Le pouvoir militaire de Thaïlande a passé des amendements portant sur la dissémination de « fausses informations » et exprimé son souhait de verouiller l’Internet national, suscitant indignation générale et une contre-attaque menée par des hackers.

Le vendredi 16 décembre, l’Assemblée Nationale Législative de Thaïlande – nommée par la junte au pouvoir – a adopté à l’unanimité une nouvelle version du Computer-related Crime Act (CCA), remplaçant celle de 2007. Deux mois après la mort du souverain Bhumibol Adulyadej, chef d’État au règne le plus long dans le monde au moment de son décès, le moment est politiquement sensible.

« Sous cette loi draconienne, les utilisateurs d’Internet devront regarder par-dessus leurs épaules en allant sur le web, s’est indigné mercredi 21 décembre Brad Adams, directeur Asie de Human Rights Watch. Le gouvernement militaire thaïlandais s’est maintenant donné des pouvoirs de grande envergure pour surveiller, rechercher et acquérir l’information, s’introduisant à grande échelle dans la vie privée des gens ». Une pétition pour le rejet de ces amendements avait recueilli 300 000 signatures.

L’article 20 (4) autorise même explicitement la suppression d’informations « ne violant aucune loi »

Interviewé par ABC, Arthit Suriyawongkul du Thai Netizen Network s’inquiétait de ces dispositions « très larges et ouvertes à l’interprétation ». Ainsi, l’article 14 permet de poursuivre toute activité « pouvant causer du tort au public », telle que la diffusion de données « fausses ou partiellement fausses », « déformées ou partiellement déformées », ou pouvant endommager « le bon fonctionnement de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de la sécurité économique nationale, de l’infrastructure publique servant l’intérêt public ». Les fournisseurs d’accès à Internet et les plateformes pourront également se retrouver au tribunal s’ils n’empêchent pas de telles activités.

Le général Prayut (en habit marron), leader du coup d'État et Premier ministre thaïlandais.

Le général Prayut (en marron), leader du coup d’État et Premier ministre thaïlandais. Crédit : D. Myles Cullen, département américain de la défense

Les articles 16/1 et 16/2 permettent aux tribunaux d’ordonner la suppression de toute information falsifiée sur une personne « portant atteinte à sa réputation ou l’exposant à la haine ». Human Rights Watch voit derrière cette formulation des informations sur des sujets sensibles, telles que les violences politiques de 2010 ou la répression en cours dans l’extrême sud face à l’insurrection malaise, un conflit larvé régulièrement ponctué d’attentats. L’article 20 (4) autorise même explicitement la suppression d’informations « ne violant aucune loi », mais « estimées être une atteinte à l’ordre public ou à la position morale surélevée du peuple ». Il suffit que cela soit décidé à l’unanimité par un Computer Data Screening Committee, nommé par le ministre de l’Économie et de la Société Numériques.

Les articles 18 (2) et (3), inchangés, autorisent toujours les autorités à accéder aux « données de trafic » des utilisateurs sans mandat délivré par la cour, tandis que l’article 18 (7) prévoit, avec mandat de la cour, que les fournisseurs de services soient obligés de décrypter leurs données.

quiconque manifesterait contre le CCA pourrait être poursuivi pour trouble à l’ordre public

Le 15 décembre, veille de l’adoption de la loi, le Premier ministre et général Prayut Chan-o-cha avait insisté sur la nécessité pour les autorités d’avoir un outil pour combattre les contenus sur Internet critiques de la monarchie. Le crime de lèse-majesté, serpent de mer de la liberté d’expression en Thaïlande, est le principal prétexte de censure dans le pays. Son importance a été réaffirmée après le coup d’État de mai 2014, depuis lequel 68 personnes ont été condamnées.

Le lendemain, le Cyber-centre de l’Armée a prévenu que critiquer le CCA pourrait être considéré, selon le même CCA en question, comme de la diffusion de fausses informations, avec les poursuites légales que cela entraîne. Dimanche 18, le lieutenant-général Sansern Kaewkamnerd, porte-parole du cabinet du Premier ministre, a renchéri en affirmant que quiconque manifesterait contre le CCA de quelque manière que ce soit pourrait être poursuivi pour trouble à l’ordre public.

Checkpoint militaire sur l’Internet

https://twitter.com/blackplans/status/809798515304046592

Mardi dernier, des attaques en déni de service (DDoS) ont momentanément fait tomber le site du Ministère de la Défense, et légèrement perturbé d’autres sites officiels. Comme le montre le tweet ci-dessus, des documents internes auraient été volés. Tandis que le ministère de la Défense se félicitait que les hackers « n’aient rien pu faire », le gouvernement a demandé au public d’envoyer des photos et des informations sur les hackers, accusés de « créer le chaos ».

Les sites du gouvernement et du Ministère de la Défense sont de nouveau devenus inaccessibles mercredi, bien que rien ne confirme qu’il s’agisse d’une attaque et non d’une maintenance un peu hasardeuse.

À la source de ces actions se trouve un groupe Facebook intitulé Citizens Against Single Gateway. Ce dernière a une inquiétude plus grave que le seul CCA : un projet de point d’entrée unique en Thaïlande pour l’Internet étranger, sorte de checkpoint bien sûr contrôlé par la junte. L’idée avait été enterrée octobre en 2015 suite au tollé général, mais a été remise au goût du jour mercredi dernier par le ministre de la Défense, Prawit Wongsuwon. Celui-ci a déclaré que ce portail était nécessaire « pour notre défense » contre des « attaques d’information » venues d’autres pays, notamment le Laos, culturellement et linguistiquement proche, où sont réfugiés un certain nombre de suspects de lèse-majesté.

Depuis la réforme de la monarchie absolue en 1932, la Thaïlande est un pays habitué aux juntes militaires et aux coups d’État. En 2006, l’armée avait déjà renversé le gouvernement de Thaksin Shinawatra, frère de Yingluck Shinawatra qui allait, à son tour, être démise de ses fonctions de Premier ministre par le coup de 2014.

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