Le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres n’aura pas réussi à mettre en place son système de réponse graduée. La circulaire qu’il promettait pour remédier à la censure du Conseil Constitutionnel sur la loi DADVSI reste extrêmement floue sur les échelles de sanctions à requérir et laisse aux procureurs une large marge de manoeuvre.

Retour à la case départ. Dans la première version de la loi DADVSI, il était prévu des sanctions fermes contre les P2Pistes et autres pirates en ligne. Le gouvernement et le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres avait choisi de garder les peines applicables de 300.000 euros d’amende et 3 ans d’emprisonnement maximum pour l’ensemble des actes de contrefaçon. C’est seulement après la giffle qu’il a pris par le vote d’un amendement favorable à la licence globale que le ministre a fait marche arrière et s’est rendu compte qu’il était impossible en 2006 de venir sanctionner les internautes, c’est-à-dire des millions de Français, comme s’ils s’agissaient de criminels en bande organisée.

Après la trève hivernale, c’est donc un texte remanié qui avait été proposé à l’Assemblée Nationale, avec un dispositif de sanctions graduées. Et le texte nouveau de prévoir des contraventions de 38 euros par acte de téléchargement et de 150 euros par acte de mise à disposition d’une œuvre piratée. Il était entendu, même si c’était là le souhait des industries culturelles, qu’il était impossible de faire un simple calcul mathématique. Fallait-il une même amende de 38 euros pour celui qui télécharge un fichier .RAR contenant un album de 12 chansons et pour celui qui télécharge les 12 chansons en fichiers MP3 distincts ? Ou fallait-il multiplier l’amende des 38 euros par le nombre d’œuvres téléchargées, quel que soit le nombre de fichiers, auquel cas télécharger la discographie de Frank Zappa pour parfaire sa culture personne vous endettait sur quinze ans ? Conscient du problème, le gouvernement avait prévu de régler la question par décrets en fixant des quotas. Un point d’étape révélé par la ligue Odebi avait ainsi montré que mettre à disposition plus de 200 œuvres ou plus de 3 gigaoctets de fichiers protégés sur 24H devait être passible d’une amende de 3.750 €. « ces seuils correspondent à la limite d’une consommation journalière raisonnable, environ 12 heures d’écoute de musique, 8 heures de films et jusqu’à 17 heures en mêlant les deux », justifiait le ministère.

Mais le Conseil constitutionnel saisi par l’opposition et par l’UDF est venu censurer le dispositif, jugeant contraire à la constitution le fait de viser spécifiquement une technologie (le Peer-to-Peer). Embarassé, le ministre de la Culture avait immédiatement réagi dans une lettre ouverte aux internautes pour promettre que « les poursuites soient orientées vers les cas les plus graves ». Fin décembre, Renaud Donnedieu de Vabres annonce que la circulaire qui précise les sanctions à requérir est prête et qu’elle prévoit que les procureurs « appliquent des sanctions pécuniaires progressives ». La circulaire sera envoyée le 3 janvier 2007, mais elle n’a été communiquée que très récemment, par la Gazette du net puis relayée par Juriscom.

Un texte pédagogique sans grande précision

Alors que l’on pouvait s’attendre à voir ressurgir dans la circulaire l’idée de quotas sur le nombre d’œuvres téléchargées et partagées, avec pour chaque seuil des instructions de montants d’amende à requérir, le gouvernement reste à un niveau de pure pédagogie et s’abstient de chiffrer ses recommandations.

La circulaire prévoit trois niveaux de responsabilité : pour les éditeurs et distributeurs de logiciels de P2P et autres logiciels qui sont utilisés pour le piratage, la mise à disposition des œuvres par les internautes, et le téléchargement illicite.

