La saison 3 de Black Mirror gagne en nuances, en lumières et en talent sans toutefois délaisser ses fondamentaux, son intelligence et une écriture implacable. Critique en trois actes.

Lorsque l’on écrit sur Black Mirror, tout spoiler pourrait largement amoindrir l’effet provoqué par un épisode. La moindre information de trop nuit considérablement à l’intrigue et à ses mécanismes : nous prendrons donc grand soin à ne jamais trop en dire. Si vous souhaitez éviter de vous spoiler le moindre bout de la série, vous êtes au mauvais endroit. Pour les autres, promis, nous n’en dirons pas trop.

Black Mirror sur Netflix est une sorte de paradoxe. Le géant de la SVoD a fait du binge-watching un quasi impératif, un mode de vie et de consommation alors même qu’on imagine aucunement que Black Mirror puisse être avalé d’une traite, sans recul ou sans les réflexions qui en découlent.

Et la saison trois de la série, produite par Netflix et non plus Channel 4, ne déroge pas à cette règle : après chaque épisode, nous sommes toujours envahis de cette mélancolie propre à la fin du suspense, pile au moment où nous sommes laissés seuls face au miroir noir de notre écran qui s’assombrit après le générique. La tête pleine de questions.

Nous ne pouvons donc que vous supplier de ne pas binge-watcher la série : malgré sa disponibilité sur Netflix qui encourage à l’enchaînement des épisodes, continuons plutôt de préserver son impact en s’assénant à petites doses des éclats de lucidité violents et cyniques. En somme, des Black Mirrors.

Black Mirror

Le propos dystopique de Chute Libre de Black Mirror a déjà été transposé dans nos réalités

Source : Netflix

D’autant que Black Mirror n’est pas exempt de défauts de conception : la série est même un véritable pharmakon avec son ambiguïté toute grecque, mi-remède, mi-poison. Trop radicales parfois, les deux premières saisons pouvaient se montrer trop sombres, d’un noir total, sans nuance, celui qui peut détruire au lieu de pousser à réfléchir. À trop forte dose Black Mirror pouvait se révéler être un véritable paralysant, l’angoisse encombrant trop fortement la pensée véhiculée par les questions soulevées, conduisant à la paranoïa stérile : c’est ce que beaucoup de spectateurs avaient reproché.

Or, c’est peut être la principale réussite de cette nouvelle saison, une saison qui ne devrait pas déplaire aux fidèles fans, mais qui pourrait également plus facilement convaincre les réticents. Plus lumineuse, moins tranchée, plus forte et imaginative, la série repousse les limites de son propre genre de manière subtile en six nouveaux épisodes qui sont autant d’univers que de couleurs, sans jamais qu’ils n’abandonnent la recette de Brooker : une écriture palpitante et sans concession.

Black Mirror

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Mais avec parfois moins de cynisme et plus d’élégance, Brooker atteint de nouveaux sommets dans son format et son écriture. Netflix ne semble pas avoir imposé beaucoup au créateur par ailleurs, un casting américain peut-être, mais ni les injures, ni la nudité ne sont mis au ban pour américanisation forcée de la production. En somme, avec plus de moyens, mais surtout beaucoup de maturité, Black Mirror made-in-Netflix est la rencontre entre un créateur qui a évolué, et un medium qui lui offre de nouvelles libertés et on ne regrette nullement la production un peu cheap de Channel 4.

Pour parcourir les reflets et les nouveaux horizons de Black Mirror et surtout en conserver ses mystères et surprises, nous avons décidé de choisir, sur les six histoires inédites, trois épisodes, qui sont à leur manière un reflet des nouveaux tons du show. Nous avons également rencontré le cast de chacun de ces épisodes, pour parcourir avec eux certains défis qui sont posés aux acteurs d’une telle perception. Nous en avons également profité pour les interroger sur leur perception des questions que soulèvent chacune des nouvelles histoires, entre technologie et société.

San Junipero

Le premier épisode de la nouvelle saison, San Junipero, est manifeste de l’évolution de Black Mirror. Le casting est parfait, réunissant la très Netflix-friendly — nous l’avons vu dans Easy —  et surprenante Gugu Mbatha-Raw et la douce Mackenzie Davis, qui forment un duo bouleversant dans une histoire d’amour pas si commune.

