A la veille de la reprise des débats parlementaires sur le projet de loi HADOPI 2, de nombreuses personnalités politiques ainsi que certains représentants du monde de la culture, se sont exprimés une nouvelle fois pour caricaturer les opposants au projet de loi. Leurs déclarations offensent l’ensemble d’une génération pour qui Internet est avant tout un formidable outil de communication et de participation à la vie publique.
La récente polémique sur les propos controversés du ministre de l’intérieur, tenus le 5 septembre dernier à l’Université d’été de l’UMP, révèle le mal aise de la classe politique, et tout particulièrement de la majorité présidentielle, face à ce média rebelle qu’est Internet, le dernier espace de critique de l’action gouvernementale. Lundi matin, invité sur France 2, Jean François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale, réaffirmait sa volonté de réguler le net au prétexte de défendre la liberté… un comble ! La veille, c’est Henri Guaino, la plume du président de la République, qui affirmait au micro de France Info que » la transparence absolue, c’est le totalitarisme « . Nous pourrions longuement discuter sur la sémantique de cette affirmation au risque de tomber dans l’absolutisme. Ce n’est pas la transparence en tant que telle qui compte car être transparent ne signifie pas nécessairement être clair, ni être compris.
L’exécutif doit avant tout veiller à ouvrir et nourrir des débats publics en fournissant à tout un chacun les moyens, les capacités réelles, d’intervenir efficacement et de s’investir dans la vie politique telle que l’exige sa fonction de citoyen. Mais tout cela est le signe de leur fascisme rampant, de la dictature joviale du corporatisme.
Les masques tombent : sous couvert de défendre les intérêts des artistes qui seraient spoliés par le téléchargement illégal (en fait les rentiers du système), le gouvernement montre son vrai visage, et abat ses cartes d’une stratégie de répression massive de la liberté d’expression des internautes. La transparence est pour eux l’ennemi de la liberté (!) et Internet, » le tout à l’égout de la démocratie » comme l’a déclaré sans retenue Denis Olivennes, le rédacteur du rapport éponyme qui a inspiré la loi.
Que dire également des propos tenus par Christophe Lameignère, PDG de Sony France et président de la SNEP, qui assimile les internautes à des collabos (ndlr des nazis), à des » voleurs à la petite semaine qui n’ont aucun courage « , « des gens qui sont dans le principe de la dénonciation » ?
Le piratage d’un courriel privé entre un citoyen et sa députée est l’exemple prématuré de ce qu’il est à craindre d’une surveillance des communications électroniques, généralisée et automatisée, qui fera de chaque internaute et de chaque citoyen, un suspect, un terroriste. Le monde de la politique est beaucoup plus cruel qu’on ne l’imagine. Cette affaire scandaleuse, qui a choqué des millions de français, suffit à elle seule, à montrer que les délateurs, ceux qui n’ont aucun courage ni aucune morale, sont bien les instigateurs de cette loi liberticide. Ils n’ont eu de cesse de censurer le débat démocratique, de réprimer fortement les « mal-pensants » et de faire taire tous ceux qui proposent des solutions alternatives, constructives et ambitieuses pour le financement de la création sur Internet.
Qu’importe que la loi HADOPI soit inefficace, qu’elle remette en cause le principe de la présomption d’innocence, qu’elle fausse la libre concurrence du marché et qu’elle soit massivement rejetée par les internautes, le gouvernement s’entête. Il n’y a aucun doute, avec cette loi, et celles qui la suivront, la France est en passe de rejoindre l’Iran, la Chine, la Biélorussie, la Libye et de bien d’autres régimes autoritaires qui redoutent la transparence, et occultent la vérité. Le contrôle des médias est la clé du pouvoir, et comme l’a déclaré le président de la République devant le congrès de Versailles au mois de juin dernier : » J’irai jusqu’au bout « .
Les mois à venir seront déterminants, il est plus que jamais temps de réagir et d’élever notre voix pour défendre nos libertés avant qu’il ne soit trop tard. Les médias, les artistes et toutes les forces démocratiques de notre pays ne doivent pas succomber à la pensée unique, nier l’évolution technologique et se faire les complices de ce viol, au risque de porter une lourde responsabilité dans la dérive totalitaire qui nous menace. Il faut lutter ensemble contre la corruption structurelle qui accompagne, dans tous les États du monde, le pouvoir.
Très loin d’anéantir les artistes, Internet est une occasion extraordinaire de stimuler la démocratie en encourageant la diversité et la richesse de la création. Les moyens de la financer, de donner une juste rétribution aux créateurs, existent, il suffit de les mettre en œuvre.
Internet est une bibliothèque universelle, la source inépuisable du savoir et des connaissances accessible à tous. C’est également le vecteur des libertés, de l’expression des opinions, le point commun entre 1,4 milliards d’internautes, le reflet de la société contemporaine. La révolution numérique a donné aux citoyens les moyens de participer au débat public, de travailler ensemble pour faire face aux défis de la pauvreté, du changement climatique et de l’économie. Nous vivons un moment unique dans l’histoire de l’humanité, celui de créer une véritable société mondiale.
C’est notre devoir de protéger et de transmettre aux générations futures, l’immense espoir que représente Internet, celui de construire un monde meilleur.
Jérôme Bourreau-Guggenheim
Web entrepreneur, anciennement responsable du Pôle Innovation de TF1
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