Oliver Stone ajoute une pierre à l’édifice déjà lourd de la légende Snowden. Avec son film en guise de biographie teintée de fiction, le réalisateur donne à voir, en forçant son trait, le portait d’un héros et non d’un homme. Critique.

C’est presque idiot de le dire, mais sur Snowden, il semble difficile de faire aussi bien que Laura Poitras. Et en la matière, Oliver Stone fait moins de la moitié de ce qu’avait pu accomplir la réalisatrice. Alors oui, il y a d’un côté un documentaire et de l’autre une fiction hollywoodienne, mais même lorsqu’il s’agit d’approcher les émotions qui ont pu colorer le portrait d’Edward Snowden, on finit par se dire que les travaux de la documentariste sont plus poignants que le film d’Oliver Stone. Pour autant, celui-ci est-il à jeter parce que quelque-chose de mieux a été fait ?

Pas nécessairement, mais son rôle est forcément différent.

Snowden selon Oliver Stone c’est un biopic amoureux

Snowden selon Oliver Stone, c’est un biopic amoureux décrivant l’histoire mielleuse d’un super-héros de la morale qui combat avec justesse l’ordre établi. Les méchants sont de vieux hommes grisonnants et cyniques, les gentils sont de valeureux journalistes et amis du protagoniste peints avec empathie par le réalisateur.

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Et lui, Edward, sorte de Captain America sans les muscles mais à la morale d’acier, est porté par un Joseph Gordon-Levitt vraiment convaincant et humanisant Snowden avec une discrétion et une précision touchante. Gordon-Levitt est un Snowden implacable et doué, mais pris au piège dans l’arrogance de Stone qui, plus que de raison, fait de lui la douceur et la bonté incarnée. Le réalisateur semble avoir une vraie obsession pour le lanceur d’alerte, au risque de livrer un biopic très romancé et sans nuances.

Nous sommes tous Snowden

Snowden est l’unique objet du film, quitte à oublier l’essentiel : la société de la surveillance. L’affiche du film est accompagnée d’une phrase choc : nous sommes tous sur écoute. Pourtant, ce n’est pas le sujet. Le film se place au niveau du conte moral mais manque son ambition critique. La société de la surveillance de masse est juste une toile de fond, un ressort dramatique parmi d’autres ; le vrai sujet de Stone, c’est le retournement d’un gentil geek républicain contre un système froid. Véritable tragédie grecque plus que roman du réel, l’équipe du film aurait du écrire « nous sommes tous Snowden » sur ses posters.

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Le portrait est caricatural malgré ses bonnes intentions. Ainsi, Stone a beau intégrer la présence de la petite amie du lanceur d’alertes aux côtés du héros pour travailler les complexités de sa vie, l’arc narratif est anecdotique, faible et la jeune femme est finalement qu’une brave idiote. Il en va de même pour tous les personnages secondaires du film. Stone ne peut, ou ne veut, leur laisser gagner en profondeur, son Snowden prend trop de place à l’écran pour qu’ils puissent leur laisser un créneau.

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Le long-métrage n’est pas pour autant un mauvais film. Rythmé, élégant et porté par un bon Gordon-Levitt, il a des qualités indéniables. On aurait sûrement pu être plus clément s’il s’agissait d’une fiction assumée, relatant l’histoire d’un lanceur d’alertes anonyme. Sauf que là, nous sommes face à un portrait aux traits forcés qui livre une histoire en noir et blanc. Ni crédible quand il tente un portrait de l’homme, la nuance est trop absente dans la psychologie de l’ensemble, ni pertinent dans son message politique, Snowden semble rater tous ses objectif, à l’exception peut-être de son rôle de divertissement vaguement conscient.

Il y a néanmoins un vrai intérêt au film : toute la séquence sur la fuite d’Edward Snowden de Hong Kong, dans laquelle Stone y révèle un détail jusque-là inconnu dans l’histoire du lanceur d’alerte.

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En fin de compte, après le film, on en revient toujours à Laura Poitras. C’est certainement injuste, mais tout travail sur le mythe Snowden sera toujours reporté à Citizenfour. Ne soyons pas trop dur avec Stone : la comparaison ne peut être autre chose que cruelle.

Le verdict

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4/10

Snowden

Tempérons nos ardeurs : Snowden n'est pas un mauvais film. Mais comment ne pas passer de la déception à l'agacement face aux erreurs et aux obsessions d'Oliver Stone ? Il n'y a de notre côté aucun relent de mesquinerie à l'égard d'Edward Snowden, mais ce n'est pourtant pas une raison d'en faire le héros né ex-nihilo d'un monde immoral, telle une Antigone de l'espionnage, que dresse Stone. 

S'il s'agit de rendre hommage à l'acte incroyable d'un homme, le faire avec justesse semble plus éloquent -- cf. Citizenfour. S'il s'agit de dresser un portrait simple et mou d'un homme devenu héros « pour les masses » sous couvert de divertissement, nous passons notre tour. 

Ailleurs dans la presse

  • The Guardian : « it’s made with such limpness that a swift read of his [Edward Snowden’s] Wikipedia page will prove far more exciting ».
  • Télérama : « quand les lumières se rallument, le rempart de la fiction a fait son œuvre : Snowden est devenu un nom commun. Snowden ? Un homme dans la foule ».
  • The Hollywood Reporter : « It never achieves the emotional force that Poitras achieved in her film with the real Snowden front and center ».
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