C’est désormais une certitude, les fournisseurs d’accès à Internet ont vis à vis de leurs abonnés une obligation de résultat et non une simple obligation de moyens. L’UFC-Que Choisir, qui avait porté plainte en 2002 contre AOL, s’est vu confirmé par la Cour de cassation ce mois-ci que la clause du contrat du FAI qui l’exonérait de toute responsabilité en cas de défaillance dans l’accès à Internet était illicite. « Une telle clause, qui, au-delà des cas de force majeure ou de fait du cocontractant, avait pour effet de dégager la société AOL de son obligation essentielle, justement qualifiée d’obligation de résultat, d’assurer effectivement l’accès au service promis, était abusive », indique la Cour de cassation dans un arrêt du 8 novembre 2007.
Le contrat attaqué stipulait que « aucune garantie quelle qu’elle soit, expresse ou implicite, notamment quant à l’absence d’interruption ou d’erreur du service AOL ou aux performances et aux résultats découlant de l’utilisation de celui-ci ne vous est donnée par AOL ». La plus haute juridiction française a donné raison à la cour d’appel de Versailles d’avoir noté que la clause ainsi formulée « exonérait le fournisseur d’accès à Internet des conséquences de ses propres carences ».
Désormais, les fournisseurs d’accès à Internet seront astreints à une obligation de résultat dans la fourniture de leur service. Mais jusqu’où cette obligation peut-elle s’étendre ?
Une obligation de ne pas filtrer les protocoles P2P ?
L’arrêt de la Cour indique que « l’obligation essentielle » d’un FAI est « d’assurer effectivement l’accès au service promis ». La notion est vague et laisse libre cours aux interprétations, à la fois de la part des fournisseurs à d’accès à internet, et des juges du fond. Jusqu’où s’étend donc la promesse du service proposé par les FAI ?
Dans le cas de Free, le contrat en date du 10 juillet 2007 prévoit que Free accorde à l’abonné « la possibilité de connecter, sans limitation de durée de connexion, son
équipement informatique à l’Equipement Terminal afin de recevoir et d’envoyer des données à travers des réseaux de communications électroniques tels qu’Internet ». Le FAI indique explicitement que « Free ne peut exercer de contrôle sur les données qui pourraient transiter par son centre serveur et sur les contenus qu’elle héberge à la demande de l’Usager ». Clairement, le FAI fait la promesse d’offrir un service non restreint à ses usagers, et l’arrêt de la Cour de cassation en fait une obligation de résultat. Tout filtrage serait, a priori, illicite. C’est d’ailleurs probablement le cas du bridage de protocole que Free exerce sur eMule, et qui oblige à activer le brouillage de protocole dans les options.
Dans le cas de Neuf, le contrat en date du 15 avril 2007 prévoit que Neuf fournisse « un accès au réseau Internet via la technologie ADSL », et précise que « Neuf n’exerce pas de contrôle sur les sites Web, courriers électroniques, programmes audiovisuels conversations ou toute donnée accessible au Client, stockés, échangés ou consultés par ce dernier ou transitant par le biais du Service et n’assume aucune responsabilité quant à leur contenu, nature ou caractéristiques, le Client en étant seul responsable ». Si le contrat mentionne « possibilité d’interruptions, lenteurs et inaccessibilités au réseau Internet », c’est uniquement en raison « de la nature du réseau Internet », et non des actions de Neuf sur son réseau. Là encore, il semble illicite pour Neuf de brider les protocoles P2P, puisqu’il est promis à l’utilisateur un accès à Internet, sans préjudice des protocoles utilisés.
Dans le cas de Orange, le contrat du 14 juin 2007 prévoit lui aussi « l’accès au réseau Internet via la technologie ADSL au débit choisi par le Client », et précise que « France Télécom ne peut exercer de contrôle sur les données qui pourraient transiter par son centre serveur ». Il indique même que « Le temps de réponse et les performances techniques pour consulter, interroger ou transférer des informations dépendent des différents serveurs composant le réseau qui ne relèvent pas de la responsabilité de France Télécom ».
Dans tous les cas, les contrats ne prévoient jamais la faculté pour les FAI de proposer un service à débits différenciés en fonction des protocoles ou services utilisés. La qualité du service est exprimée en terme de débit total et de disponibilité générale du service, mais jamais en terme d’applications. Les trois FAI mentionnés ci-dessus se sont donc tous engagés à fournir l’accès au service Internet de façon neutre, sans agir sur les contenus ou les débits de certaines applications. L’arrêt de la cour de cassation en fait une obligation de résultat.
Il semble donc, selon notre interprétation de l’arrêt, interdit de bloquer ou de brider l’utilisation de protocoles P2P comme BitTorrent ou eMule. Si la mission Olivennes débouchait sur un accord privé de bridage ou de filtrage du P2P, ce ne pourrait être qu’en violation de l’arrêt de la cour de cassation. L’accord interprofessionnel souhaité par la ministre de la Culture Christine Albanel ne pourrait être opposé aux abonnés, qui pourront porter plainte contre les FAI en cas de bridage.
Seule une modification de la loi peut donner le feu vert aux fournisseurs d’accès. Une modification que les pouvoirs publics et les industries culturelles ne souhaitent pas, par peur d’une rebellion du Parlement, du Conseil d’Etat, ou du Conseil constitutionnel.
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