Avec la retraite de Michel Rocard et la non reconduction de Guy Bono, le Parlement Européen perd les deux principaux défenseurs français des libertés sur Internet au sein du Parti Socialiste Européen (PSE). Y aura-t-il une relève ? Pour le savoir, Numerama et des membres du collectif Libre Accès ont interrogé Pervenche Berès, Présidente de la Commission des affaires économiques du Parlement Européen et candidate sur la liste PS d’Ile-de-France.

Numerama : Dans le cadre du Paquet Télécom et de la riposte graduée, le Parlement Européen a rejeté le compromis proposé par Catherine Trautmann, et confirmé l’amendement Bono tel qu’il avait été initialement voté. Quelle position défendra le PSE après le départ de Guy Bono dans la phase de conciliation ?

Pervenche Berès : Le compromis de Catherine Trautmann n’a pas été rejeté, il n’a tout simplement pas été mis aux voix lors de la plénière de mai, puisque l’ordre de la liste de vote a été inversé. C’est d’ailleurs le soutien de l’ensemble du PSE, y compris Catherine Trautmann, qui a permis à l’amendement Bono de passer.

L’objectif de cet amendement, comme du compromis d’ailleurs, est de faire le lien -pour la première fois- entre droits fondamentaux et Internet. L’amendement Bono est sans équivoque quant à la saisine préalable d’un juge, et revêt une dimension symbolique incontestable. Mais il souffre d’un handicap lourd dès lors que l’on est en procédure de codécision : il a été jugé, de manière répétée, inacceptable par une majorité qualifiée d’Etats-membres.

L’amendement de compromis, abordé de façon honnête, fait certes l’impasse sur la dimension préalable de l’accès au juge (qui n’est en fait mentionnée dans aucun texte fondamental, que ce soit la CEDH, ou la Déclaration universelle), mais couvre d’autres points que cette seule question de l’autorité judiciaire (en particulier, respect de la vie privée). Surtout, cette formulation pouvait trouver une majorité au Conseil, qui était forcé de l’accepter s’il voulait un accord, puisque c’était alors le Parlement qui avait la main. Il était par ailleurs en phase avec nos camarades qui à l’Assemblée nationale menaient le combat contre la loi Hadopi.

Les échos qui nous viennent du Conseil sont inquiétants : il n’y aura a priori pas d’accord sur l’amendement Bono à la mi-juin (contrairement à ce qu’assurait par exemple Daniel Cohn-Bendit). Et la situation est à présent inversée : d’un point de vue institutionnel, c’est le Parlement qui porte la responsabilité d’un non-accord et qui sera en position de demandeur dans la conciliation, ce qui est une double-faiblesse.

Il est aujourd’hui difficile de prévoir ce que sera la position du Parlement au comité de conciliation puisque la composition de sa délégation dépendra des nouveaux équilibres issus de l’élection. Le PSE est attaché à la défense des libertés fondamentales et continuera à se battre sur cette question. Cependant, chacun devra aussi agir en responsabilité. Le maintien du blocage actuel ferait définitivement couler le paquet avec ce qu’il représente en termes d’investissements dans les chantiers du futur, de protection des consommateurs mais aussi tout élément « anti-riposte graduée ».

Le Parlement Européen a accepté de voter l’extension de la durée de protection des droits voisins pour les producteurs de musique, qui passeront de 50 à 75 ans. Pensez-vous qu’il était légitime de réduire ainsi la partie des œuvres qui sont librement accessibles, dans le domaine public ?

La DSF (la délégation socialiste française au parlement européen, ndlr) a rejeté ce rapport considérant que l’allongement de la durée des droits d’auteur ne réglait pas le problème de rémunération des artistes, ne profitait qu’à une frange très particulière (l’industrie phonographique) et avait un impact disproportionné sur d’autres secteurs liés, tels que la radiodiffusion.

En revanche, le PSE a voté pour le rapport dans la mesure où le délai proposé initialement de 90 ans et jugé inacceptable avait été abaissé à 70 ans et non 75.

Pour ma part, devant cette division et dans un débat où manifestement les pistes alternatives n’avaient pas été suffisamment explorées, j’ai préféré m’abstenir.