Concernant les deux derniers niveaux de responsabilités, l’instruction demande aux procureurs d’appliquer une gradatione dans les cas où les œuvres sont mises à disposition volontairement (l’upload automatique par téléchargement en P2P est exclu), avec du plus grave au moins grave :

  • Etre le ou parmi les premiers à uploader une œuvre qui n’a pas été mise officiellement à disposition du public (cas typique des « screeners » pour le cinéma)
  • Uploader sans autorisation une œuvre qui a été mise récemment à disposition du public de façon officielle
  • Participer à la diffusion d’une œuvre dont l’exploitation commerciale n’est « pas récente »

Puis un shéma identique est prévu pour le téléchargement, dont le gouvernement martelle qu’il ne constitue en aucun droit l’exercice d’un droit à la copie privée (une façon de taper sur les doigts des magistrats qui en jugeaient autrement). Celui qui télécharge sans mettre à disposition est « à un niveau moindre de responsabilité », indique la circulaire, qui précise que « des peines de nature exclusivement pécuniaire apparaissent parfaitement adaptées et proportionnées ». Le gouvernement demande donc implicitement aux procureurs de ne pas requérir dans ces cas là les peines d’emprisonnement prévues par la loi. Si l’on interprète a contrario, l’emprisonnement pourrait donc être requis contre ceux qui uploadent dans les cas les plus graves.

Pour moduler le montant de l’amende à requérir, la circulaire retient des critères aggravants par odre décroissant : récidive, nombre ou volume élevé d’œuvres au regard de la période durant laquelle les téléchargements ont été effectués, téléchargements réalisés avant la mise à disposition commerciale (le téléchargement de screeners et d’albums fuités, donc), mise à disposition automatique et accessoire en P2P.

Mais déterminer ce qui est un « nombre élevé d’œuvres » reste à l’appréciation complète du magistrat, tout comme l’échelle des amendes à requérir qui reste donc située, comme le veut la loi, entre 0 et 300.000 euros. La circulaire relève davantage du bon sens que de l’instruction ministérielle. Les magistrats ont toujours appliqué ces critères là et la circulaire ne va pas modifier grand chose à leurs réquisitoires.

Une sévérité axée sur les créateurs de logiciels

La circulaire traduit en revanche la volonté du gouvernement de sanctionner sévèrement les éditeurs de logiciels de P2P, à la lumière des amendements Vivendi. Il faut « tarir à la source les réseaux d’échanges illégaux », peut-on lire à plusieurs reprises. « L’initiative des titulaires de droits tendant à lutter contre ces logiciels sera relayée par le ministère public chaque fois que l’infraction paraît caractérisée », demande le gouvernement. Les procureurs devront requérir des peines « hautement dissuasives », y compris des peines complémentaires à l’amende qui peuvent aller jusqu’à la fermeture de l’établissement lorsque « son activité principale est de fournir des logiciels à des fins prohibées ». Les magistrats pourront demander la confiscation des recettes, qui seront remises aux plaignants pour les indemniser.

Mais là encore, au delà de la déclaration d’intention, la circulaire manque cruellement de précision pour le magistrat qui devra déterminer selon ses propres critères si un logiciel de P2P est bien « manifestement destiné à porter atteinte aux droits d’auteur ». Cette notion clé de « destination manifeste » est pourtant cruciale puisque, comme le rappelle la directive pour rassurer les éditeurs de logiciels, « l’éditeur ou le distributeur d’un logiciel qui n’est pas conçu ou spécialement configuré pour permettre de l’échange de fichiers concernant des œuvres contrefaites ne saurait tomber sous le coup de l’incrimination ». Au procureur de se débrouiller avec ça. Avec toutes les conséquences que cela implique sur l’innovation des entreprises françaises, sur le travail des salariés employés par les éditeurs des logiciels « à risques », etc.

Il en est de même pour le volet civil de la loi, qui prévoit que le magistrat peut ordonner sous astreinte toute mesure nécessaire à la protection des droits (donc essentiellement la mise en place de filtres) pour le logiciel qui n’est pas forcémment manifestement destiné à la mise à disposition d’œuvres protégées, mais « principalement utilisé pour la mise à disposition d’œuvres ou d’objets protégés ». Sur ce point aucune instruction mais un simple rappel de la loi. Là encore, au magistrat seul d’établir ses propres critères pour savoir à quel moment un logiciel qui n’a pas été conçu pour cela est pourtant « principalement utilisé » pour du piratage.


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