Depuis dix ans que nous commentons au quotidien l’actualité du numérique et de sa régulation, nous avons vu passer un certain nombre de lois totalement inadaptées à l’univers numérique. Mais rares sont celles aussi ridicules et contre-productives que la loi sur le prix du livre numérique, adoptée au mois de mai 2011, et qui promet d’être une bombe à retardement pour l’édition littéraire.
La loi voulue par les plus gros éditeurs de livres oblige les vendeurs de livres numériques à respecter le prix de vente fixé par l’éditeur, comme c’est déjà le cas pour les livres papier vendus en librairie. « Toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente« , dispose l’article 2. Et ce prix de vente « s’impose aux personnes proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France« , boucle l’article 3. C’est la fameuse clause d’extraterritorialité qui fait que la loi doit en principe s’appliquer à tout marchand étranger susceptible de s’adresser à des clients français.
Les récentes sorties du patron des éditions Stock, Jean-Marc Roberts, ont mis en lumière le caractère suicidaire de cette loi. Après avoir donné l’impression de vouloir interdire toute vente de livres numériques, l’éditeur a précisé qu’il voulait en fait se battre contre le piratage et la gratuité. Or il n’y a rien de plus stratégiquement mal pensé que de vouloir lutter contre le piratage en inscrivant dans le marbre qu’aucun marchand ne pourra jamais baisser le prix du livre vendu légalement. C’est le meilleur moyen de s’assurer que pour trouver moins cher, les consommateurs n’auront d’autre choix que d’aller vers la gratuité de l’offre illégale. Et ils le feront.
De plus, comme le notait ce matin François Momboisse, le président de Fédération e-commerce et de la Vente à Distance (Fevad) et responsable du développement internet de la FNAC, cette loi devrait pousser des marchands à devenir eux-mêmes éditeurs de livres, pour pouvoir casser les prix. C’est ce que vient de faire Amazon aux Etats-Unis, qui casse le prix sur les e-books et qui (pour d’autres raisons puisque le prix unique n’existe pas outre-Atlantique) devient éditeur. Effet pervers supplémentaire : le marchand-éditeur est certain de ne pas retrouver ses propres livres moins chers chez la concurrence.
Heureusement, la loi sur le prix du livre numérique n’est pas encore applicable. Il lui manque trois décrets d’application, notamment celui qui doit définir exactement quels sont les livres concernés par la loi, ce qui n’est pas la moindre des complexités. Mais si l’on en croit l’échéancier qui vient d’être publié, ces décrets devraient sortir au mois d’octobre. Juste à temps pour s’assurer que les livres numériques soient trop chers à Noël.
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