Pour une très large part, le droit d’auteur est fixé par des traités internationaux. Le prochain, l’ACTA, est actuellement négocié dans la plus grande confidentialité. Comment le Parlement Européen doit-il se positionner dans ces discussions internationales ? En a-t-il le pouvoir ?

L’ACTA ne concerne pas le droit d’auteur spécifiquement, mais la contrefaçon (vente de faux médicaments sur Internet par exemple). Cependant, la « contrefaçon » de produits culturels semble devoir être incluse dans le champ de cette convention (cf. textes publiés sur Wikileaks), même si techniquement le lien est ténu.

La FFII avait demandé au Conseil, sans succès, des éléments d’information sur les négociations. Il arrive par ailleurs que même le Parlement ait des difficultés à obtenir des documents de la part du Conseil en particulier parce que les réunions de Coreper et les groupes de travail ne sont pas ouverts. Dans le cadre de la réforme du Parlement en cours, nous allons engager une nouvelle discussion sur ce point.

Cette négociation est menée sur la base de l’article 133 du Traité sur la base duquel le Parlement sera consulté. Il se prononcera sur la base d’un rapport de sa commission INTA (commerce international). En revanche, si l’accord devait avoir une déclinaison législative, celle-ci relèverait de la co-décision.

La Commission a par ailleurs publié en janvier 2009 une FAQ sur ACTA.

De plus en plus, les opérateurs télécoms s’approprient des exclusivités sur la diffusion de certains contenus, ou font part de leur souhait de favoriser les services dont les éditeurs payent aux opérateurs une surtaxe. D’autres interdisent certains types d’application, en particulier sur l’internet mobile. Faut-il interdire toute intervention des opérateurs sur les contenus qu’ils transportent ?

Dans le cadre de la convergence, il n’est désormais plus rare que les opérateurs non seulement tentent de s’assurer des exclusivités en termes de contenu (par exemple, droits de retransmission du football), mais qu’ils soient propriétaires ou au moins impliqués dans la production des contenus qu’ils transportent. La question de ce qu’il est possible de faire en termes d’exclusivité et d’accords commerciaux prend alors tout son sens, avec toutes les dérives que cela peut impliquer (en particulier, une fragmentation du réseau qui serait mortifère pour l’esprit même d’Internet).

La neutralité d’Internet doit rester le fondement de toute politique de gestion des réseaux, il ne doit pas être possible de bloquer une application en particulier (je vous renvoie à un élément du rapport Trautmann au sujet des missions des régulateurs nationaux : « Promoting the ability of end-users to acccess and distribute information or run applications and services of their choice »). Mais l’orthodoxie de la dissociation complète entre « contenus » et « tuyaux » est en voie d’effritement.

Les citoyens européens voient se multiplier le nombre de projets de lois nationaux et de directives européennes visant à renforcer la sécurité, contre le terrorisme, la pédopornographie, la violence, le racisme, etc. Le législateur, national ou européen, n’est-il pas en train de faire de la sécurité, par la surveillance qu’elle impose, le bourreau des libertés et de la vie privée ?

Sécurité/liberté: vieux débat qui réapparaît sous des formes différentes, toujours plus raffinées technologiquement !

Le renforcement de la sécurité contre le terrorisme, la violence ou tout autre acte pénalement répréhensible est indispensable mais il ne doit pas constituer un prétexte pour porter atteinte aux libertés fondamentales. Il est inacceptable d’utiliser l’argument de la peur pour légitimer un filtrage systématique de l’Internet. C’est tout l’enjeu du débat en démocratie de définir le juste équilibre.

Les FAI doivent-ils, comme le prévoit en France la loi Loppsi, bloquer l’accès aux sites pédophiles ? Si oui, qui doit décider de la liste des sites à bloquer, et qui pourra la contrôler ?

Comme mentionné dans la réponse précédente, la lutte contre la pédopornographie est absolument nécessaire. Cependant, bloquer un site internet ne permet de répondre que très partiellement au problème (éviter l’exposition) sans le résoudre. Avant d’obliger les FAI à bloquer les sites, il faut agir en amont. Il existe à ce titre des cellules spécialisées dans les Etats-membres chargées de repérer les sites et de remonter les filières (par des procédures judiciaires classiques) ; ces organismes manquent encore parfois de moyens, mais permettent une réponse bien plus efficace à ce problème.