Réalisé par Owen Harris, qui avait déjà été derrière la caméra d’un des meilleurs épisodes de la série Be Right Back, l’épisode peut se vanter d’avoir un photographie impeccable et des décors subtils. L’ensemble demande une attention de chaque seconde, pour finir par accueillir un beau conte technologique, digne d’un poème visuel.

Black Mirror

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Comme l’explique Gugu Mbatha-Raw, San Junipero pose des question d’une manière peu conventionnelle, derrière son esthétique onirique et sa romance. « Qu’est ce qu’une âme ? », semble nous dire l’épisode. Ou mieux encore : « L’amour est-il toujours formé de regrets ? » Tourné entre Londres et Cape Town avec son casting nord-américain, San Junipero est aussi lumineux que poétique, malgré de sévères observations sur notre obsession pour la mémoire et le temps qui passe.

L’épisode renouvelle esthétiquement et subtilement le format Black Mirror sans en perdre les fondamentaux.

Nosedive

Nosedive a été le second épisode présenté à Toronto, et il s’avère plus immédiatement explicite sur ses intentions que San Junipero. L’histoire convoque le topos classique de Black Mirror : un des traits de notre société est accentué au point qu’il en devienne cauchemardesque.

Mais là où certains épisodes ont la main trop lourde et frôlent la caricature, Nosedive est porté par une performance exemplaire et haletante de Bryce Dallas Howard qui y interprète Lacie, une jeune femme mal dans sa peau, que le système de notations qui régule la société va pousser vers la déraison et l’hystérie. Cinématographique, visuellement implacable et magistralement écrit, Nosedive emporte tout sur son passage.

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Extrait d'un épisode de Black Mirror.

Source : Netflix

La critique est évidente tout le long de l’épisode, la conclusion est peut-être attendue, mais la plongée dans les eaux troubles de l’ego exécutée par Bryce Dallas Howard est si percutante qu’on retient son souffle jusqu’au générique. Et il en résulte un épisode aussi grandiose pour la rétine que troublant pour les individus connectés que nous sommes.

Du grand Black Mirror, avec un bonus pour la réalisation et l’interprétation en plus.

Shut Up and Dance

Shut Up and Dance est presque un épisode hommage aux premières années de la série. Ultra-british et violent, l’épisode met en scène un duo singulier et réussi qui réunit Alex Lawther (The Imitation Game, le jeune Alan Turing) et Jerome Flynn (Game of Thrones, vous l’avez reconnu). Particulièrement brutal et du genre à ne pas rater sa cible, Shut Up and Dance renoue avec la tradition cauchemardesque et sombre de la série. Bien que très classique dans son thème (des individus piégés par ses inconnus sur le web) et son écriture, la performance du jeune Lawther condense nos angoisses et nous plonge, la tête la première, dans un piège infernal.

Black Mirror

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La patte est un peu lourde, mais le véritable désastre moral prend son sens grâce à des histoires qui touchent justes. Ainsi, le personnage qu’incarne Jerome Flynn nous fait aimer un sinistre et esseulé cinquantenaire en quête des derniers plaisirs. Drame pitoyable et acerbe, Shut Up and Dance est là pour nous rappeler que Black Mirror a peut-être su gagner en lumière, mais excelle toujours dans les coups de poing cyniques et sans compromis.

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Le verdict

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10/10

Black Mirror saison 3

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Plus subtile, plus belle et pas moins intelligente, Black Mirror, saison 3 est une réussite sur tous les tableaux. Cette saison confirme que Charlie Brooker est bel et bien le génie du petit écran que l’on estimait et le showrunner gagne véritablement à collaborer avec des équipes aussi talentueuses que visuellement inventives.

Et s’il en fallait une preuve, son écriture est réellement renversante lorsqu’elle est traduite à l’écran par des castings originaux et impliqués. Bien sûr que certains épisodes sont géniaux, et bien sûr qu’il y en a des moins bons, mais cette fois, les moins bons sont toujours bons.

Pour une série qui a connu des mauvais épisodes et des adaptations lourdes, on frôle ici l’aboutissement créatif.

Source : Montage Numerama

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