Depuis l’émergence du peer-to-peer dans les années 2000, les organismes chargés de préserver les intérêts des industries du divertissement se sont démenés pour poursuivre le maximum d’internautes en indélicatesse avec la loi. Et si la riposte des ayants droit s’est faite à l’échelle planétaire, c’est bien aux États-Unis que s’est concentrée la majorité des actions en justice.
Seulement, la méthode utilisée jusqu’à présent n’était pas d’une grande efficacité. Avant de mettre un terme aux poursuites judiciaires fin 2008, soulageant par la même occasion l’appareil judiciaire américain, la RIAA avait enclenché pas moins de 35 000 procédures contre des internautes suspectés d’enfreindre le droit d’auteur via les réseaux de P2P. En menant une véritable politique de terre brûlée, l’association américaine de l’industrie du disque espérait bien faire naitre un sentiment de peur chez les adeptes du partage.
Au final, les retombées médiatiques étaient exécrables pour l’industrie culturelle, malgré quelques victoires judiciaires notables. En s’attaquant à des mères de famille, des étudiants ou à des retraités, la RIAA ne pouvait que se tirer une balle dans le pied en se faisant détester par toute une frange de la population désormais convertie au partage sans entrave et non-marchand de contenus culturels. Mais si la RIAA mise désormais sur la riposte graduée « à la française », d’autres n’ont toujours pas abandonné le principe des poursuites judiciaires.
Mais à un détail près. Si ces organismes continuent effectivement de collecter patiemment et massivement les adresses IP des internautes, ils ont pour autant mis au point une nouvelle tactique. Plutôt que de poursuivre un par un chaque « pirate », ces groupes ont préféré d’en regrouper un maximum dans un seul et même « lot ». Et pour cause, cette tactique n’a que des avantages pour les ayants droit.
D’une part, elle s’avère très économique. En effet, plus besoin de mobiliser des fonds pour poursuivre chaque internaute en justice. Il suffit de les regrouper dans un seul et même sac, et d’envoyer une requête globale au juge chargé de l’enquête. D’autre part, c’est un gain de temps considérable pour les ayants droit. Car si le juge demande aux FAI de révéler l’identité des internautes cachés derrière les adresses IP, les ayants droit peuvent transmettre en un seul coup cette requête à tous les fournisseurs d’accès, pour toutes les adresses IP concernées. Enfin, sur le plan médiatique, cela évite de mettre en avant un cas particulier qui pourrait sensibiliser l’opinion (comme une mère de famille ou un étudiant par exemple).
Mais encore faut-il que l’institution judiciaire accepte ces procès de masse. Et selon les derniers développements du côté des États-Unis, l’affaire est loin d’être entendue. Preuve en est, Ars Technica a mis en lumière une affaire qui est actuellement sur le bureau de la juge fédérale Rosemary Collyer. Il s’agit d’une plainte pour violation des droits d’auteur contre 4 577 internautes suspectés d’avoir partagé du contenu copyrighté sur les réseaux P2P.
Or, la juge fédérale n’a pas vraiment épousé la tactique des ayants droit. En effet, elle a expliqué qu’avant de se déterminer sur l’opportunité de juger ou non d’un seul coup 4 577 inconnus, les plaignants devraient la convaincre de la légitimité d’une telle action. Dit autrement, la juge se demande si juger plus de 4 500 Américains dans un seul et même procès est une utilisation convenable du système judiciaire américain.
Comme le précise Ars Technica, cette procédure est légale. Elle a d’ailleurs un nom : « Minute Order« . Cependant, elle doit répondre à des conditions très précises. Brièvement, pour regrouper plusieurs défendeurs (ceux attaqués en justice ndlr) dans un seul et même lot, les plaignants doivent démontrer que la plainte découle de la même opération.
Comme le note Thomas Mennecke, de Slyck News, la demande d’explication de Rosemary Collyer en dit long sur son opinion personnelle. En effet, elle ne demande pas aux ayants droit d’expliquer pourquoi ces accusés doivent être regroupés dans un seul et même lot, mais de justifier pourquoi elle ne devrait pas démanteler la plainte.
À supposer que la juge fédérale démantèle effectivement la plainte, cela signifiera que les ayants droit devront initier 4 577 procédures judiciaires différentes. Pas sûr que cette méthode soit viable économiquement. Par ailleurs, en plus des résistances de l’appareil judiciaire, les ayants droit devront également se heurter aux réticences des fournisseurs d’accès à Internet. Et tous ne sont pas enclins à coopérer les yeux fermés.
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