(question de Kassandre) : Dans la mesure où le nombre d’artistes ayant fait le choix des licences libres pour partager leurs créations est sans cesse croissant – et bien que cela soit encore naissant en ce qui concerne les cinéastes (représentés par notre collectif) ce choix s’est déjà généralisé dans les domaines de la musique et de la littérature – quelle sera la politique du PSE pour soutenir ces initiatives? Plus précisément ; à défaut d’avoir eu pour l’instant une réponse au niveau national à nos différentes démarches visant à financer la création et améliorer la rémunération des artistes peut-on espérer trouver auprès du PSE un écho européen?

Sur le choix des licences libres : tous les candidats PS aux élections européennes soutiennent cette initiative et ont à ce titre signé le pacte du logiciel libre.

Sur le financement de la création et la rémunération des artistes : aucune solution ne peut être trouvée sur les ruines d’un « choc » entre artistes et internautes ; la solution -ou plutôt, plusieurs solutions complémentaires- devront être trouvées en conciliant les positions de toutes les parties impliquées. Le PSE s’est déjà engagé dans la recherche d’une alternative souhaitable pour tous dans le cadre du groupe de travail sur le droit d’auteur au Parlement Européen et souhaite entreprendre sur cette question un travail de fond dès le début de la prochaine législature.

(question de l’association Musique Libre) : L’Industrie culturelle en crise cherche par tous les moyens à sauver son monopole, au détriment des indépendants et du public, et d’autre part certaines SPRD vont bientôt perdre leur monopole… Dans ce contexte où les lignes bougent, il semble utile de se pencher un peu plus sur les alternatives qui se développent et innovent. Un nombre croissant de créateurs et d’entrepreneurs partagent la philosophie du « libre », et s’associent pour réfléchir à de nouveaux modèles de rémunération plus équitables, moins dispendieux, en harmonie avec les technologies et les citoyens qui s’en servent au quotidien. Le PSE a-t-il réellement « identifié » la culture libre et ses principaux acteurs ?

Le PS est tout à fait conscient de l’existence de la philosophie du « libre » et a déjà fait un pas dans ce sens : tous les candidats PS aux élections européennes ont signé le pacte du logiciel libre. La possibilité d’adopter un modèle économique basé sur les licences ouvertes sera absolument incontournable lors des discussions sur la recherche d’un modèle économique viable, qui allie problématiques de droit d’auteur et de la liberté des internautes. Ce sera une question majeure de la prochaine législature au Parlement européen. Cependant, je ne suis pas sûr, que l’on puisse ou doive qualifier le paquet Telecom, qui n’a rien à voir avec la question du contrôle de l’accès à Internet, de ‘ répressif ‘.

(question de Onde Parallèle) : Les industries du Cinéma sont largement financé par des fonds Européens et nationaux. Est il normal que le contribuable Européen favorise le financement d’œuvre, auquel il ne peut comme tout producteur avoir des droits de diffusion et de copie ?

Dans le cadre de l’exception culturelle, les aides aux producteurs de cinéma constituent un soutien de poids pour un secteur qui souffre de la concurrence, notamment américaine. Comme indiqué dans la question, les aides sont accordées sur une base nationale ou européenne (exemple du programme MEDIA 2007 de la Commission Européenne qui couvre la période 2007-2013). Mais, contribuer au financement d’œuvres par l’intermédiaire de ces fonds ne fait pas du contribuable européen le propriétaire des droits qui s’y rapportent. De la même manière, les impôts locaux payés par un contribuable et que serviraient à construire un théâtre ne le rendent ni propriétaire du bâtiment ni des pièces qui y sont jouées ! C’est la logique de toute politique publique en démocratie, d’utiliser l’argent public pour orienter l’activité de tel ou tel secteur et de soutenir tel ou tel type d’activité.

(question de Onde Parallèle) : Dans ce sens les Fonds dédiés à l’Industrie Culturelle en Europe ne devraient-ils pas être seulement dédiés à des œuvres utilisant les licences Creative Commons ou Art Libre, permettant de garantir une protection contre une utilisation commerciale abusive tout en garantissant à chaque citoyen européen une utilisation non commerciale des œuvres ?

Pour le moment, les fonds dédiés à l’industrie culturelle ne permettent pas, seuls, de financer la production et le business model n’est pas adapté à ce genre de pratique. Mais cette idée est à creuser.

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