Aux États-Unis, un homme accusé de détenir des fichiers pédopornographiques refuse de procéder au déchiffrement de ses disques durs, invoquant le droit de ne pas s’auto-incriminer. La justice lui a donné tort. Et en France ?

L’affaire est complexe. Aux États-Unis, un homme détenu depuis dix-sept mois vient de perdre son procès en appel dans une affaire de disques durs chiffrés qui contiendraient des contenus pédopornographiques. Le prévenu, un ancien officier de police, a refusé de déchiffrer son matériel au motif que le cinquième amendement de la Constitution le protège de toute auto-incrimination.

Rapporté par Ars Technica, l’arrêt rendu lundi 20 mars par une cour d’appel signifie que l’intéressé risque de rester en prison sauf si le verdict est levé ou renversé, ou qu’il accepte finalement de fournir les informations nécessaires au déchiffrement de ses deux disques durs — ce qui, stratégiquement parlant, n’est peut-être pas une bonne idée s’il y a bien des fichiers pédopornographiques en jeu.

Piotr Łohunko

CC Piotr ?ohunko

La législation américaine prévoit des peines de quelques dizaines d’années de prison en cas de réception et de possession de contenus pédopornographiques. Dans le cas de l’acteur américain Mark Salling par exemple, poursuivi pour des faits similaires, les peines encourues s’élèvent à vingt ans de prison pour l’obtention de ces documents et vingt ans pour leur possession.

Dans cette affaire, continue Ars Technica, un mandat a permis en 2015 aux autorités de saisir au domicile du suspect ces disques durs, chiffrés avec FileVault, le système de protection des fichiers sur les ordinateurs vendus par Apple, qui étaient connectés à son Mac Pro. C’est pendant une surveillance sur Freenet, un réseau anonyme et distribué qui propose à ses usagers une liberté d’expression et d’information totale, que les enquêteurs ont pu remonter la trace du suspect.

Selon nos confrères, « en se prononçant contre le prévenu, la cour d’appel a estimé que les droits constitutionnels protégeant de l’obligation de témoigner contre soi-même n’étaient pas violés. C’est parce que la cour, comme la police, a convenu que la présence de fichiers montrant de la pédopornographie sur ses disques durs était une ‘conclusion prévisible’ ».

« Le cinquième amendement, à son niveau le plus élémentaire, protège les suspects contre l’obligation de divulguer des preuves qui les incriminent. Cependant, dans cette affaire, les autorités ont dit qu’elles savaient déjà qu’il y a des contenus pédopornographiques sur les disques durs, donc les droits constitutionnels du prévenu ne sont pas violés », ajoutent-ils.

Les droits constitutionnels du prévenu ne sont pas violés

Pour le savoir, la cour a indiqué que l’enquête technique a permis de relever la présence de milliers de fichiers pédopornographiques via leur valeur de hachage. Cela étant, les fichiers eux-mêmes n’étaient pas directement accessibles pour vérification, du fait de la couche de chiffrement appliquée par FileVault.

Un témoignage contre le suspect, celui de sa sœur, la découverte d’une photo n’entrant certes pas dans le champ de la pornographie infantile mais dans laquelle apparaît une jeune fille prépubère dans une position sexuellement suggestive, et la découverte d’un historique montrant que l’intéressé a visité des espaces relatifs à l’exploitation des mineurs sont autant d’éléments qui ont justifié, en première et deuxième instance, les verdicts ordonnant le déchiffrement des disques durs.

Et en France ?

En France, si le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne figure pas dans le code pénal, il existe à travers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, explique Roseline Letteron, professeure de droit public à l’Université de Paris-Sorbonne. « Il constitue un élément de la présomption d’innocence qui interdit à l’accusation de recourir à des éléments de preuve obtenus sous la contrainte ou par des pressions », explique-t-elle.

Concernant l’usage du chiffrement, si celui-ci est libre en vertu de l’article 30 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, il n’en demeure pas moins balisé : en effet, il existe aussi une obligation de coopération pour déchiffrer des messages. Il s’agit de l’article 434-15-2 du code pénal, qui concerne le particulier comme l’éditeur d’une solution de communication chiffrée (ce qui peut être compliqué dans le cas des messageries open source qui sont gérées par une communauté).

Clés

CC George Becker

Si l’éditeur a la clé de déchiffrement en sa possession, la loi l’oblige à coopérer avec les autorités judiciaires pour déchiffrer un message sur requête. Dans le cas d’un particulier, un refus est puni de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende et la peine est portée à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende « si le refus est opposé alors que la remise ou la mise en œuvre de la convention [secrète de déchiffrement] aurait permis d’éviter la commission d’un crime ou d’un délit ou d’en limiter les effets ».

Le chiffrement, une circonstance aggravante en cas de délit ou de crime

Il faut également noter que le chiffrement peut être une circonstance aggravante en cas de risque de délit ou de crime. En effet, l’article 132-79 du code pénal expose que « lorsqu’un moyen de cryptologie […] a été utilisé pour préparer ou commettre un crime ou un délit, ou pour en faciliter la préparation ou la commission », la loi relève le maximum de la peine de prison encourue. Il est précisé que ces plafonds n’affectent pas ceux qui ont « remis la version en clair des messages chiffrés ainsi que les conventions secrètes nécessaires au déchiffrement ».

Quant à la répression de la pédopornographie, c’est l’article 227-23 du code pénal qui s’en charge. La visite d’un site présentant ce genre de fichiers est par exemple punie de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende, tandis que les peines s’élèvent à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende en cas de diffusion en ligne, à un public indéterminé, de ce genre de contenus. Les sanctions sont alourdies lorsque ces faits sont commis en bande organisée.

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