Accusations de hacking, campagne de dénigrement, meurtre d’un journaliste… la situation entre Jeff Bezos et le pouvoir saoudien se complexifie un peu plus chaque jour. Elle a atteint un nouveau sommet d’intensité cette semaine, à la publication d’un rapport de cybersécurité au sujet de l’iPhone du patron d’Amazon. Et pour cause : les auteurs suspectent le prince héritier saoudien, Mohammed bin Salman (MBS), d’avoir envoyé le lien qui aurait permis d’infecter le smartphone avec un logiciel espion.
En un an et demi, les deux hommes ont été liés dans plusieurs affaires. D’une part, la couverture médiatique de l’Arabie Saoudite par le Washington Post, dont Jeff Bezos est propriétaire, a mené à des manœuvres d’intimidation, jusqu’au meurtre de Jamal Khashoggi, journaliste du média. D’autre part, le pays a été accusé par les équipes du milliardaire de mener une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux. Enfin, l’Arabie Saoudite est suspectée d’avoir joué un rôle dans la fuite dans la presse de la liaison extra-conjugale du patron d’Amazon. Révélation qui a mené au divorce du couple Bezos.
Pour s’y retrouver, nous avons mis à plat la chronologie des événements, depuis le premier échange entre Jeff Bezos et MBS, jusqu’aux derniers rebondissements.
4 avril 2018
D’après le rapport de FTI, Jeff Bezos et le prince saoudien Mohammed bin Salman échangent leurs numéros sur WhatsApp, l’application de communication chiffrée de Facebook, en avril 2018. MBS profite alors d’une invitation de Donald Trump pour se déplacer à Los Angeles afin de rencontrer les grands patrons américains. Il souhaitait notamment solliciter les services de Amazon Web Services pour construire des infrastructures cloud nécessaires au pivot économique de son pays.
1 mai 2018
Deuxième échange WhatsApp entre les deux hommes que les auteurs du rapport ont décidé de rendre public. L’entreprise de cybersécurité soupçonne ce lien vidéo envoyé par MBS de contenir un puissant logiciel espion. Il aurait permis aux saoudiens d’extraire des données du smartphone de Bezos pendant près de six mois.
2 octobre 2018
Le journaliste du Washington Post, Jamal Khashoggi, est assassiné au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul. Le média, propriété de Jeff Bezos, l’avait recruté quelques mois auparavant pour écrire des articles d’opinion sur l’Arabie Saoudite. Jamal Khashoggi, lui-même saoudien, avait fuit son pays un an plus tôt pour rejoindre les États-Unis. Critique envers les dirigeants du Royaume, il recevait de très nombreuses menaces.
8 novembre 2018
À peine un mois après le meurtre de Khashoggi, le prince d’Arabie Saoudite envoie à Jeff Bezos… un meme sexiste.
Une photo de femme, accompagnée de la légende « se disputer avec une femme, c’est comme lire les CGU d’un logiciel : à la fin, tu dois tout ignorer et cliquer sur j’accepte ». À cette époque, le patron d’Amazon discute d’un éventuel divorce avec sa femme, et tient une liaison extra-conjugale avec la présentatrice TV et actrice Lauren Sanchez. Mais cette relation reste secrète.
Le rapport de FTI insiste sur la ressemblance entre la femme utilisée pour le meme et la maîtresse de l’homme d’affaires. Pour eux, c’est une des preuves que MBS avait une visibilité sur les communications de Jeff Bezos. « Le contenu du message n’était pas typique des communications de MBS, et l’on pourrait supposer qu’il était envoyé en référence aux événements de la vie personnelle de Bezos à l’époque », écrivent-ils.
16 novembre 2018
L’enquête de la CIA conclut que le prince Mohammed bin Salman a commandité le meurtre de Jamal Khashoggi.
9 janvier 2019
Jeff Bezos officialise sur les réseaux sociaux son divorce avec sa femme MacKenzie. Ils étaient mariés depuis 25 ans. Les anciens mariés partagent le capital du couple, ce qui affecte la fortune du milliardaire.
26 janvier 2019
Le tabloïd The National Enquirer publie un dossier de 11 pages sur la relation entre Jeff Bezos et Lauren Sanchez. Il titre : « Le divorce Bezos ! Les photos de la tromperie qui ont mis fin au mariage ». Le dossier contient des photos du couple et des messages qu’ils ont échangés. Sur la couverture, le tabloïd indique la mention « propriétaire du Washington Post », mais aucune mention d’Amazon.
