Paradoxalement alors que la loi DADVSI est passée, le débat sur la copie privée n’a jamais été aussi intense. Les industries de la Culture doivent lutter à Bruxelles pour garder une taxe qu’elles ont bien du mal à justifier. Il est temps d’arrêter de parler de taxe pour copie privée, et de parler enfin de licence.

« La rémunération pour copie privée est la contrepartie légitime de l’exception pour copie privée, à laquelle les consommateurs sont pour leur part très attachés. Elle compense le préjudice subi par les créateurs et permet un équilibre satisfaisant. Il est par ailleurs juste que son paiement incombe aux industries qui tirent profit de la copie privée« . Ces propos sont signés (.pdf) Dominique de Villepin. Sous la pression des industries culturelles, le premier ministre français a fermement demandé à José Manuel Barroso, le président de la Commission Européenne, de désavouer son commissaire au marché intérieur, Charlie McCreevy, qui exigeait la suppression de la fameuse « taxe pour copie privée ». M. Barroso a ainsi accepté de repousser sine die la décision de Bruxelles, qui allait supprimer une source de revenus qui pèse en Europe chaque année plus de 500 millions d’euros.

Les industries électroniques, qui avaient fait pression sur Bruxelles pour que cette taxe soit supprimée, ont immédiatement manifesté leur colère alors que leur victoire semblait acquise. Réunis au sein de la Copyright Levy Reform Alliance (CLRA), ils ont promis de porter plainte contre la France, l’Espagne et l’Allemagne, qui appliquent les redevances les plus lourdes avec le moins de transparence dans leur gestion. Ils veulent pointer du doigt leur transposition de la directive EUCD de 2001, qui est à l’origine en France de la loi DADVSI.

Les industries culturelles, au contraire, se sont félicitées de la non-décision de la Commission Européenne. La très influente Société des Auteurs Compositeurs Dramatiques (SACD) s’est dite « réjouie » de voir José Manuel Barroso prendre « la défense de l’Europe de la culture ». Elle félicite Bruxelles de « ne pas avoir cédé aux pressions », tout en rendant hommage à deux lobbyistes français, Dominique de Villepin et Renaud Donnedieu de Vabres. Le collectif Culture D’Abord, qui réunit 15 organisations européennes de diverses catégories d’ayants droit, s’est dite « soulagée » et a salué « la décision de la Commission de ne pas adopter en toute hâte une recommandation qui mettait en danger la rémunération pour copie privée ».

Mais de quelle rémunération pour copie privée parle-t-on ?

Lorsqu’elle délibère, la Commission qui fixe les tarifs de la rémunération pour copie privée se base entre autres sur des études portant sur le nombre de copies réalisées par le public sur les supports d’enregistrement. Mais la Commission se garde bien de préciser la nature des sources de copies. On parle de compenser les copies privées, car la taxe n’a pas vocation, officiellement, à dédommager le préjudice dû au piratage. Il y aurait d’ailleurs un imbroglio juridique à taxer pour compenser une pratique illégale, car si l’objet de la taxe est illicite, la taxe serait illicite par ricochet.

Cette situation donne lieu à un formidable concours de langue de bois, car chacun sait que c’est bien le piratage qui est dédommagé. Ainsi cette magnifique déclaration du collectif « Culture d’abord » : « Ce système de rémunération est à ce jour le seul qui permette au secteur de la création de recevoir une compensation pour la reproduction à des fins privées, désormais très largement pratiquée, du fruit de leur travail« . Qu’est « désormais très largement pratiqué », si ce n’est le piratage des œuvres qui n’existait pas hier ? Qu’est-ce sinon les pratiques de téléchargement et de mises à disposition que la loi DADVSI condamne fermement ?

De même peut-on relever les propos de Dominique de Villepin, qui rappelle à M. Barroso que « cette rémunération représente pour les créateurs une source de revenus non négligeable qu’il importe de préserver« . Comment peut-on avoir une source de revenus sans contrepartie effective ?

On ne peut d’un côté exiger que les internautes cessent toute copie et toute mise à disposition, et de l’autre exiger que les internautes payent pour réaliser des copies et des mises à disposition. Il faut choisir entre l’un ou l’autre. Et entre l’absence de rémunération des artistes et une rémunération basée sur une redevance, il faut probablement choisir cette dernière option. Il est temps que cesse la langue de bois et que l’on accepte enfin de dire que la taxe pour copie privée existe pour compenser les actes qui sont aujourd’hui illicites et réprimés par les lois sur le droit d’auteur. Et puisqu’aucune taxe ne peut être établie sur un acte illicite, il est temps de rendre cet acte licite.

Cette logique était tout l’objet de la licence globale, et malgré toutes les oppositions, elle reste la seule solution juridiquement et économiquement viable, qui mettra fin à cette situation impossible où l’on refuse aux internautes une pratique pour laquelle ils payent tous les jours. La demande des industries électronique de remplacer la rémunération pour copie privée par les seuls DRM et par la marchandisation absolue de la Culture n’est pas acceptable. Le public et les organisations culturelles ont un intérêt commun à préserver la rémunération pour copie privée.

Mais elle ne doit plus s’appeler « rémunération pour copie privée », et bien « licence légale ». A défaut, les internautes prendront le partie des industries de l’informatique, dont le poids est chaque jour un peu plus important que celui des industries culturelles.

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