec un total de 17 options affichées, dont la plupart n’ont aucun intérêt pour l’utilisateur de base ou sont mal expliquées. S’il ne fuit pas déjà, l’utilisateur se retrouve alors confronté non pas à l’écran de recherche de fichiers, qui est ce qui l’intéresse au premier abord, mais à une liste de serveurs horriblement complexe, qui a de quoi faire peur à plus d’un amateur (voir capture ci-après). S’il n’a rien modifié aux options par défaut, l’utilisateur n’est même pas connecté au moindre serveur ou au réseau Kad, et s’il arrive à trouver comment faire une recherche, celle-ci ne fonctionnera pas. Les concepteurs auraient voulu faire plus complexe qu’ils n’y seraient pas parvenus.
Et si, par chance, notre utilisateur lambda tente d’aller régler quelques options, ce sont (tenez-vous bien à votre souris) 202 options qui sont proposées dans les préférences du logiciel, dont seulement un quart sont placées dans les « propriétées étendues ». Le reste est réparti entre 15 onglets d’options. Vous avez dit usine à gaz ?
Avec une telle complexité, dont on ne détaille ici qu’une petite partie, pas étonnant qu’eMule ait de plus en plus de mal à séduire à l’heure des Youtube, Dailymotion, et autres Rapidshare.
Il est vital pour l’avenir d’eMule que la version officielle bénéficie d’un lifting en profondeur pour réduire à la portion congrue le nombre d’options, et pour permettre aux nouveaux utilisateurs de passer le plus rapidement possible de l’installation du logiciel aux premiers téléchargements. Les utilisateurs expérimentés qui souhaitent plus de contrôle pourront se reporter vers les mods. Paradoxalement, eMule MorphXT est moins chargé en options directement visibles pour l’utilisateur. Peut-être est-ce aussi ce qui explique qu’il soit la version d’eMule la plus utilisée.
2. Le problème des LowID jamais résolu
C’est un problème hérité de eDonkey, le logiciel commercial dont eMule s’est fait le remplaçant open-source. Lorsque les utilisateurs n’utilisent pas les bons ports ou ne savent pas configurer leur firewall pour relayer les paquets, seul le serveur sur lequel ils ont connectés est capable de communiquer avec eux grâce à l’identifiant qu’il leur attribue (le LowID). Les autres clients, soit doivent communiquer avec les utilisateurs en LowID par l’intermédiaire du serveur, soit ne peuvent pas du tout communiquer avec eux (les LowID n’ont aucune possibilité de communiquer ensemble). Il en résulte que les utilisateurs connectés avec un LowID et non un HighID ont d’énormes difficultés à télécharger les fichiers qu’ils souhaitent, ou à les télécharger rapidement. Et l’ensemble du réseau en pâtit.
C’est de loin le problème numéro un dont souffre eDonkey/eMule depuis la création du réseau (au passage, si vous en êtes victimes, regardez notre vidéo d’explication pour résoudre le problème des LowID). Or depuis l’apparition d’eMule en mai 2002, c’est-à-dire depuis bientôt 6 ans, et malgré le fait que le logiciel soit open-source et donc qu’il bénéficie théoriquement d’une armée de développeurs bénévoles… le problème n’a jamais été résolu.
3. Les fakes deviennent une plaie
Relativement bien contrôlé auparavant, le problème des résultats de recherche envahis de fakes semble devenir de plus en plus grave. L’utilisateur croit télécharger un logiciel ou une série, et se retrouve avec un film pornographique ou un fichier publicitaire (sur eMule, un même fichier peut avoir des noms différents, car seule sa signature numérique unique permet de l’identifier). Une fois de temps de temps en temps, ça peut passer. Une fois sur deux voire deux fois sur trois, c’est beaucoup trop.
Et ce n’est pas là l’action d’entreprises de sabottage du réseau par les industries culturelles, mais le résultat d’une négligence conjointe des utilisateurs et des développeurs. La responsabilité des utilisateurs qui partagent tout et n’importe quoi sans penser à la qualité du réseau est en effet grande, mais eMule a aussi sa part de responsabilité. Il devrait être possible par exemple de trier beaucoup plus facilement les résultats de recherche en fonction des noms de fichiers majoritaires chez les utilisateurs, et d’écarter tous ceux dont le nom affiché dans le résultat de recherche ne correspond pas au nom majoritaire.
Le système des commentaires, qui a été mis en place entre autres pour lutter contre le phénomène, ne porte pas assez ses fruits, notamment à cause d’utilisateurs qui ont abusé de ce système pour afficher de la publicité pour leurs sites ou leurs mods dans les commentaires.
4. Un retard sur les pratiques de 2008
L’innovation sur eMule semble au point mort depuis environ deux ans. Le logiciel n’a pas su suivre l’évolution des usages et s’inspirer notamment du succès des sites « web 2.0 ». Où est par exemple la possibilité pour les utilisateurs de tagger les fichiers pour en faciliter l’organisation et la recherche ? Pourquoi n’est-il pas plus facile de recevoir des suggestions de téléchargement en fonction des fichiers précédemment téléchargés ou recherchés, ou en fonction des fichiers que l’on partage ? Pourquoi les contenus des portails qui proposent des téléchargements légaux et d’œuvres sous licences libres ne sont-ils pas mis en avant ? Pourquoi n’est-il pas possible de voir quels sont les fichiers les plus populaires du moment ?
Place à vos commentaires. Vous avez probablement vous-mêmes quelques idées pour remettre eMule sur le bon chemin et faire perdurer l’esprit originel du P2P, celle du partage. Car s’il on peut se féliciter du succès technologique de BitTorrent, il nous faut encore rappeler que BitTorrent n’est pas un logiciel de P2P dans la plus pure tradition de l’échange culturel. Il est efficace dans la distribution de fichiers volumineux récents, mais ne permet pas comme eMule de constituer une véritable bibliothèque d’Alexandrie en gardant en partage et en permanence l’ensemble des fichiers échangés…
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