7 février 2019
Jeff Bezos rend public, sur medium, un email de chantage. Son message intitulé « Non merci, M. Pecker », s’adresse au patron d’AMI, la société mère du National Enquirer. Ce dernier est alors visé par de graves accusations : il aurait protégé Donald Trump pendant la campagne présidentielle. Il aurait fait appel à une méthode illégale, le catch and kill, qui consiste à acheter les droits exclusifs sur un scoop pour les étouffer. David Pecker est aussi connu pour sa proximité avec la monarchie saoudienne.
Le Washington Post couvre le scandale, et Jeff Bezos reçoit des intimidations : s’il ne fait pas retirer les articles à ce sujet, le maître chanteur publiera plusieurs nudes [photo de nu, ici à caractère sexuel, ndlr] de lui. Le corbeau ne mettra pas ses menaces à exécution.
12 février 2019
La sécurité de Jeff Bezos suspecte Michael Sanchez, le frère de Lauren, d’avoir fourni les photos et les images au tabloïd. Quelques jour plus tard, Michael Sanchez évitera de se prononcer sur son éventuelle implication, mais il affirmera qu’il n’est pas derrière la fuite des photos de pénis du milliardaire.
14 février 2019
D’après le rapport de FTI, Bezos est briefé au téléphone sur la campagne de dénigrement contre lui et ses entreprises sur Twitter. Ses équipes accusent l’Arabie Saoudite de piloter la vague de bots.
16 février 2019
Dernier message présenté par le rapport de FTI. Le prince Saoudien écrit, non sans fautes, sur WhatsApp : « Jeff tout ce que tu entends ou qu’on te rapporte n’est pas vrai et ce n’est qu’une question de temps avant que tu saches la vérité, il n’y a rien contre toi ou Amazon de la part de moi ou de l’Arabie Saoudite ».
Les experts font l’hypothèse d’un lien avec l’appel, deux jours plus tôt. Grâce au prétendu logiciel espion, MBS aurait pris connaissance des propos tenu par l’équipe de Jeff Bezos.
25 février 2019
FTI Cybersecurity réalise une rapide étude des messages envoyées par MBS, à la demande du patron d’Amazon.
31 mars 2019
Gavin De Becker, le chef de la sécurité du milliardaire, publie dans le Daily Beast les conclusions de l’enquête qu’il a dirigée en interne. Il affirme avoir la preuve que les saoudiens ont obtenu les données de Jeff Bezos. Il ouvre ainsi la piste du hacking.
18-22 mai 2019
Pendant quatre jours, les équipes de FTI Cybersecurity explorent l’iPhone X de Jeff Bezos à la recherche d’un logiciel malveillant, à l’aide de nombreux outils logiciels.
Cette plongée dans le smartphone du milliardaire est encadrée avec la plus grande minutie : la salle était surveillée 24 heures sur 24, les horaires de travail des techniciens respectés à la minute près, et aucun appareil électronique extérieur n’est autorisé dans l’enceinte.
23 décembre 2019
L’Arabie Saoudite condamne huit personnes, dont cinq à la peine capitale, pour le meurtre de Jamal Khashoggi. Le procès se déroule en secret, ce qui attire les critiques des défenseurs des droits de l’Homme.
21 janvier 2020
Le Guardian publie un article qui reprend les conclusions du rapport : le smartphone de Jeff Bezos aurait été infecté par un puissant logiciel espion comme Pegasus. Et cela grâce à la participation du prince héritier Mohammed bin Salman. Une hypothèse développée par les experts est que les photos et messages publiés par le National Enquirer ont été fournis par les Saoudiens.
22 janvier 2020
Le rapport de FTI est rendu public par Vice. Le même jour, les deux rapporteurs de l’ONU, David Kaye et Agnès Callamard (également saisie dans l’affaire Khashoggi), déclarent que les conclusions du document sont suffisamment solides pour demander officiellement des explications à l’Arabie Saoudite.
23 janvier 2020
Le New York Times confirme que Michael Sanchez et le National Enquirer ont signé un contrat de 200 000 dollars. Au centre de la table : l’exclusivité sur des photos et messages du couple Bezos-Sanchez. Cette confirmation de l’implication de Michael Sanchez fragilise la théorie du hacking, mais ne l’exclut pas pour autant.
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